Coopération régionale : Les Outre-mer ont « fait avancer la présence des Collectivités locales sur le plan international », assure Wilfrid Bertile

Coopération régionale : Les Outre-mer ont « fait avancer la présence des Collectivités locales sur le plan international », assure Wilfrid Bertile

Présent mardi au Conseil des ministres de l’Indopacifique et mercredi au Conseil des ministres de la Commission de l’Océan Indien, durant lequel la France a passé le relais à Madagascar pour la présidence de cette institution régionale, Wilfrid Bertile a répondu aux questions d’Outremers360. Représentant La Réunion et également ancien secrétaire général de la COI, il revient sur ces deux rendez-vous diplomatiques et évoque la place des collectivités locales, des Outre-mer, dans la diplomatie française.

Outremers360 : La France vient de transmettre le relais de la présidence de la COI à Madagascar. Quel est le bilan de la présidence française de cette instance régionale dans un contexte de crise sanitaire du Covid-19 ?

Il y a une continuité dans l’action de la COI et les présidences tournantes sont annuelles. Il est difficile pour les pays présidant la COI de mener des actions complètes. En général, on termine les actions de ces prédécesseurs et on engage de nouvelles actions. La France a engagé plusieurs actions notamment sur la formation et la mobilité des jeunes avec dans les tuyaux un Erasmus dans l’Océan Indien. La COI a aussi organisé les assises de la formation professionnelle. La France a aussi eu le souci de lutter contre la pollution des océans et a lancé un projet contre la pollution des océans par les matières plastiques. Elle a également engagé un certain nombre d’actions dans l’économie bleue. Cela s’inscrit toujours dans les projets en cours et portés par la Commission de l’Océan Indien.

Quelle est la place exacte de La Réunion dans cette Commission de l’Océan Indien ?

La France a adhéré en 1986 à la Commission de l’Océan Indien, afin de permettre à La Réunion de participer à la coopération régionale. Mayotte n’y est pas puisqu’il y a le véto des Comores qui estiment que Mayotte est Comorienne. Comme la France adhère au nom de La Réunion, la représentation française est menée par le ministre français des Affaires étrangères, mais il s’adjoint toujours de la Région et du Département. Et dans tous les travaux de la COI, la représentation française est une sorte de trinité État-Région-Département, aussi bien au niveau politique que technique, et aussi dans le domaine des « Officiers permanent de liaison », c’est-à-dire les haut-fonctionnaires qui suivent les travaux de la COI entre deux Conseils des ministres.

La veille de ce Conseil des ministres de la COI, vous avez participé au Conseil des ministres de l’Indopacifique. Qu’en est-il de cette réunion ?

La PFUE a organisé à Paris une réunion de coopération renforcée de la zone Indopacifique. Pour développer la connectivité, l’Europe a mis en place un projet, « Global Gateway », doté de 300 milliards d’euros pour intervenir dans les pays Indopacifiques et « contrer » la route de la soie chinoise. C’est en tous les cas une voie parallèle. Dans la stratégie de tension entre la Chine et les États-Unis dans la zone Indopacifique, la France et l’Europe veulent faire entendre une 3ème voix en renforçant la coopération avec les peuples. Ce projet permettra de faire des investissements. D’ailleurs l’Europe et la Chine organisent actuellement des investissements qui seront conjoints puisque, depuis 2 ans, la Chine a levé le pied en Afrique.

Quand on parle de l’influence de la Chine dans l’Indopacifique, on pense surtout à la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie ou le Pacifique en général avec l’Australie, les Salomon ou le Vanuatu. Mais dans l’Océan Indien et notamment à La Réunion, comment ressent-on cette influence ?

L’influence chinoise à La Réunion est relativement faible dans la mesure où La Réunion est une région française. Il n’y a pas grand-chose qui intéresse les Chinois d’un point de vue économique, à part l’aéroport. La Chine essaye de développer son influence par l’intermédiaire de l’institut Confucius, donc une stratégie de « soft power » à La Réunion. Mais les Chinois sont bien présents sur l’île Maurice, aux Seychelles, à Madagascar, au Mozambique mais leur projet de nouvelle route de la Soie ne descend pas au-delà du Kenya dans la mesure où la France est présente dans les TAAF, Mayotte, La Réunion. Cela bloque leur volonté d’influence vers le Sud-ouest de l’Océan Indien.

Ces cinq dernières années, Emmanuel Macron a beaucoup parlé de l’axe, de la stratégie française de l’Indopacifique, est-ce que vous ne craignez pas, avec cette crise sur le sol européen, entre l’Ukraine, la Russie et plus généralement l’Europe, que cet axe Indopacifique soit un peu mis de côté ?

Non car ce sont deux problématiques différentes et deux problématiques aussi importantes l’une que l’autre. La première concerne la sécurité en Europe et la seconde, avec l’Indopacifique qui représente 40% de la richesse mondiale, et qui fait l’objet de tensions entre la Chine et les États-Unis qui se disputent le leadership du monde, nous sommes sur une problématique de croissance et d’approvisionnement de la planète et de savoir qui dominera le monde.

Est-ce qu’il est difficile pour un Département ou une Région d’Outre-mer de faire entendre sa voix dans le grand concert des nations du monde ?

C’est difficile parce que les relations internationales, la diplomatie sont par essence de compétence régalienne. Ce sont les États qui sont les maîtres du jeu dans ce domaine. En France, la diplomatie territoriale prend corps de plus en plus, les Outre-mer ont été précurseurs, même au niveau européen avec les Régions ultrapériphériques. Nous avons beaucoup fait avancer la présence des Collectivités locales sur le plan international. La France et l’Europe ont compris qu’ils pouvaient rayonner dans les bassins géographiques des RUP.

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Par conséquent, c’est pris de plus en plus en compte mais cela n’est pas très simple parce qu’il y a des réflexes séculaires des diplomates qui ne voient pas d’un très bon œil l’arrivée de Collectivités locales dans leur pré-carré international. Mais c’est une évolution bien engagée qui va aller dans le sens d’une plus grande diplomatie territoriale. D’ailleurs, chaque préfet de Région a quasiment un conseiller diplomatique, même en France. Et dans les Outre-mer, grâce au programme européen INTERREG, nous avons des crédits, par exemple 62 millions entre 2021 et 2027 à La Réunion, pour investir dans la région, travailler avec les pays de notre zone et faire avancer le développement régional.