Mayotte: Guillaume Rubin, président-directeur du groupe EKWALI, son combat pour une approche régionalisée d'approvisionnement en faveur d'une production locale et durable

© Mayotte Hebdo

Mayotte: Guillaume Rubin, président-directeur du groupe EKWALI, son combat pour une approche régionalisée d'approvisionnement en faveur d'une production locale et durable

À l'occasion du 14ème Forum économique des îles de l’Océan Indien (FEIOI) début novembre, Outremers 360 a rencontré Guillaume Rubin, président et fondateur du groupe EKWALI-AVM. Son entreprise est leader de la filière complète de production de viande de volaille à Mayotte. Au cours de cette interview, il nous livre les initiatives du groupe, en matière de production locale et d'approvisionnement régional, tout en abordant les défis liés à la dépendance des territoires insulaires aux importations et à la durabilité. Le 5 novembre, Guillaume Rubin animera une table ronde dédiée à la dépendance des îles aux intrants et matières premières non régionales, offrant une opportunité d’échanger sur les enjeux de la régionalisation et des partenariats stratégiques pour les territoires de l’océan Indien.

 

Rendez-vous phare pour les acteurs économiques de l’océan Indien, le Forum économique des îles de l’Océan Indien (FEIOI) ouvre sa 14e édition à la Technopole de Mayotte du 5 au 7 novembre. Placé sous le thème « Produire régional », cet événement rassemblera près de 200 participants des secteurs public et privé, venus échanger sur les défis et opportunités d’une économie régionale durable. Co-organisé par l’Agence de développement et d’innovation de Mayotte (ADIM), la Chambre de commerce et d’industrie de Mayotte (CCIM), l’association Mayotte Technopole et Cap Business Océan Indien, ce forum unique abordera des sujets variés, tels que la sécurité d’approvisionnement, l’accès à l’énergie, la transition écologique, et les collaborations inter-îles pour renforcer la production locale. Le programme comprend 9 tables rondes et 9 ateliers de travail, qui mettront en avant les capacités de production des territoires, les innovations, ainsi que les défis à surmonter. Retrouvez le programme détaillé des 3 jours de conférence via ce lien : https://www.feioi.org/

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A coeur de la filière avicole mahoraise

Depuis sa création, le groupe EKWALI-AVM, qui est 100% mahorais, s’est imposé comme un acteur central de la filière avicole mahoraise, promouvant la production locale et s’engageant activement pour une plus grande autonomie alimentaire de l’île : « Nous travaillons résolument vers l'objectif de souveraineté alimentaire, un défi particulièrement ambitieux dans des territoires comme Mayotte, isolé dans la région du canal du Mozambique. Avec une population d’environ 400 000 habitants répartie sur seulement 374 km², la densité est l’une des plus élevées au monde, comparable à celle de la grande couronne parisienne. Cela implique un espace limité et de nombreuses contraintes, mais aussi un marché dynamique où émerge une classe moyenne. Pour nous, l’enjeu de la souveraineté alimentaire consiste à offrir des produits locaux frais et de qualité accessible à toute la population, y compris les foyers en dessous du seuil de pauvreté. »

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Spécialisé dans la production de poulets de chair, le groupe EKWALI - AVM repose sur un modèle d’intégration verticale, lui permettant de maîtriser l’ensemble de la chaîne de production. Il gère en interne la fabrication des aliments pour animaux, l’incubation des poussins, et la collaboration avec 30 exploitations partenaires à Mayotte, visant à porter ce nombre à 45. Avec son abattoir et son atelier de transformation, récemment créé pour diversifier l’offre, le groupe assure également la distribution directe de ses produits à travers un réseau de 111 magasins. EKWALI emploie aujourd'hui 70 collaborateurs, un chiffre qui devrait atteindre 80 avec la croissance actuelle, et génère un chiffre d'affaires d'environ 20 millions d'euros.

Le sourcing local, la stratégie gagnante

Mayotte doit faire face à une réalité incontournable : les matières premières nécessaires, comme le maïs, le blé et le soja, ne peuvent être cultivées localement, destinant le territoire à une dépendance extérieure pour l’approvisionnement en intrants : « Nos importations proviennent principalement de la mer Noire, notamment via le port de Constanța en Roumanie, un trajet qui prend entre un mois et demi et deux mois. Cette logistique complexe impose des stocks importants sur place et est parfois perturbée par des tensions géopolitiques, comme dans la mer Rouge, obligeant les bateaux à rallonger leur trajet par le Cap de Bonne-Espérance. Ces aléas allongent les délais, augmentent les coûts de fret et, par conséquent, nos coûts de production, générant des défis supplémentaires pour maintenir notre résilience et notre mission d’accessibilité alimentaire. »

EKWALI s'oriente désormais vers un sourcing régional pour réduire sa dépendance aux importations lointaines. Bien que l’objectif ne soit pas une régionalisation complète, cette stratégie vise à sécuriser une partie des matières premières au plus près de Mayotte. Un premier pas a été franchi en juin avec la prise de participation dans une société malgache qui exploite 2 000 hectares à Majunga. Ce partenariat permettra de produire localement des matières premières destinées à l’alimentation du bétail.

