C’est un moment d’histoire et d’émotion qui s’est joué avec la présentation du futur Mémorial rendant hommage aux victimes de l'esclavage, appelé à s’élever au Trocadéro, face à la Tour Eiffel. Lieu de mémoire, de recueillement et de transmission, il portera dans la pierre les noms de plus de 215 000 esclaves affranchis en 1848, inscrivant définitivement leurs destins dans le récit national.
Le projet architectural du futur mémorial national des victimes de l'esclavage dans les jardins du Trocadéro au pied de la tour Eiffel, a été présenté jeudi à Paris lors du comité de pilotage du Mémorial national des victimes de l'esclavage au ministère des Outre-mer, en présence de Manuel Valls, ministre des Outre-mer, de Serge Romana, co-président du Mémorial national des victimes de l'esclavage, du maître d'œuvre du comité et de représentants de bénévoles ayant travaillé sur ce projet.
Pour Serge Romana, co-président de comité de pilotage et figure majeure du combat mémoriel, ce mémorial est l’aboutissement d’un long chemin. « Il a fallu beaucoup de combat. Il a fallu convaincre les ministres, les présidents… À lui seul, ce cheminement dans la République française est une histoire à part entière », confie-t-il. Mais pour lui, il ne s’agit que d’une étape : « Le mémorial est un élément qui permet d’inverser la honte. Lorsque les autorités politiques honorent les personnes nées dans l’esclavage, cela permet de transformer la honte en dignité ».

Ce projet est aussi le fruit de trente années de recherches patientes. Des milliers de bénévoles ont épluché archives et registres afin de reconstituer les filiations. Comme le rappelle Corinne Jacoby-Koaly, secrétaire du CM98 : « Notre souci, c’était d’abord de retrouver toutes ces personnes qui n’étaient inscrites nulle part. Aujourd’hui, les archives sont un bien pour tout le monde ».

Un lieu universel
Le choix du site n’est pas anodin : au jardin du Trocadéro, face à la Tour Eiffel et à proximité du lieu où fut adoptée la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, le mémorial s’adressera au monde entier. « Ériger là ce mémorial, c’est rappeler que notre histoire, faite d’ombre et de lumière, est aussi et d’abord une histoire universelle », a déclaré le ministre des Outre-mer. Et d’ajouter : « La mémoire de l’esclavage n’appelle pas la division… mais une volonté de réconciliation.Notre responsabilité, c'est de dire avec force que l'esclavage fut un crime contre l'humanité et que la République ne veut ni oublier, ni détourner le regard»».
Promesse du président de la République Emmanuel Macron à l'occasion du 170e anniversaire de la signature du décret d'abolition de l'esclavage, le 27 avril 2018, le mémorial de plus 4.000 m² va prendre la forme d'un jardin intégré au sein des jardins du Trocadéro, ont détaillé au ministère le paysagiste Michel Desvignes et l'architecte Philippe Prost, qui l'ont imaginé.
Le jardin sera parcouru par deux chemins principaux, l'un retraçant l'histoire de l'esclavage et de son abolition, et l'autre, "le chemin des Noms", où seront inscrits les prénoms et noms de 215.000 esclaves affranchis en 1848 dans les territoires ultramarins, ont détaillé les concepteurs du jardin mémoriel.
Au centre d'une retenue d'eau, une "île des esclaves sans nom" rendra hommage par quatre stèles de lave brute aux quatre millions de victimes de l'esclavage (de 1635 à 1848) dont les noms restent inconnus, ont-ils ajouté.
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Une mémoire incarnée
Le mémorial n’est pas conçu comme un monument aux morts, mais comme un hommage à la résistance. « Il dit aux descendants que vous êtes aussi les héritiers de femmes et d’hommes résistants et dignes », a affirmé le ministre. Pour Corinne Jacoby-Koaly, ce travail prend aussi une dimension personnelle : « Dans les archives, j’ai retrouvé que mon nom composé venait de deux personnes, Jacoby et Koaly… Ce mémorial, c’est la concrétisation d’une quête personnelle et collective pour redonner une existence à ceux qui avaient été effacés ».


«Un acte républicain puissant»
Présenté comme une « œuvre de justice » et un « acte républicain puissant », le mémorial se veut un outil contre les discriminations d’aujourd’hui et un guide pour les combats futurs. « La République ne cache pas ses ombres, mais les éclaire pour mieux préparer l’avenir », a souligné le ministre.
Serge Romana veut aller plus loin, au delà de la mise en place de ce mémorial : il rêve d’un outil numérique permettant à chacun de retrouver son histoire familiale, de savoir « dans quelles habitations ses ancêtres ont vécu, avec qui ils travaillaient », afin que les descendants « puissent se promener dans leur histoire comme on se promène dans un jardin ».
L’inauguration du mémorial est prévue pour début 2027, en présence du Président de la République. La remise solennelle des listes de noms a déjà marqué une étape forte. « Aujourd’hui, nous faisons entrer ces destins dans la mémoire nationale et nous leur rendons la dignité qu’ils méritent pleinement », a déclaré Manuel Valls.