Regards d'Actu-Stéphane Artano, sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon: «On ne demande pas à l'État de faire à la place des élus mais simplement de montrer la voie»

Tous les quinze jours, Outremers 360 vous propose son nouveau format «Regards d’actu avec ….». Une série dans laquelle nos invités livrent leurs regards, leurs analyses sur des faits d’actualités ou des thématiques qui marquent leur territoire. Pour ce nouvel épisode, nous donnons la parole à Stéphane Artano, sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon et président de la délégation sénatoriale aux Outre-mer. Il aborde entre autres les thématiques du développement économique et maritime de Saint-Pierre-et-Miquelon, le logement Outre-mer, la décentralisation, les différents travaux de la délégation sénatoriale aux Outre-mer et les futurs travaux.

 

 

Rencontre avec les Maires d'Outre-mer
«Nous avions organisé ce débat avec la volonté du Président Larcher et de la délégation, de pouvoir donner la parole aux maires de manière totalement libre et sans filtre. Nous avons également invité, donné la parole en priorité aux présidents de l'Association des maires, puis aux maires.

La volonté était pour nous de faire un état des lieux des freins qu'ils rencontrent au quotidien dans leur gestion de leur municipalité, chacun dans leur territoire respectif. Nous avons pu évoquer évidemment la gestion des déchets sur lequel le Sénat va bientôt restituer un rapport, les entendre aussi sur les freins qu' ils identifient en tant que maire, voir si finalement la réponse à ces freins ne passe peut-être pas par une révision institutionnelle. C'est un travail engagé par Michel Magras en 2020 et que nous avons, avec Micheline Jacques, relancer pour réinterroger les collectivités, pour actualiser en se disant en s'interrogeant sur la question de savoir certaines collectivités souhaiteront ou pas faire évoluer certains types de compétences, voire lever certains blocages législatifs sur lesquels le Sénat sera évidemment à leur écoute. 
L'idée est bien que les collectivités expriment leurs besoins et que le législateur traduise. Nous sommes ici au Sénat, à la Chambre des collectivités, nous sommes là pour faire en sorte que leur vocation, leurs souhaits soient traduits et respectés dans le texte, dans la mesure où effectivement, le Sénat est suivi par le gouvernement.»


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Déchets en Outre-mer

«Alors, je ne vais pas dévoiler les recommandations qui vont être arrêtées par les deux rapporteurs Gisèle Jourdan et Viviane Malet dans les semaines qui viennent. 

La situation est un peu différente sur certains territoires :certains rencontrent des problèmes de collecte des déchets, certains rencontrent des problèmes de collecte et de traitement des déchets quand d'autres ne rencontrent que des problèmes de traitement. Nous voyons bien que la situation est assez disparate. On a quand même des effets de seuil sur des territoires ultramarins qui sont quand même de taille restreinte par rapport à des investissements lourds. Si vous prenez par exemple une structure de type d'incinération avec l'ensemble des normes environnementales qui s'imposent, on n'arrive pas parfois à des seuils suffisants sur un territoire. 

Comment traiter ces sujets ? Comment faire en sorte que les territoires ultramarins puissent exporter des déchets- dits dangereux- et qui relèvent d'une réglementation internationale ? Nous avons eu le cas récemment, par exemple à la Réunion, avec des containers de batteries de voitures qui sont restées stockées pendant de nombreuses semaines, de nombreux mois sur le quai, parce qu'aucun transporteur maritime ne souhaitait les prendre en charge. Ce sont quand même des questions qui se posent parce que les acteurs locaux sont, eux, confrontés à ces situations. Nous devons trouver la manière de faire en sorte que nos territoires puissent répondre à l'exigence environnementale qu'ils sont tous porteurs»
 

Flambée du prix du fioul domestique à Saint-Pierre-et-Miquelon

« Pour avoir en tête la photographie de ce territoire, quand la France hexagonale connaît 5,36 % d'inflation en juillet 2022, Saint-Pierre-et-Miquelon était déjà à 9,36%. Cela donne déjà l'ordre de grandeur. 

Le prix du fioul domestique à Saint-Pierre-et-Miquelon dans les ménages, pour le chauffage des maisons, représente quasiment 30 à 40 %. Lorsque sur une année, entre 2021 /2022, le prix du litre est passé de 0,65€ à 1,20€, vous comprenez tout de suite qu'il y a une explosion pour les ménages et qu'on est en fragilité. Nous avons demandé de manière générale l'ensemble des élus, un blocage des prix du fioul par l'Etat qui fixe le prix des hydrocarbures à Saint-Pierre-et-Miquelon à 0,65 € afin d'avoir une espèce de matelas pour l'ensemble de la population. Dans l'audition du 6 octobre au Sénat, j'ai posé la question à Jean-François Carenco d'étudier de manière plus approfondie, ce blocage du prix du fioul. Le ministre s'y est engagé.  Sans réponse de la part du gouvernement, le député Stéphane Lenormand et moi avons relancé Gérald Darmanin et Jean-François Carenco sur ce sujet. J'espère évidemment que dans les semaines qui viennent, avoir une réponse parce qu'on est rentré dans l'hiver.  En termes d'anticipation, on n'y est quasiment plus, on va encore peut-être réagir en toute hâte. Nous souhaitons être dans l'anticipation. Je regrette aujourd'hui qu'on n'ait pas de réponse claire ! Si c'est pas possible, il faut nous le dire et si c'est possible, il faut aussi nous dire dans quelle mesure et quand une décision de cette nature peut être prise.»

