Un champ d’îles : Marseille, porte d'entrée des artistes des Outre-mer

© Outremers360

Un champ d’îles : Marseille, porte d'entrée des artistes des Outre-mer

Ils étaient nombreux, vendredi soir, à avoir assisté au lancement de la 1ère édition de « un champ d’îles » de la Friche Belle de Mai, à Marseille. Beaucoup de résidents, de professionnels, d’amoureux des arts et des Outre-mer ont pu ainsi découvrir les expositions Des grains de poussière sur la mer – sculpture contemporaine des Caraïbes françaises et d’Haïti – ainsi qu’Astèr Atèrla (ici et maintenant en créole réunionnais) avec de nombreux artistes de La Réunion. L’opération dédiée à la mise en lumière de la création contemporaine des Outre-mer qui se tiendra jusqu’au 2 juin s’annonce déjà comme un succès qu’il faudrait renouveler.

 

Il est 18 h 45. Au milieu de la foule, entre plusieurs œuvres réunionnaises, un étrange personnage déambule. Recouvert de tissu et de fils, son visage est couvert. On entend ses pas, sa voix. Les visiteurs, curieux, le suivent, tandis qu’il s’arrête face à un tableau, puis, au milieu de la salle. « Nous ne nous connaissons pas, mais entendez nos voix. Elles sont multiples, de la même manière que la palette qui anime nos carnations ». L’artiste qui parle s’appelle Hasawa. C’est un conteur, un chaman. Il est aussi le guide, le gardien, le protecteur et le passeur d’Astèr Atèrla, cette exposition qui regroupe 34 artistes de La Réunion au cœur de la Friche de Marseille.

Lire aussi : 1ère édition de « Un Champ d’Îles » : Un premier rendez-vous à Marseille pour donner de la visibilité aux artistes ultramarins du champ des arts visuels dans l’hexagone

 Pour Julie Crenn, commissaire de l’exposition, Astèr Atèrla « va faire histoire dans l’Histoire de l’art réunionnais. C’est en effet la première fois qu’il y a autant d’artistes réunionnais réunis autour d'un tel projet ». L’événement est donc inédit et il a attiré les foules. Difficile de circuler entre les différents étages du bâtiment de la Friche où sont repartis près de 60 œuvres, en tout genre. Un peu plus bas, c’est l’exposition Des grains de poussière sur la mer – sculpture contemporaine des Caraïbes françaises et d’Haïti- qui attire l’attention des visiteurs, pour le plus grand bonheur d’Alban Corbier-Labass, directeur général de la Friche la Belle de Mai. « C’était une évidence d’accompagner ces actions. J’ai travaillé dans les territoires ultramarins pour aider à promouvoir ces artistes et je sais que lorsque l’on veut les promouvoir à l'International, nous nous heurtons souvent à un mur : celui de l'océan, de la distance, de la méconnaissance...  Aussi quand la directrice du Fonds régional d'art contemporain de La Réunion m'a dit : on a cette exposition magnifique…Est-ce que tu peux l'accueillir ? J'ai pris un soin tout particulier à répondre favorablement. Aujourd’hui, nous ne pouvons que nous réjouir de voir que le public marseillais s'intéresse autant à ces œuvres, à ces artistes qui semblent, pour certains, venir de loin ». C’est d’ailleurs pour lutter contre cette méconnaissance que des journées professionnelles ont également été organisées avec la thématique : Loin ne veut pas dire petit.

