Alors que le CESE adopte son avis « Pour des bâtiments plus durables grâce à une ambitieuse politique de rénovation », rapporté par Didier Gardinal, les contributeurs de la délégation aux Outre-mer, Hélène Sirder et Jean-Yves Lautridou, souhaitent mettre en avant les enjeux propres aux Outre-mer trop souvent laissés pour compte des politiques de rénovation. Il s’agit de changer de paradigme pour que les Outre-mer puissent bénéficier pleinement d’un habitat durable et innovant qui intègre les avancées environnementales.
La notion même de « bâtiment durable » qui consiste à rendre accessible à tous un habitat décent et sain tout en s’attachant à améliorer sa performance environnementale, doit être mise en perspective lorsqu’on l’applique aux Outre-mer. Ainsi, pour nous, la résorption de l’habitat informel, précaire ou dégradé, et l’adaptation des espaces aux modes de vie locaux sont des priorités qui doivent faire partie d’une transition écologique ambitieuse. Il ne s’agit pas d’opposer le social et l'environnement mais bien d’allier les deux.
N’oublions pas que le bâtiment le moins durable est l’habitat informel car il est très consommateur de foncier et destructeur pour l’environnement. A Mayotte et en Guyane, faute d’offre suffisante de logement social, celui-ci croît plus vite que le logement légal et c’est déjà un problème majeur pour l’environnement, mais également le ferment d’un risque d’explosion sociale. Il faut par ailleurs tenir compte des dynamiques démographiques de chaque territoire et du vieillissement rapide de la population, particulièrement en Martinique et en Guadeloupe. Les résultats insuffisants du Plan logement Outre-mer montrent qu’il est nécessaire de retenir une approche beaucoup plus ancrée dans les réalités des territoires, où la question foncière est presque partout déterminante, en impliquant plus directement les communes et leurs groupements. Le rapport d’Action logement, Pour un plan volontaire et innovant, de juin 2019, propose un diagnostic et des mesures territorialisées dont l’Etat et les acteurs locaux doivent à présent se saisir. La mobilisation doit être lancée et nous préconisons une grande loi sur le logement en Outre-mer qui prenne en compte l’urgence sociale avec des mesures exceptionnelles.
L’enjeu à présent est de construire mais aussi de rénover durablement. Les matériaux de construction traditionnels ont longtemps été puisés dans la nature et les architectures se sont adaptées au climat et à l’environnement. Nous devons nous en inspirer. La transposition de normes constructives et de manières de vivre importées au cours des dernières décennies a été une erreur tant sur le plan humain qu’écologique. Beaucoup d’habitants se plaignent des conditions de logement : humidité, suroccupation, nuisances sonores, absence d’eau chaude… Le recours systématique au « tout béton » a eu pour effet de générer une rupture dans les modes de vie. La rénovation doit donc apporter un meilleur confort tout en réduisant le recours systématique à la climatisation qui génère une surconsommation énergétique importante. On sait à présent réduire ces besoins en construisant des bâtiments traversants, en ne climatisant qu’une partie des espaces de vie ou mieux encore en favorisant une ventilation naturelle, en évitant l’ensoleillement direct et les îlots de chaleur, et en utilisant des chauffe-eau solaires. Confrontés aux risques naturels et à des conditions difficiles, les maîtres d’ouvrage ultramarins disposent de nombreux atouts pour innover dans l’adaptation au changement climatique.
L’enjeu est aussi de développer les filières locales de construction durable. Les grandes tendances sont déjà perceptibles : le recours à la conception bioclimatique, la valorisation de l’architecture vernaculaire, la densification des villes, la décarbonation des procédés constructifs, l’augmentation des matériaux de récupération ou issus du recyclage, le traitement des espaces publics extérieurs comme régulateurs thermiques, l’habitat « léger »… Autant de pistes à appuyer qui permettront de mieux maîtriser le bilan carbone et énergétique des bâtiments. Il y a néanmoins une réelle complexité à changer de mode de construction, car une construction durable peut conduire à augmenter le coût du gros œuvre d’environ un tiers, tout en permettant des économies sur le long terme. Pour changer de mode constructif et privilégier une production moins carbonée, il nous faut sortir du cadre de l’expérimentation qui prévaut aujourd’hui, normaliser les procédés et développer de véritables filières. Cette transition, avec la mise en place d’un modèle économique adéquat, devra être accompagnée par les pouvoirs publics pour se structurer.
Hélène Sirder, conseillère Outre-mer (Guyane)
Jean-Yves Lautridou, conseiller au CESE, représentant des salariés (CFDT)