Regards d’Actu avec le député de la Martinique Jiovanny William

A l’occasion de cette nouvelle rentrée, Outremers 360 vous propose un nouveau format «Regards d’actu avec ….». Une série dans laquelle nos interviewés livrent leurs regards, leurs analyses sur des faits d’actualités ou des thématiques qui marquent leur territoire. Pour ce premier épisode, Outremers 360 donne la parole au député de la 1ère circonscription de la Martinique, Jiovanny William sur les thèmes de la vie chère et du pouvoir d’achat, le modèle économique pour la Martinique, la transition énergétique ou encore la sécurité.

 

Avocat de profession, Jiovanny William a fait ses premiers pas comme député de la Martinique à l’issue de son élection lors des précédentes élections législatives en juin 2022. Originaire du commune du Robert, le nouveau député de la première circonscription sous «le signe du travail» et redonner la confiance avec la population.

Premiers pas comme député

« C’est tout d’abord une satisfaction de servir les administrés, celles et ceux qui me font confiance et toute une population mais aussi la France. Nous sommes députés de la France. C’est beaucoup de travail, que ce soit en circonscription ou à Paris. C’est un travail de discussions avec les ministères, les collaborateurs, un travail de fonds, de dossiers. La tâche est rude mais elle est belle! »

Vie chère- Pouvoir d’achat

« La vie chère est une question fondamentale pour nos territoires insulaires.Les prix sont 3 à 5 fois plus chers que dans l’Hexagone alors que nos salaires sont extrêmement bas. Aujourd’hui, il y a une rupture de cette continuité territoriale. Nous tous, parlementaires, sommes dans cette bataille pour que cette vie chère n’existe plus.

C’est la première thématique sur laquelle on m'interroge : Monsieur le député, qu'allez-vous faire contre la vie chère ? Cela coûte de se déplacer, de pouvoir s’alimenter. En Martinique, certaines personnes font le choix de moins s’alimenter car ils n’ont pas le choix. C’est une question centrale qui doit passer par différents acteurs. C'est pourquoi j'ai rencontré et je continue à rencontrer les acteurs économiques de la grande distribution, notamment les consommateurs, celles et ceux qui font notre pays comme les marins pêcheurs, les agriculteurs. Tous, nous devons pouvoir trouver une solution commune.

Sur la question des prix, un observatoire des prix et des règles en matière de définition des prix existent. En Martinique, des auditions seront très bientôt menées pour fixer un certain nombre de prix bouclier. C'est une urgence mais au-delà de cette fixation de prix- bouclier, il faut résolument trouver une solution qui nous permettrait de système faciliter notre autonomie sur le plan alimentaire et sur les autres points.

Les acteurs économiques que j’ai rencontré se disent disposés Ils sont disposés, ils sont disposés à faire en sorte que les prix soient plus bas. Maintenant, il y a des dispositifs, des mécanismes à mettre en place. La tâche n’est pas simple mais il faut que nous puissions être tous d'accord afin de parler d'une seule et même voix. Nous sommes tous unanime sur la nécessité d’opérer un changement. C’est déjà une belle avancée.

Reste à savoir sur quelles bases, et comment atteindre cet objectif ? La Martinique est un territoire d'importation. 90 % de ce que nous consommons est importé alors que nous avons la possibilité de produire localement. Des acteurs économiques sont prêts à produire mais ils n’y parviennent pas faute de moyens, peut-être par manque de considération, ou d’absence de dispositifs variés qui leur permettraient de pouvoir nourrir les Martiniquaises, les Martiniquais, mais également de créer de la valeur ajoutée et du travail.

Nous devons regarder cette thématique de la vie chère non seulement sous le prisme de la consommation mais aussi sous l’angle du travail, de l’offre et de la demande. Nous avons trop de chômeurs, trop de travailleurs précaires avec de très bas salaires.

Parallèlement, il y a des leviers à mettre en place pour favoriser l’emploi, la formation des jeunes. Un jeune, qu'il soit formé dans l’Hexagone ou dans nos territoires, fait face aux mêmes interrogations : travailler pour quel salaire ? pour quel niveau de vie ? dois-je partir ou rester dans mon territoire?

