INTERVIEW. La Réunion : Didier Robert va continuer à s’engager « en dehors de l’espace politique »

INTERVIEW. La Réunion : Didier Robert va continuer à s’engager « en dehors de l’espace politique »

Alors que se tient aujourd’hui une Assemblée plénière sur la Nouvelle Route du Littoral à la Région, l’ancien président Didier Robert a accepté d'accorder une interview  à Outremers360 et indique qu’il quitte la vie politique pour s'engager dans le monde associatif. Il ne s'était pas exprimé depuis les dernières élections régionales.

Outremers360 : Que devient l’ancien président de la Région après ces 11 années en fonction ?

Didier Robert : Depuis juillet je mets à profit du temps pour ma famille et mes proches qui ont accepté de nombreux sacrifices pendant de nombreuses années et ont parfois souffert de mon manque de disponibilité. Je travaille aussi mais à mon rythme sur des projets qui me tiennent à cœur, sur de nouveaux engagements.

Pendant 20 ans je me suis engagé au service de l’action publique, à mettre toute mon énergie à participer au développement de mon île. Ce sont des années exceptionnelles à bien des égards. En tant que maire, en tant que président de région ensuite,  j’ai travaillé à faire bouger les lignes sur la base des valeurs qui ont toujours guidé mon action : le travail, l’éducation, la formation ouverte au plus grand nombre, l’accompagnement des entreprises, la réussite des entrepreneurs et des porteurs de projets, l’équilibre entre croissance et écologie, l’égalité homme-femme, la préservation et la valorisation de notre vivre-ensemble, l’ouverture aux autres, l’ouverture au monde, l’affirmation et la fierté d’être à la fois profondément Réunionnais-Français-européen…des lignes de force qui ont toujours servi de socle aux actions que j’ai été amené à porter. 

Dans quel état d’esprit êtes-vous ? 

Je n’ai aujourd’hui aucune amertume ni aucune colère. J’ai la déception bien-sûr d’une défaite électorale mais les Réunionnais ont fait un choix que je respecte, quelle que soit la manière dont cette campagne s’est déroulée ! Chacun, dans le cadre de l’Union des Droites et des Centres, porte le sens de sa propre responsabilité. Je ne me pose surtout pas en donneur de leçons. J’ai donné le meilleur de moi-même avec des femmes et des hommes qui m’ont accompagné tout au long de ces années ; certains fidèles et loyaux au projet, d’autres qui auront pris d’autres chemins. 

Pour le reste, ne comptez pas sur moi pour entrer dans une logique basique d’opposition systématique face à la nouvelle majorité régionale. J’ai été confronté à cela pendant les deux mandats précédents et je peux vous assurer que cela ne fait pas beaucoup avancer le débat !  Il y a aujourd’hui une nouvelle équipe, élue. C’est à elle qu’il appartient de mettre en œuvre sa politique régionale, de faire ses choix, d’agir sur la base des engagements pris devant les réunionnais pendant la campagne : poursuivre une politique de grands chantiers dont celui de la NRL, ne pas remettre en question la continuité territoriale comme elle s’y est engagée… 

Vous n’êtes plus en responsabilité mais encore attaqué sur le budget, sur la NRL, sur la continuité par l’actuelle majorité vous réagissez comment ?

La NRL est un chantier que nous avons engagé en 2010 et mené à 80 % malgré les aléas et les obstacles, les difficultés. Cela faisait près de 20 ans que le sujet était posé ! Il y a deux réactions possibles pour une nouvelle majorité : faire un point d’étape et poursuivre dans les délais les plus resserrés possibles ou l’autre option : tenter de ralentir encore le processus en mettant beaucoup d’énergie, de moyens à déconstruire en cherchant des explications et des raisons de ralentir…

A priori, l’actuelle majorité choisit de déconstruire et les choses s’organisent pour repousser l’échéance de cette ouverture. Les solutions qui ont pourtant été actées avec les partenaires et l’État hier ne seraient plus valables aujourd’hui ? Qu'est-ce qui aurait changé sur le plan technique, budgétaire, administratif ? Cela ressemble fort à un règlement de compte politique qui ne sert pas l’intérêt général. 

