L'envasement du lagon de Mayotte est un problème à prendre au sérieux. La destruction des zones d'alimentation pour les poissons à cause de l'arrivée massive de terre va bouleverser l'écosystème, réduire son dynamisme et donc avoir un impact sur les ressources alimentaires disponibles influençant toute la chaîne alimentaire des espèces vivantes de la zone y compris les êtres humains. Un sujet de notre partenaire France-Mayotte Matin.
Les experts du BRGM autour du projet Leselam ont estimé qu'en 2018, 19 500 tonnes de terre et autres sédiments ont filé droit vers le lagon ; à titre de comparaison ce volume était de 5 000 tonnes en 1950. Sauf qu’au fil des années, la population a considérablement augmenté à Mayotte ; aujourd'hui la croissance démographique de l'île est exponentielle, en 30 ans le nombre d'habitants de Mayotte aurait été multiplié par plus de 3. Les pressions qui en découlent sur la nature sont fortes : logement, déplacement, alimentation, eau…
Sur une île volcanique comme Mayotte dont les pentes sont élevées, cette pression démographique est lourde de conséquences, en effet on estime qu'un hectare déforesté, replanté par des bananes et du manioc, c'est presque 130 tonnes de terre par an qui s’échappent ; elles ne partent pas forcément vers le lagon pour les zones les plus reculées mais en tout cas la terre quitte son espace naturel de vie, appauvrit les parcelles, contribue donc à leur délaissement par les agriculteurs ce qui a rapidement comme conséquence la formation de padzas. C’est un cercle vicieux qui n’a pas de fin.
Dans le cadre de l'étude réalisée par Leselam pilotée notamment par le BRGM, la source première d'érosion et d'envasement du lagon est constituée par les chantiers qu'ils soient légaux ou non, même si ces derniers ont le plus gros impact. Les constructions sont réalisées sans maîtrise des techniques de protection des terres, les matières premières (sable ciment …) ne sont pas protégées du vent. Comme la majorité de la population vit le long du littoral, le plus souvent ces chantiers illégaux sont à proximité des rivages, les conséquences pour le lagon sont directes, la terre se trouve dans les cours d'eau et finit sa course à la mer. Au-delà des chantiers en zone urbaine à proximité du littoral, l'agriculture non contrôlée est aussi source d'érosion, la déforestation de parcelles sur de fortes pentes est de plus en plus fréquente, les arbres sont très vite remplacés par de la culture de manioc et de bananes qui ne retient pas les sols, ce qui accélère le départ des terres. La surexploitation agricole fragilise certains sols qui s’appauvrissent, ils sont délaissés et causent de l'érosion.
Une situation inquiétante qu'il est d'autant plus important d’aborder que les chantiers pointent ici et là. La sensibilisation de chacun aux risques liés à la mauvaise organisation des chantiers est encore insuffisante même si de la documentation est disponible, mais les personnes concernées qui construisent sans permis y ont-elles accès ?
Le projet LESELAM du BRGM actuellement dans sa troisième phase Le projet LESELAM, financé par l’Union européenne dans le cadre du FEADER, s’inscrit dans le cadre de la Feuille de route érosion à Mayotte. Il vise d’une part à comprendre les phénomènes qui conduisent à l’érosion des sols et d’autre part à sensibiliser les populations, élus, associations à adopter des techniques limitant au maximum les pertes de sols, tant en milieu urbain qu’en zone agricole. Sa finalité est de protéger le lagon de Mayotte, l’un des seuls au monde à disposer d’une double barrière récifale. Ce joyau est menacé par les apports de terre venus des "padzas" (terres érodées), des terres agricoles, et des zones urbanisées de l’île, et ce, à un rythme accéléré depuis une vingtaine d’années, du fait de l’explosion démographique que connaît l’île (+62% en 16 ans entre 2002 et 2018), associée à une mutation de l’agriculture. Le projet LESELAM a fait l’objet de deux premières phase de travail : LESELAM 1, de 2015 à 2017, avec comme partenaires le BRGM, le CIRAD, l’IRSTEA, les Naturalistes de Mayotte, et la CAPAM et LESELAM (2018 à 2020) porté par le BRGM et les Naturalistes de Mayotte, avec l’appui de sous-traitants (Université de Tours, Kermap, Capam, Agrikagna, ADINM). Ces deux phases ont permis : La mise en place d’un observatoire Erosion sur trois bassins versants comme base d’une évaluation de l’érosion sur l’ensemble de l’île. Le suivi réalisé dans le cadre de l’observatoire a permis le calage du modèle d’érosion Watersed (Landemaine, 2016), préalable à la modélisation des exports sédimentaires sur l’ensemble des bassins versants de Mayotte, mise en œuvre pour l’année de référence 2018. Après cinq saisons de pluies, l’observatoire LESELAM a permis de montrer un niveau d’érosion : -Très élevé et très dépendant des nouvelles constructions en milieu urbain, lorsque celles-ci ne répondent pas aux bonnes pratiques, en particulier la gestion des remblais lors des chantiers sur terrains pentus (> 10°) ; - Potentiellement élevé en zone agricole sur les parcelles gérées en monoculture manioc / banane sur sols pentus avec sarclage, pratique qui tend à se développer au détriment du traditionnel jardin mahorais ; -Faible à négligeable en zone naturelle forestière, mais forte à très forte sur les padzas qui ne représentent toutefois qu’une partie marginale de la surface de Mayotte. - La réalisation de trois Guides de bonnes pratiques (Agriculture, Urbain et Ravine). - Un travail de sensibilisation des populations et des agriculteurs (films, interventions en milieu scolaire ou associatif...). Une analyse prospective avec la mise en place d’ateliers permettant d’échanger sur plusieurs scénarios envisageables à l’horizon 2035. Les scénarios résultant de cette approche collaborative ont permis la réalisation de cartes d’occupation du sol prospectives et, enfin, de quantifier en terme d’érosion l’impact de ces scénarios sur les exports terrigènes vers le lagon. Fort de l’expérience LESELAM de l’observatoire et de ces travaux prospectifs, une note « stratégique » destinée aux décideurs, dont les Services de l’Etat, a été finalisée dans le but d’asseoir et d’orienter les priorités d’action sur la problématique de l’érosion à Mayotte. Une troisième phase du projet (2021-2023) est en cours, avec pour partenaires le BRGM, les Naturalistes de Mayotte, l’EPFAM et le CEA. Outre la poursuite du suivi de l’observatoire LESELAM, l’objectif de LESELAM 3 est la valorisation des données et des connaissances acquises, en répondant à la problématique de l’usage de l’eau et des conflits qu’ils engendrent sur le bassin de Dzoumogné, au transfert de pratiques tant en milieu urbain (Doujani) qu’agricole (Mro Mohou), qu’aux besoins de communication au niveau général (média) ou éducatif (milieu scolaire). |
Par Anne-Constance Onghéna pour France-Mayotte Matin