© Outremers360

Plus de visibilité pour plus de reconnaissance

Un champ d’îles, c’est : 2 expositions, 2 journées professionnelles, mais également un programme de performances, 1 web documentaire et 2 festivals qui se dérouleront le 4 mai et du 30 mai au 2 juin pour clôturer ce temps fort ultramarin. « Depuis que cela s’est su, nous avons eu énormément de sollicitations. Nous ne pouvons pas tout faire, mais cela montre bien l'ampleur du besoin de diffusion et de la nécessité pour ces artistes d'être visibles dans l'Hexagone », indique Alban Corbier-Labass. « Sans l’aide des ministère de la Culture et celui chargé des Outre-mer, nous n’y serions pas arrivés. Nous espérons qu'il y aura une suite. Une fois l'opération terminée, nous irons voir nos partenaires : la ville de Marseille, la région, les entreprises, les ministères... Marseille, ce n’est pas Paris, mais Marseille est une porte d'entrée pour les artistes ultramarins. Nous sommes un carrefour et ce temps fort des Outre-mer a toute sa place ici ». Pour les artistes de l’exposition Astèr Atèrla, le pari de la visibilité pourrait être gagné après un long parcours. Julie Crenn, à l’origine du projet revient sur ses débuts. « J’ai rencontré certains de ces artistes, il y a 10 ans. C’était la première fois que je venais à La Réunion. Je suis revenue, à plusieurs reprises, sur invitation du Frac de La Réunion. On me demandait ce que je faisais là-bas, sous-entendant qu’il n’y avait pas d’artistes à La Réunion. De là, l’idée est venue de proposer à la directrice du Frac, Béatrice Binoche, de présenter une exposition en France continentale ». L’affaire ne se fera pas sans mal. Il faudra plusieurs années avant que le projet n'aboutisse. La satisfaction n’en est que plus grande pour les artistes et ceux qui les accompagnent : aujourd’hui, l’exposition Astèr Atèrla occupe 2 étages de la Friche de Marseille, sur une superficie de 1400 m2 après avoir été visible plusieurs mois au Centre de Création Contemporaine Olivier Debré (CCC OD).

Des thématiques pour comprendre des histoires dans l’Histoire

Ainsi, durant ces quatre prochains mois, les 26 artistes issus de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane française et d’Haïti et les 34 artistes de La Réunion proposeront aux visiteurs un voyage historique, parfois mémorial, souvent emprunt des réalités de leurs territoires insulaires. Nathie et son amie Amel ont 27 ans. Les deux jeunes femmes se préparent à partir en Guadeloupe dans quelques jours. « On a regardé beaucoup de contenus sur les réseaux sociaux pour préparer notre voyage, mais je me rends compte qu’on ne sait pas grand-chose des Antilles », souffle Nathie, perplexe devant l’œuvre du Martiniquais Jean-François Boclé intitulée Consommons racial ! L'œuvre composée d'emballages de produits de consommation retrace une frise de l’idéologie racialiste qui représente selon l'artiste « la perdurance de la colonialité ».

© Outremers360
© Outremers360

Autre œuvre qui interpelle, deux étages au-dessus : les photographies des artistes Kako et Stephane Kenkle. Dans une série de portraits, les deux amis se mettent en scène en s’enterrant pour fusionner avec leurs cultures. « Il y a quelques années, ces deux amis ont décidé de déplanter la canne sur un terrain de la famille de Kako à Montvert-Les-Hauts. Depuis, ils cultivent un potager immense », raconte la commissaire de l’exposition d’Astèr Atèrla. « Ils vendent leur production tous les vendredis. Avec l'argent de cette production, ils entretiennent cette Kour Madame Henry. Ils plantent aussi des arbres endémiques, avec l'idée de recréer une forêt vierge pour les générations futures et accueillent des étudiants et des étudiantes de l'école d'Art du Port pour des stages, pour faire comprendre que planter est un geste aussi politique qu'artistique. Il y a tout un travail de pédagogie, de militantisme pour parler de la non-autonomie alimentaire à La Réunion, de cette omniprésence de la canne, de cette hérésie économique, sanitaire, écologique que représente la culture de la canne qu’au sens des artistes et de beaucoup de personnes à La Réunion, il est temps de repenser». 

Parmi les autres sujets évoqués par les artistes, on retrouve, à travers des peintures, des photographies, des sculptures, des tissages ou encore des vidéos, des œuvres autour de l'héritage, du patrimoine, de l’ancrage à son territoire et à sa région... Au total, ce sont au total plus de 2000 m2 qui sont consacrés à ces deux expositions jusqu’au mois de juin, à Marseille, dans le cadre de ce champ d’îles.

© Outremers360

 Au total, ce sont au total plus de 2000 m2 qui sont consacrés à ces deux expositions jusqu’au mois de juin, à Marseille, dans le cadre de ce champ d’îles.

Abby Said Adinani