Toutes les conditions sont pourtant réunies pour livrer rapidement 80% de la route sécurisée. Il faut que l’État assure sa part de responsabilité également et ses engagements pour terminer le chantier dans sa globalité. Les budgets sont disponibles. Les conditions techniques et les procédures réunies. Il faut agir et être en mode accéléré comme nous l’avons toujours été. 

S’agissant du budget de la région je veux simplement rappeler une réalité et un chiffre. Pendant 10 ans, nous avons été en capacité de porter l’ensemble de projet régional : 36% de l’investissement public assuré par la région, près de 100 millions d’euros consacrées chaque année à la formation professionnelle, 50 millions par an au titre de la CT qui auront permis à près de 140 000 Réunionnais de pouvoir voyager entre La Réunion et la métropole à moindre coût, 17 000 lycéens chaque année qui auront bénéficié du POP, un soutien sans précédent aux entreprises qui aura permis une baisse importante du chômage en 10 ans, l’ouverture des antennes économiques de la région dans tous les pays berceaux de peuplement de l’île, un doublement des aides aux acteurs culturels et sportifs, la production de 98% de notre électricité d’ici 2 ans sans énergie fossile…

Toutes ces actions ont été menées grâce à un budget régional solide. Sinon, tout cela n’aurait pas été possible ! l’an dernier, pour faire face à la crise COVID, la collectivité régionale aura été en capacité d’injecter plus de 120 millions d’euros supplémentaires pour soutenir les entreprises et donc l’emploi (Fond de solidarité régionale, aides aux acteurs du tourisme, aux acteurs de l’événementiel…).  

Un chiffre : pendant 10 ans, chaque année, la Région Réunion a présenté un budget avec plus de 120 millions d’euros d’épargne brut chaque année pour un budget global de 1 milliard d’euros en moyenne. C’est en comptabilité publique, le ratio le plus significatif de la bonne ou de la mauvaise gestion. En clair, une fois payés les frais de fonctionnement, il reste plus de 120 millions chaque année pour pouvoir réinvestir. Le compte administratif de la Région pour l’exercice 2020 a d’ailleurs été approuvé au mois d’août par la nouvelle majorité, prouvant bien là la reconnaissance d’un budget solide, sincère et engagé que l’ancienne majorité aura exécuté en 2020. 

Si l’on écarte les postures politiciennes, la Région a largement les moyens aujourd’hui de poursuivre son action, à condition de garder une certaine prudence bien sûr, une vraie cohérence entre les différentes collectivités à renforcer et de conserver la confiance des partenaires financiers privés, de l’État et de l’Europe.

Des sujets vous interpellent de votre côté ?

La situation des agents oui. J’ai travaillé pendant 11 années, dialogué beaucoup avec le souci du respect mutuel avec tous les syndicats, les agents bien sûr. J’ai travaillé avec des équipes investies dans leurs missions. Je veux aussi dénoncer ici les dérives s’agissant d’agents de la Région qui seraient aujourd’hui licenciés ou pour lesquels les contrats ne seraient pas reconduits à cause de leur supposé engagement politique. On ne licencie pas quelqu’un au regard de ses opinions, de ses croyances, de son idéal.

La majorité actuelle devrait de mon point de vue avoir le respect des mères et pères de famille qui n’auront à aucun moment démérité dans leurs missions au service de la collectivité. Ils auront assumé leur travail avec sérieux, au nom du service public et de l’intérêt général. Les agents de la région sont des personnes remarquables et compétentes avec lesquelles j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler. En 2010, à ma première élection, il n’y a eu aucune chasse aux sorcières ! 

Comment voulez-vous agir aujourd’hui ?

