Journalistes, écrivains, personnalités du monde audiovisuel, influenceurs, figures de la société civile, sportifs, médecins, bénévoles... Ils viennent de tous horizons et partagent un lien profond avec les Outre-mer. À travers la série Regards des Outre-mer avec..., Outremers 360 vous invite à explorer les parcours inspirants de ces personnalités, qui, par leur engagement et leur talent, incarnent la richesse et la diversité de nos territoires et contribuent à la compréhension de ce qu'est véritablement l'archipel France.
Cette semaine, Outremers360 a rencontré Véronique Roger-Lacan, Ambassadrice de France dans le Pacifique en poste à Nouméa. Avec un parcours exceptionnel qui a débuté à l’ONU, Véronique Roger-Lacan incarne l’engagement pour un dialogue apaisé et l’harmonisation des cultures. Dans un entretien exclusif pour Outremers360, elle revient sur le contexte dans lequel elle a pris ses fonctions en Nouvelle-Calédonie, offrant un regard éclairant sur les défis que représente sa mission. Elle livre également un message inspirant pour la jeunesse ultramarine, soulignant l'importance du vivre-ensemble et du respect des diversités, piliers d’un avenir en commun dans une région riche et complexe.
Construire le vivre-ensemble en Nouvelle-Calédonie et harmoniser les cultures dans le Pacifique
Alors que les députés viennent d'approuver le report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, repoussant l'échéance de décembre 2024 à novembre 2025, cette décision, attendue de Paris à Nouméa, se révèle cruciale pour apaiser les tensions. Elle vise à renouer les liens d’un dialogue apaisé dans un climat encore marqué par les émeutes de mai dernier, illustrant la fragilité de la situation sécuritaire et politique.
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A son arrivée en Nouvelle-Calédonie en octobre 2023, Véronique Roger-Lacan prend ses fonctions dans un contexte hautement sensible, à la suite de la visite du Président Emmanuel Macron en juillet, venu réaffirmer l’engagement de la France dans le Pacifique. Malgré la fin du cycle en 2021, des référendums de l’accord de Nouméa de 1998, avec trois consultations toutes en faveur du maintien dans la République française, les tensions ont perduré, exacerbées par la décision de l’Union calédonienne de se retirer en septembre 2023, des négociations organisées à Paris, signalant des frustrations toujours vives dans le camp indépendantiste. Les émeutes du mois de mai ont par la suite révélé l’ampleur des divisions et la fragilité de la situation sécuritaire et politique sur le territoire.
Dans ce contexte délicat, la mission de Véronique Roger-Lacan se révèle être une tâche complexe et essentielle. Dans son domaine de compétences, les relations extérieures, elle doit à la fois traiter avec toutes les parties en Nouvelle-Calédonie et rappeler les termes de l’accord de Nouméa, qui invite les signataires à « examiner la situation ainsi créée » pour envisager de nouvelles voies vers un « vivre-ensemble » y compris, en ce qui la concerne, pour le rayonnement de la Nouvelle Calédonie à l’étranger.
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Selon l’Ambassadrice, « le report des élections offre aux acteurs politiques un temps pour renouer le dialogue sans la pression immédiate des échéances électorales. Ce projet, tourné vers la réconciliation de toutes les communautés de Nouvelle-Calédonie, représente une avancée vers un avenir commun. »
Cette vision harmonieuse du vivre-ensemble anime Véronique Roger-Lacan depuis son enfance. Son engagement prend racine dans une histoire familiale marquée par la diversité, la tolérance et le respect culturel. Ayant grandi entre le Vietnam, le Maroc et l’Éthiopie, elle a hérité de ses parents originaires de Pondichéry en Inde, enseignants et fervents défenseurs du dialogue interculturel, des valeurs de respect et de partage. Elle entame sa carrière internationale aux Nations Unies, où les idéaux d’universalité et de paix inscrits dans la Charte de l’ONU façonnent son parcours.