© Outremers360

Développement économique et de la filière maritime de Saint-Pierre-et-Miquelon

«C'est vrai que ce dossier était complexe parce qu'il ne concernait pas uniquement Saint-Pierre-et-Miquelon. Il concernait l'environnement régional. Puis l'environnement international du transport maritime -à l'époque où ce projet de port a été créé, imaginé par les porteurs privés- se portait mal et commençait à se restructurer. 

Ce dossier n'a pas réussi à trouver des transporteurs intéressés à venir dans le secteur parce que cela demandait un investissement de plus de 300 millions dans la région, cela nécessitait d'ailleurs que le gouvernement français puisse prendre une position très claire sur la place de Saint-Pierre-et-Miquelon dans cet environnement géopolitique. Derrière ce plan économique, le timing n'était peut être pas favorable à l'époque.

Si on se questionne sur la capacité des transporteurs maritimes aujourd'hui, il est vrai que le secteur du transport a été bouleversé par les crises successives Covid, puis par la crise notamment liée à la guerre en Ukraine mais il est vrai aussi que les transporteurs maritimes se sont considérablement désorientés, la situation n'est peut être plus la même.

Je ne sais pas aujourd'hui si les acteurs privés sont en capacité de reporter à nouveau ce projet et de requestionner l'intérêt que ça peut représenter. En tout cas, c'est aussi ce que j'ai demandé au ministre de la mer quand nous l'avons rencontré avec le président de la collectivité et le député:  quelle vision l'État porte sur le positionnement de Saint-Pierre-et-Miquelon dans la stratégie maritime nationale ? C'est d'ailleurs la question que le Sénat a récemment posée au travers d'un rapport d'information sur la place des Outre-mer dans la stratégie maritime nationale française.

On nous dit que la France est une puissance maritime. La France n'est pas une puissance maritime. La France est un espace maritime. Elle peut devenir puissance si elle y met les moyens et si elle affiche haut et fort sa volonté de faire des outre-mer, les fers de lance de la France partout où ils se trouvent.»

Logement Outre-mer, annonce d'un refonte du PLOM

«C'est le constat auquel la délégation était arrivée quand elle a restitué son rapport sur le logement en outre-mer. Il y a 77 recommandations dressées par la délégation dans ce rapport.  

Un des grands thèmes que nous avions identifiés, était de territorialiser la politique du logement outre-mer, mieux impliquer au niveau national les acteurs sur chacun de nos territoires.On a une absence de présence ultramarine dans les instances internationales qui interviennent pourtant sur les territoires. La territorialisation fait partie des enjeux. En Outre-mer, 15 % des personnes occupent un logement social alors que 80 % de la population pourrait en bénéficier, on a 110000 logements qui sont assimilés à de l'habitat indigne.Il y a un effet de levier financier à trouver et puis un effet de levier technique pour simplifier les procédures.

Nous sommes très demandeurs d'être associés à l'élaboration de ce nouveau plan logement outre mer. On avait apporté des éléments critiques de manière très objective sur le ressenti que nous avions de cette politique jusqu'ici. Si le gouvernement annonce un changement de braquet, nous serons évidemment attentifs à faire en sorte que ce changement de braquet se traduise sur le territoire par des choses qui avancent et pas par des reculades.»

Examen du PLF et Budget Outre-mer au Sénat

«De manière générale, il faut quand même dire que l'ensemble des parlementaires ultramarins se sont plutôt concertés. Donc, on est très proche, sur l'aspect économique, des sujets qui nous remontent de la FEDOM. On a commencé à les évoquer. 

Et puis il y a les collègues qui, sont concernés plus par tout ce qui est logement social, qui ont porté les amendements également travaillés avec les bailleurs sociaux des territoires. Donc, on peut dire qu'il y a la thématique économique, la thématique du logement social et puis la thématique financière des collectivités au travers des contrats COROM notamment grâce au sénateur Georges Patient qui avait fait des propositions avec Teva Rohfritsch sur ce sujet. Donc, on a trois grandes thématiques sur lesquelles tous les parlementaires ultramarins sont mobilisés. Et moi, évidemment, j'accompagne le mouvement au travers des différents amendements qui sont proposés.»