Ma conception de la politique est assez claire. On est élu pour agir, pour faire, pour bâtir, pour construire, pour proposer. Pour ma part, j’ai toujours gardé ces marqueurs à l’esprit quelles que soient les mandats que les Réunionnais m’ont confiés.

Les dernières élections me placent dans l’opposition. Je veux continuer à agir, à m’engager, à continuer à m’investir pour La Réunion. Mais j’entends désormais le faire en dehors de l’espace politique. Je me sens toujours plus utile dans l’action que dans la critique et l’opposition systématique. La gouvernance engagée à la Région au cours de ces derniers mois est bien éloignée de ce en quoi je crois.

Être en continu dans la critique, dans les remises en question faciles de tels ou tels projets pour ne pas en avoir été à l’origine ne fait pas partie de mon cheminement. Surtout si, au final, c’est pour revenir aux solutions de départ comme ce qui est proposé aujourd’hui par la nouvelle majorité s’agissant du projet de la Nouvelle Route du Littoral ! Que de temps et d’énergie perdus.  

Les Réunionnais ont fait un choix en juin dernier. Il y a désormais une nouvelle majorité et je lui souhaite de réussir, pour le bien commun, dans l’intérêt de notre île et des Réunionnais. Je ne serai pas en tous cas celui qui viendra par calcul ou tactique politicien entraver en quoi que ce soit l’action régionale.

La décision de me mettre en retrait de la vie politique est celle qui me permettra de prendre de nouveaux engagements auprès d’associations et pour accompagner des entreprises dans leurs projets de développement. Je veux continuer à défendre les valeurs auxquelles je crois, continuer à être à l’écoute des réunionnais, continuer à défendre mon île. Je serai présent à titre bénévole aux côtés de certaines associations qui œuvrent pour la défense des plus fragiles, ici, dans nos rues, à deux pas de chez nous, plus loin, à Madagascar ou ailleurs.

Ce sont des femmes et des hommes remarquables qui donnent beaucoup de leur temps et de leur énergie. Ils méritent le soutien des autorités et de chaque personne qui pourra apporter sa contribution. En toute humilité, je continuerai à apporter ce que je sais. Par ailleurs, je vais m’engager à accompagner des entreprises réunionnaises avec l’expérience qui peut être la mienne également aujourd’hui.

Je travaille par ailleurs avec d’autres, à la question centrale de l’information, du rôle des médias, de leur influence sur le devenir d’un territoire comme le nôtre. Enfin je garde mon droit de citoyen à m’expliquer et exposer mes opinions car s’éloigner des responsabilités ne m’interdit pas de partager mes visions et d’alerter sur ce qui me semble des sujets vrais et essentiels. 

Que dites-vous aux Réunionnais qui ont voté pour vous ?

Je rencontre beaucoup de Réunionnais qui jugent la situation injuste, avec pour certains le sentiment que cette victoire leur a été volée.  Je veux leur dire à tous militants, sympathisants qu’il n’est pas nécessaire d’avoir le regard rivé sur les rétroviseurs, qu’il faut aller de l’avant. L’action publique ne se résume pas au champ politique heureusement. Et je réponds aussi aujourd’hui à une exigence à laquelle je crois : le nécessaire renouvellement de la classe politique. La politique n’est pas un métier mais un engagement pour les autres le temps d’un mandat. Mon engagement politique en tant qu’élu s’arrête aujourd’hui et d’autres prendront le flambeau, feront vivre et animeront cette ligne de développement, de réussite économique et de solidarité, d’égalité, de justice, de fierté, du respect de la nature et de la Terre, des femmes et des hommes... 

Un livre pour demain rumeur ou pas ?

Je mets en effet à profit cette nouvelle période pour écrire, raconter et transmettre. J’ai en préparation un livre qui sera pour moi l’occasion d’une mise à plat directe et sans complaisance sur un certain nombre de sujets, sur l’analyse de la situation et surtout sur les voix et les perspectives pour une réussite réunionnaise à laquelle je crois profondément.