Bien qu’encore modeste, cette stratégie marque une avancée dans la réduction de la dépendance aux importations lointaines. EKWALI envisage aussi des collaborations supplémentaires, notamment au Kenya, un pays situé à seulement trois jours de bateau de Mayotte, qui présente un potentiel de sourcing régional. Cette orientation stratégique, encore en phase de développement, illustre l’engagement du groupe vers une chaîne d'approvisionnement plus autonome et durable dans l’océan Indien : « En novembre, je me rendrai à Nairobi pour établir des partenariats concernant plusieurs matières premières. Le Kenya, situé à seulement trois jours de bateau de Mayotte, représente une excellente opportunité pour notre approvisionnement. Nous chercherons à identifier des matières premières régionales afin de soutenir notre filière. Nous sommes donc résolument engagés dans cette démarche. »

Favoriser la connectivité inter-îles et augmenter les volumes d’échanges

Mayotte est confrontée à des défis logistiques majeurs. La connectivité inter-îles reste globalement insuffisante dans l’océan Indien. Ce manque de flux régulier complique l'acheminement des matières premières depuis des zones proches, comme Madagascar, rendant parfois plus rapide l’importation depuis la mer Noire ou la métropole. Pour pallier ces obstacles, EKWALI souhaite développer des partenariats dans la région et renforcer les volumes d’échanges. L’objectif est de stimuler la demande en créant des flux réguliers entre les fournisseurs régionaux et Mayotte. Avec une augmentation progressive du nombre de conteneurs grâce à ces partenariats, les compagnies maritimes pourraient être incitées à envisager des routes directes, facilitant ainsi une logistique plus efficace pour l'approvisionnement local : « Nous envisageons de nouer des partenariats pour acquérir des matières premières localement, mais aussi de développer des collaborations plus avancées, notamment en prenant des participations dans des entreprises de production. »

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Bâtir un cadre stratégique sur une terre d’opportunités

À Mayotte, l'absence de vision stratégique pour le développement industriel freine l'organisation de filières structurées et la valorisation des fonds publics disponibles. Les initiatives se limitent souvent à des événements ponctuels et à des investissements isolés, sans orientation claire ni priorisation des secteurs de développement : « Dans le domaine agroalimentaire, nous avons formé une association appelée AIM, l'Association interprofessionnelle de Mayotte, qui regroupe les différents acteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire, notamment ceux qui travaillent dans des filières structurées. Bien que nous agissions en tant que syndicat, notre démarche se limite à réfléchir à la structuration et au développement de l'agriculture. Nous cherchons à renforcer notre collaboration avec nos partenaires, mais cela ne constitue pas une stratégie à proprement parler. Ce ne sont que des liens opportunistes qui nous permettent de tirer davantage parti de nos efforts collectifs. L'absence de stratégie est véritablement une contrainte. Bien qu'il existe des opportunités, la mise en place d'une démarche globale demeure difficile. »

Pour Guillaume Rubin, Mayotte représente un « terrain de jeu » unique et stimulant, car presque tout y est encore à construire : « Ce territoire présente d’importants défis. Les crises récurrentes en matière de sécurité, d’eau, et de santé, rendent le développement difficile. Cependant, ces obstacles font aussi de Mayotte une terre d’opportunités rares, où il est possible de bâtir des projets inédits. La population locale exprime une volonté croissante de consommer différemment, notamment avec une préférence pour les produits frais, et de jeunes Mahorais formés à l’extérieur souhaitent revenir pour contribuer au développement de leur île dans des entreprises structurées. » Pour Rubin, ces dynamiques et l’immensité des possibilités sont autant de sources de motivation qui rendent ce contexte professionnel inégalable et impossible à trouver ailleurs.

Construire un avenir durable

Fermement engagé dans une démarche de durabilité et de pérennisation, en prenant en compte non seulement la transition écologique mais aussi la durabilité organisationnelle, EKWALI prend des mesures concrètes pour minimiser son impact environnemental. Le groupe travaille à réduire les trajets logistiques, en projetant une délocalisation pour alléger le trafic routier, et met en place une ferme photovoltaïque de 3 mégawattheures pour devenir un producteur net d’électricité.

EKWALI valorise ainsi une agriculture durable, en mettant l’accent sur la formation des jeunes et en soutenant les agriculteurs dans une logique de développement rural structuré. Contrairement à la France hexagonale où l'agriculture est en déclin, Mayotte présente une situation inversée. L'île fait face à des problèmes d'offre plutôt que de demande. Lorsqu'un produit de qualité et adapté aux besoins de la population est fabriqué, la demande dépasse souvent l'offre. Cela représente un atout majeur pour le territoire.

En tant qu’acteur local indépendant, le groupe cherche à transmettre son modèle aux générations futures, notamment par un plan de cession aux agriculteurs, d’ici sept ans. Le groupe EKWALI envisage de structurer la reprise de ses activités par les agriculteurs sous une forme coopérative, bien qu’aucune décision définitive n'ait encore été prise. Le modèle de développement d’EKWALI privilégie les petites exploitations familiales de 400 m², combinant élevage et production végétale pour optimiser l’utilisation des ressources. L’objectif est d’assurer des revenus équivalents à deux SMIC aux agriculteurs à temps plein. Ce soutien inclut une formation technique, un accompagnement administratif et comptable, ainsi qu’une bancarisation des producteurs pour les préparer aux réalités d'une entreprise agricole.

Le groupe bénéficie d'un soutien solide pour structurer sa filière, notamment de la part de l'UE, qui l'accompagne tant sur les investissements que sur l'exploitation. Le Conseil départemental contribue également au financement des investissements. Cette base de soutien solide permet à la filière de se développer, profitant d'une attraction croissante.

 

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