Cette semaine, Outremers360 donne la parole à des acteurs de terrain pour parler du «vivre-ensemble » et de la laïcité. C’est Thierry Malbert, docteur en anthropologie et maître de conférences en Sciences de l’éducation à l’Université de La Réunion, qui ouvre la voie de ces entretiens à venir. Quelle place pour les religions ? Comment se vit la laïcité en outre-mer ? Autant de questions auxquels nos « experts» vont répondre dans les prochains jours.
Les outre-mer peuvent donner des pistes de réflexion intéressantes sur les questions de religions et de laïcité. À La Réunion, les religions ont une place structurante. « Nos territoires se sont construits au fil des ans, ou plutôt ont construit leur collectif justement sur leurs différences, d’origine ethnique, religieuse, et culturelle sans que l’espace public ne semble menacé», indique Luc Laventure, président du groupe Outremers360, en préambule, lors de son entretien avec Thierry Malbert, docteur en anthropologie. Celui-ci le confirme, en parlant de l’exemple de La Réunion, où il vit.
«L’île est croyante, les relations à Dieu sont fortes, vivantes, populaires. Les familles sont profondément ancrées dans la religion et les faits religieux. Les Réunionnais le vivent au quotidien. Ce qu’il est important de dire, c’est que dans un petit territoire, au sein de la République, le communautarisme religieux n’opère pas de la même façon. Il est important de comprendre comment cela fonctionne pour amener des éclairages».
Pour voir ou revoir l’émission avec Thierry Malbert sur la laïcité en Outre-mer : cliquez sur ce lien

Les membres du GDIR réunis pour partager un temps de prière à l’occasion du 1er décembre 2012 © Association Rive
La place des institutions
L’histoire même de La Réunion est une illustration de l’importance des institutions dans la compréhension et l’acception de la laïcité au sein des différentes communautés que peut composer un territoire. « Il y a eu des régimes fortement autoritarismes …. Depuis la départementalisation, il y a une volonté d’égalité dans la diversité. La question de la laïcité se pose au regard des contextes sociaux, de diversité culturelle et religieuse. On ne peut penser la laïcité sans penser la diversité». Il est donc intéressant de voir comment les institutions, les collectivités, ont associé à la fois Dieu et la laïcité. On constate que les institutions tendent à reconnaître, à valoriser, à certains moments de l’année, telle ou telle religion. Elles accompagnent une fête religieuse, pour l’ouvrir aux autres religions et cultures. Ces instances, l’État, les collectivités, républicaines et fortement laïques, reconnaissent ces religions, les valorisent et leur donnent un cadre. Dans l’entendement commun, il y a un contrat implicite qui se fige et qui se met en place. On voit que les institutions portent les religions et leur donne un équilibre, un respect, dans lequel va s’exercer la relation sociale à l’autre dans ce petit territoire.»
Thierry Malbert, docteur en anthropologie : « Depuis la départementalisation, il y a une volonté d’égalité dans la diversité. La question de la laïcité se pose au regard des contextes sociaux, de diversité culturelle et religieuse. On ne peut penser la laïcité sans penser la diversité»
Un «vivre ensemble» à construire
Dans ces territoires d’outre-mer qui ont été impactés par l’esclavage, et par différents régimes autoritarismes, le «vivre ensemble» s’est construit au fil de l’Histoire. Celui-ci n’existait pas à La Réunion, avant la fin du 20e siècle, comme l’explique Thierry Malbert. « il y est clair que le contexte international ou national peut influer sur le « vivre ensemble» à La Reunion. Il faut attendre la fin du 20e siècle pour voir cette volonté de tous les Réunionnais, en termes d’égalité, de reconnaissance de chacun dans spécificité culturelle et religieuse. Dans ces territoires d’outre-mer qui ont été impactés par des régimes autoritarisme, il y a une volonté de reconnaissance et de valorisation au quotidien. Il peut y avoir des tensions, des luttes de place, mais lorsque le cadre est fort, lorsque le respect de la République et de la laïcité est fort, il peut maintenir la cohésion des groupes en place. Et c’est cela qu’on a à la Réunion un cadre fort et respecté».

Les différents répresentants religieux à La Réunion lors d’un marche blanche en hommage au Père Hamel en 2016 © Noélie Fournier
Les conflits qu’il a pu y avoir entre certaines communautés à des moments ne sont donc pas occultés, au contraire. Ils sont expliqués et analysés. «Tout au long de l’Histoire, on a eu des gouverneurs, puis des préfets pour faire accepter certaines processions dans l’espace public. Ces liens de respect à l’autre ne sont pas contradictoires aux valeurs de la République. Ils sont perçus comme une écoute et une marque de confiance».
Thierry Malbert, docteur en anthropologie : « À La Réunion, l’équilibre entre laïcités et le fait religieux passe aussi par l’éducation»
C’est un rapport de confiance qui amène à l’équilibre. Il y a une perméabilité entre les uns et les autres. Beaucoup de Réunionnais la portent dans leurs gènes. Ce fort métissage comporte une symbiose biologique, culturelle parfois religieuse : aller vers l’autre, c’est aussi retrouver une part de soi même. À La Réunion, l’équilibre entre laïcités et le fait religieux passe aussi par l’éducation. Les formes d’éducation interculturelles se passent dès le premier âge. Lorsqu’elle est bien expliquée, la laïcité donne donc ce cadre commun dans lequel les religions peuvent évoluer».
Un début d’explication est donc donné ici, avec pour exemple un territoire insulaire, mais ancré au sein de la République française. Le débat autour de la laïcité et des Outre-mer lui va se poursuivre dans les prochains jours sur Outremers360, avec la contribution d’autres intervenants.
Par Abby Said Adinani
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