À Mayotte, l’exploitant agricole Anfane Said cultive Zatru Mila, une révolution verte et enracinée

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À Mayotte, l’exploitant agricole Anfane Said cultive Zatru Mila, une révolution verte et enracinée

C’est depuis le village de Vahibé qu’Anfane Said, ancien professeur de Sciences de la Vie et de la Terre, dirige Zatru Mila, une exploitation de cinq hectares. Près d’un an après le cyclone Chido qui a ravagé ses infrastructures, ce titulaire d’un master en biologie végétale et santé relance ses cultures de café, gingembre, piment, poivre ou encore vanille. Ce passionné, qui prône une agriculture naturelle sans pesticides, co-pilote également le groupement Bio Mayotte, qui rassemble une trentaine de producteurs. Son ambition : prouver que l’agriculture mahoraise peut être rentable et contribuer à l’autonomie alimentaire, dans un territoire où la majorité du foncier agricole reste sous-exploité.

Finaliste de la 10ème édition d’Innovation Outre-Mer en 2025, l’exploitant agricole originaire de Mayotte Anfane Said prépare désormais le lancement de ses premières filières de transformation en mars 2026. Avant cela, il y aura le grand rendez-vous du Salon de l’Agriculture, du 21 février au 1ᵉʳ mars 2026. Si les prochaines semaines s’annoncent intenses pour l’agriculteur mahorais, il faut le dire : il revient de loin. 

« Les infrastructures avaient pris cher avec Chido », reconnaît celui qui a obtenu le label Agriculteur biologique en 2024. « On a été aidés financièrement, mais le plus important, c’était de reprendre les productions. D’ici quelques mois, on s’approchera d’un rythme de production comme avant. On a confiance. » Pour Anfane Said, cette épreuve a aussi confirmé l’urgence de son combat. « Quand on s’est retrouvés coupés du monde, sans aéroport, sans port, la question de l’autonomie alimentaire n’était plus un simple discours porté par des politiques. C’est passé du simple discours à la nécessité d’agir concrètement. » 

À Vahibé, cette nécessité se traduit par un projet pensé dès l’origine comme un modèle duplicable : Zatru Mila n’est pas seulement une exploitation agricole, c’est un prototype de filière intégrée qui combine production naturelle, transformation locale et structuration collective. Zatru Mila se situe à la croisée des savoirs traditionnels hérités et de la science agronomique contemporaine, pensée comme un outil de prévention : un laboratoire pour une agriculture mahoraise capable de nourrir ses habitants tout en préservant ses sols. Le nom même de la structure, qui signifie « nos traditions » en shimaore, est un hommage à ses racines. « J’ai grandi dans les champs de mes grands-parents, où personne n’utilisait de produits chimiques. » Cette mémoire d’une agriculture 100 % naturelle devient son fil rouge.

Un pari à 300 000 euros

Au départ, Anfane Said se lance dans une licence de biologie végétale après le bac. Il poursuit ensuite avec un master en biologie végétale obtenu en 2012. « L’objectif était d’étudier les bonnes pratiques et de ne pas refaire les mêmes erreurs.» De retour à Mayotte en 2017, il enseigne les Sciences de la Vie et de la Terre, mais le projet agricole ne le quitte pas. Le plus dur commence alors pour lui : trouver du foncier. Pendant deux ans, Anfane Said démarche en vain mairies et institutions pour accéder à la terre. « Je ne voulais pas être juste un conseiller qui dit aux gens : faites ceci, faites cela. Je voulais vraiment être un producteur, avoir une crédibilité quand je discute », insiste-t-il. 

C’est finalement grâce à un prêt bancaire de 300 000 euros, octroyé en 2019, qu’il se lance. Sa stratégie repose sur deux piliers : une culture à rotation rapide qui génère des revenus immédiats. Le gingembre, vendu brut, rapporte entre 35 000 et 42 000 euros par an. « C’était la culture stratégique. Elle permet d’entretenir le fonctionnement et de payer le prêt en cours », explique-t-il. Adossées à cela, des cultures pérennes à haute valeur ajoutée, destinées à la transformation locale : café, poivre, thé, vanille, piment. Huit tonnes de café sont déjà accumulées, les poivriers et les piments arrivent à maturité. « On souhaite maîtriser nos chaînes de transformation de façon à créer de la plus-value pour que ces agriculteurs qui vivent de leur passion puissent prétendre vivre dignement, plutôt que d’écouler les produits bruts. » Dès mars 2026, les premiers produits transformés seront mis en vente. 

Mais pour Anfane Said, l’autonomie alimentaire ne peut pas reposer sur quelques exploitations isolées. Elle nécessite une structuration de la filière et, surtout, un déblocage de l’accès au foncier. « Quand vous survolez l’île de Mayotte, vous vous apercevez qu’en termes de terres agricoles, plus de 80 % du foncier n’est pas professionnellement exploité. On a des agriculteurs formés sans foncier, et des détenteurs de foncier qui ne l’exploitent pas. Les particuliers ne le savent pas, mais s’ils ont du foncier agricole et qu’il n’y a pas de projet en cours, ils peuvent le mettre en location auprès de professionnels identifiés. On peut tous contribuer à ce que cet objectif d’autonomie alimentaire ne reste pas juste au stade de l’intention. »

Transparence, pédagogie et rayonnement

Pour atteindre ces objectifs, Anfane Said crée, avec d’autres acteurs dont l’Établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte (EPFAM), le groupement Bio Mayotte. L’idée : fédérer des agriculteurs dont les sols n’ont jamais été en contact avec des pesticides et qui pratiquent une agriculture naturelle, tout en répondant aux exigences du label bio.« Le législateur veut qu’on s’appelle bio, mais nous sommes des agriculteurs qui faisons des pratiques naturelles », précise le porte-parole du groupement. 

Aujourd’hui, Bio Mayotte rassemble 37 exploitants labellisés, mais l’objectif est d’en intégrer davantage. « Il y a d’autres agriculteurs qui ont les mêmes pratiques, à travers les sorties que l’on fait sur le terrain. » Le groupement permet de mutualiser les approvisionnements, notamment via une pépinière alimentée en plants locaux et résilients, de partager les expériences, et surtout d’atteindre un volume de production suffisant pour alimenter les futures chaînes de transformation. « Ce qu’il nous faut, c’est agrandir le foncier pour chaque exploitant ciblé avec le label, afin d’augmenter la productivité. Étant donné que nous allons lancer la transformation, il faut une offre suffisante pour être rentables et créer une attractivité autour de cette filière. » 

Parmi les autres axes de développement mis en avant par l’exploitant : la transformation locale comme levier de création de valeur. « Si vous regardez le clou de girofle, c’est un produit très présent à Zanzibar et à Madagascar, sauf qu’il n’y a aucune chaîne de transformation. Ce sont les Indonésiens qui viennent fixer leurs prix et transformer ailleurs. À Mayotte, on a des excédents de fruits à pain, alors que les chips de fruit à pain sont parmi les meilleures. Des collègues ont réussi à le faire en Guyane. »

L’idée est donc, à l’échelle régionale, de lancer les premières chaînes de transformation et de couvrir, petit à petit, d’autres produits. Anfane Said mise sur des produits de qualité, une crédibilité économique, mais aussi sur la transparence pour enclencher la dynamique.

« Chaque consommateur pourrait accéder aux sites, voir ce que l’on fait et comment on le fait, en s’appuyant sur un organisme certificateur rigoureux en matière de contrôle. » En attendant, c’est au Salon de l’Agriculture que le public pourra découvrir certains de ces produits. « On va continuer à occuper le terrain de la production et à participer à tous les événements possibles. »