Pendant près de trente ans, elle mène des missions stratégiques en Asie du Sud-Est, en Afghanistan et au Sahel, abordant des enjeux cruciaux tels que la sécurité, la lutte contre la piraterie maritime et la préservation du patrimoine culturel. En tant que Déléguée permanente de la France auprès de l'UNESCO, elle défend avec succès des candidatures prestigieuses, notamment celle des volcans et forêts de la Montagne Pelée ainsi que les pitons du Nord de la Martinique inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco en septembre 2023, ainsi que l'inscription de « Te Henua Enata – Les îles Marquises », officialisée en juillet 2024. Forte de son expérience, elle comprend que la diplomatie repose avant tout sur la compréhension mutuelle pour défendre des intérêts communs.
Portée par cet héritage, elle poursuit aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie sa volonté de contribuer à la paix dans la région du Pacifique Sud, privilégiant un dialogue apaisé en Nouvelle-Calédonie dans son domaine de compétence, et promouvant un avenir commun fondé sur la stabilité et la coopération.
"Friends to all, enemy to none "
Véronique Roger-Lacan a à cœur de construire cet avenir commun avec les partenaires régionaux, dans un contexte où les enjeux sécuritaires et climatiques deviennent cruciaux pour le Pacifique. Dans cette optique, comme chaque année, la France a participé cet été au sommet du Forum des Îles du Pacifique (FIP), une organisation stratégique rassemblant 18 États et territoires de la région, incluant la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, membres à part entière depuis 2016. La France, comme la Chine, les Etats-Unis, la Turquie, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne, ou d’autres Etats n’en est pas membre direct, mais a le statut de partenaire de dialogue, contribuant aux discussions sur le changement climatique, la sécurité régionale et la coopération. C’est en 2021 que ce forum a adopté la « Stratégie 2050 du Continent Bleu », qui fixe des objectifs communs pour l’économie bleue et la résilience climatique.
Parmi les sujets sensibles abordés lors du 53ème sommet du FIP en 2024, des propositions ont été débattues, pour tenir compte des activités croissantes de la Chine dans le Pacifique et de leur analyse à l’aune de la sécurité régionale et de l’ordre public international. Un sujet est notamment le respect de la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer. Cette convention définit les droits des États sur leurs zones économiques exclusives mais ne régit pas la question de l’exploitation des ressources en haute mer. L’expansion des activités chinoises dans les grands fonds marins peut ainsi être perçue par certains États comme un défi pour la stabilité régionale et le respect des droits économiques et sociaux des populations du Pacifique : « La Chine, tout comme la France, est un partenaire de dialogue du Forum des Îles du Pacifique. Les États et territoires de la région adoptent une approche pragmatique, suivant le principe « Friends to all, enemy to none », [amis de tous, ennemis de personne, ndlr] ce qui les pousse à coopérer autant avec les uns qu’avec les autres en fonction de leurs intérêts partagés. Certains pays, notamment l’Australie et la Nouvelle-Zélande, veillent à ce que cette ascension de la Chine dans le Pacifique se fasse dans le respect du droit international public, notamment la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer. Cette convention régit notamment les délimitations maritimes qui relèvent de la compétence des États, et ce qui relève de la haute mer, au-delà de la souveraineté des États. En outre, certains estiment que l’influence croissante de certains États peut s’accompagner d’un recul des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ce qui suscite des inquiétudes au sein de la communauté internationale. Le Forum des Îles du Pacifique navigue entre ces rapports de force et cherche à maintenir un équilibre dans les enjeux géopolitiques qui façonnent la région. » souligne Véronique Roger-Lacan.