Relations Etat et Collectivités locales ultramarines 

«Je pense que de manière générale que l'ensemble des élus parfois regrettent la nature de la relation qui existe avec l'État local, donc déconcentré. Parce que les sujets, premièrement, sont multiples, complexes. 

On se rend compte vraisemblablement que sur certains territoires, les services de l'Etat ne sont pas dimensionnés par rapport aux enjeux. Ou peut-être sont ils surdimensionnés en termes de champs de compétences par rapport aux compétences humaines qu'ils ont au sein de leurs services. On ne peut pas demander à quelqu'un, quel qu'il soit fonctionnaire d'Etat ou autre, d'être compétent sur tous les dossiers. Cela pose donc la question du périmètre de l'action de l'Etat sur nos territoires : Est-ce qu'il faut le restreindre ? Est ce qu'il faut le faire évoluer pour faire en sorte d'être meilleurs sur moins de dossiers, trouver une autre manière d'aborder les choses ? 

J'ai été quand même assez effaré de voir des maires de petites collectivités qui nous disaient ne pas pouvoir disposer d'une ingénierie pour des projets, alors qu'en réalité, sur chacun de nos territoires ultramarins, l'Agence de cohésion des territoires - mise en place à l'initiative du groupe auquel j'appartiens, le groupe Rassemblement Démocratique Social Européen (RDSE) - devrait normalement trouver un écho sur ces territoires. Cela questionne quand même la capacité de l'État à pouvoir apporter ces réponses. On ne demande pas à l'État de faire à la place des élus, on demande simplement de leur montrer la voie. Et c'est là que je suis assez inquiet de constater que des petites collectivités ne trouvent aucune réponse»

Groupe de travail sur la décentralisation au Sénat

«La première chose, je serais rapporteur au groupe décentralisation qu'a installé le Président Larcher, des préconisations que la délégation sénatoriale aux Outre-mer fera au travers des auditions. 

Aujourd'hui, je suis très prudent quand j'en parle, car en réalité, on constate que les réalités ultramarines sont diverses et variées, les demandes des collectivités sont différentes.

 Je crois avant tout que le Sénat doit s'assurer que chacune des collectivités soit en capacité d'exprimer un besoin. On souhaite vraiment que les élus se posent des questions. Certaines collectivités se sont saisies elles-mêmes de ce dossier, avant même que le Sénat relance les travaux sur le rapport de Michel Magras sur la différenciation outre-mer que nous avions adopté en 2020. Donc il nous paraît important aujourd'hui de prendre ce temps de la réflexion, d'expliquer aux élus qu'il n'est pas question pour le Sénat d'orienter les débats. 

Le Sénat se doit d'être prêt au moment où les collectivités voudront se mettre en mouvement pour celles qui le souhaiteront. Nous sommes avant tout là pour faire en sorte que la volonté des élus se traduise concrètement sur le terrain. Parce que l'objectif est simple, c'est de permettre à chaque collectivité d'être au service de ses administrés.»

Installation du  groupe de travail sur la décentralisation au Sénat le 5 octobre © Facebook Stéphane Artano

Prochains dossiers de la délégation sénatoriale aux Outre-mer 

« La semaine dernière, j'ai réuni mes collègues de la délégation pour échanger justement sur le programme de travail pour l'année à venir. On a décidé d'arrêter deux grandes thématiques d'étude. La première liée à l'augmentation du prix des billets d'avion observée sur certains territoires ultramarins, on va avoir un sujet sur la continuité territoriale avec deux rapporteurs qui ont été nommés, Catherine Conconne et Guillaume Chevrollier.

Nous allons avoir un rapport d'information sur l'autonomie alimentaire des outre mer, sur le foncier agricole disponible en outre mer, qui est un véritable sujet. Deux rapporteurs ont été nommés : Thani Mohammed Soihili, le sénateur de Mayotte et Yvette Lopez. 

En plus de ça, puisque nous essayons de croiser nos travaux avec nos collègues du Sénat, nous avons convenu que la délégation aux droits des femmes de mener un rapport d'information qui m'intéresse et dont je serai rapporteur pour la délégation avec Victoire Jasmin sur la parentalité en outre-mer. C'est un rapport conjoint entre la délégation aux droits des femmes et la délégation aux outre-mer, qui s'intéresse beaucoup aux sujets ultramarins. 

Ce sont les trois thématiques que nous aurons à couvrir sur l'année 2023, avec évidemment, des conférences: une première sur l'état du droit en outre-mer, que nous montons de manière conjointe avec nos homologues de l'Assemblée nationale. Il y a, là aussi, une volonté affirmée et affichée que nos Chambres puissent travailler intelligemment sur des sujets d'intérêt commun.  Et puis vraisemblablement des tables rondes plus thématiques qui vont avoir lieu dans le courant de l'année, avec notamment un aspect sur le suivi des travaux et des rapports d'information.»