Les enjeux géopolitiques du climat
L'exploitation des grands fonds marins représente un enjeu climatique et écologique majeur pour la région du Pacifique. Des territoires comme les Îles Cook et Nauru souhaitent exploiter les nodules polymétalliques riches en nickel et cobalt présents dans leurs fonds marins, arguant que cette exploitation pourrait se faire sans nuire à la biodiversité marine, contrairement aux méthodes d'exploitation terrestre. Cependant, certains estiment que cette activité comporte des risques considérables pour l'écosystème marin, menaçant la biodiversité des océans et la stabilité écologique mondiale. Cet enjeu illustre la tension entre les besoins économiques des petits États insulaires, qui espèrent devenir autosuffisants sans dépendre de l'aide au développement ou des réparations pour le climat, et la préservation de l'environnement global.
Ces activités influencent profondément le dérèglement climatique qui demeure une préoccupation essentielle dans le Pacifique, avec des impacts dramatiques tels que la montée des eaux qui menace d’engloutir des archipels entiers à l’horizon 2100. Pour y faire face, la coopération se structure autour de deux axes : juridique et opérationnel. Sur le plan juridique, certains États insulaires, comme Tuvalu, plaident pour une révision du droit international afin de préserver leur souveraineté, même en l’absence de territoire terrestre, en conservant leur Zone Économique Exclusive (ZEE). La France, en tant que partenaire de dialogue, étudie les tenants et les aboutissants de cette approche, consciente de ses implications en droit international.
Enfin, un autre volet crucial concerne la responsabilité des grands émetteurs de gaz à effet de serre, car les pays du Pacifique, bien que parmi les moins responsables, subissent de plein fouet les effets du dérèglement climatique.
Plus largement, les territoires d'outre-mer, à la fois éloignés et au cœur des dynamiques régionales, sont particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique : « On a souvent évoqué le fait que la France, grâce à ses territoires, dispose de la deuxième plus grande zone économique exclusive au monde après celle des Etats-Unis. Il s’agit aujourd’hui de gérer cet espace de manière consensuelle et mutualisée avec les territoires tout en tenant compte du droit des uns et des autres à l’auto-détermination. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, qui bénéficient d’investissements significatifs de l’État d’environ deux milliards d'euros par an chacune, sont devenues des pôles d’innovation et de stabilité dans le Pacifique, rayonnant par les projets de recherche et l’expertise qu’y déploient des enceintes comme l’Institut de Recherche pour le Développement ou l’IFREMER pour ne citer qu’eux. Des partenariats économiques et de coopération renforcent encore cette dynamique, permettant d’affirmer une diplomatie collaborative. »
L’avenir des outre-mer se construit avec la jeunesse ultramarine
Pour bâtir cet avenir commun, la jeunesse ultramarine, porteuse des ambitions de demain, joue un rôle clé. Véronique Roger-Lacan les encourage à croire en leur immense potentiel et à saisir les opportunités qui les attendent : « Les universités de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie offrent des formations de grande qualité, permettant à ces jeunes de se projeter vers l’international tout en valorisant leurs identités propres. Bien que leurs territoires puissent sembler isolés, l’océan qui les entoure est un lien fort avec le reste du monde. À cette jeunesse, nous tentons d’offrir des opportunités de connectivité et d’échanges pour aller au-devant des autres cultures et cultiver le bilinguisme, car leur francophonie est un atout précieux pour bâtir des ponts avec leurs voisins anglophones. Dans leurs parcours, qu’ils sachent que le principe d’autodétermination est inscrit dans la constitution française et que l’Assemblée générale des Nations Unies définit cette autodétermination en trois options, l’indépendance, l’État-association et l’intégration dans un État déjà indépendant. L’autodétermination doit donc être un objectif poursuivi dans la légalité et le dialogue. Plutôt que de céder à la violence ou à des discours extrêmes ou simplistes, il est essentiel par le biais de réflexions consolidées, de bâtir un avenir stable et prospère pour leurs territoires. C'est avec cet engagement lucide et ouvert sur le monde qu’ils pourront, demain, faire rayonner leurs territoires au-delà des océans. »
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