Dans notre territoire, la question de rester est d’autant plus difficile et prégnante. Selon les secteurs d’activités, ils ne trouvent pas d’emploi qui correspondent à leurs qualifications. Il existe bien des secteurs sous tensions et d’autres secteurs où la demande est excessivement faible. Certains de nos jeunes sont obligés de partir.

Aujourd’hui, il faut réfléchir à comment capter en créant de la valeur ajoutée, en créant des entreprises, en créant de l'industrie, en faisant en sorte que nos jeunes aient envie de s'investir et créer leur propre entreprise aussi. Cela passe évidemment par la politique mais aussi par une prise de conscience, je dirais individuelle.

Il y a un levier qu’on ne peut pas éviter: la question de la rémunération inférieure d’un jeune diplômé (bac+5, bac+6) par rapport aux qualifications dont il dispose quand il souhaite revenir sur son territoire. Il faut travailler aussi sur cette question. Cette question implique aussi de prévoir un observatoire des métiers ou formaliser une réorganisation au niveau de l'enseignement, de la formation professionnelle pour permettre à un jeune formé qualifié de rester sur le territoire.

Pour répondre à tout cela, il faut effectuer un travail global, commun qui ne peut pas se faire uniquement par des parlementaires, mais qui doit se faire avec l'ensemble des élus et les acteurs économiques. En somme porter un projet de société comprenant une industrialisation ou une réindustrialisation du territoire avec des petites comme des grandes unités, qui permettrait d’avoir du travail comme créer de la valeur ajoutée.

Il est nécessaire de structurer les choses et cibler des secteurs, des thématiques porteuses afin de formaliser ce projet de société. »

Le fléau des algues sargasses en Martinique

« Les sargasses sont aujourd’hui un fléau sur le plan médical, un fléau sur le plan économique. Je dirais aujourd'hui que cela est devenu un fléau quasiment sociétal. On a l’impression de vivre avec les sargasses mais ce n’est pas le cas !

De manière générale, le ministre des Outre-mer a annoncé un certain nombre d'annonces avec une augmentation de certaines subventions pour le ramassage des sargasses, une augmentation de moyens matériels pour installer des barrages, des subventions pour les emplois liés au ramassage. C’est une bonne chose mais ce n’est pas tout !

Le ministre a annoncé la constitution d'un service public lié aux sargasses, de la gestion des sargasses. Pour ma part, je ne veux pas m'arrêter au ramassage mais intégrer une gestion plus globale liée aux algues sargasses. Je suis très vigilant sur ce point. Je sais que la collectivité territoriale de Martinique travaille, avec le gouvernement en ce sens. Nous, parlementaires, nous sommes aussi au travail pour faire en sorte que ce service public puisse voir le jour et être efficace.»

Insécurité en Martinique

«Aujourd’hui, la situation est désastreuse. Nous sommes à plus de 20 morts cette année par arme à feu. Des morts violentes qui sont parfois liées à des thématiques aussi de trafic de stupéfiants. Cette situation ne peut pas perdurer ! Nous avons des gangs qui ont la main mise sur des quartiers difficiles. Nous manquons de moyens, même si le gouvernement indique mettre des moyens supplémentaires, mais cela ne suffit pas.

Nous avons des policiers et une justice qui manquent de moyens, un tribunal qui croule sous les dossiers et manque de personnel avec des moyens techniques parfois obsolètes. Nous avons une prison surpeuplée, avec des prisonniers qui ne disposent pas ou peu de moyens pour entreprendre des formations. J’ai entendu le Ministre de la Justice souligner le caractère pédagogique de la peine mais aussi de l’aspect coercitif. Je partage cette vision mais dans notre territoire en Martinique, certaines personnes incarcérées préfèrent se rendre en France hexagonale car les capacités en termes de réinsertion sont plus importantes.

Le taux de récidive qui est énorme en Martinique montre bien que les peines allouées ne sont sans doute pas adaptées. Nous avons des personnes qui sont en détention provisoire et qui auraient pu bénéficier, par exemple, de peines aménageables et faire entrer dans ce système de réinsertion.

En Guyane, se tiendront prochainement les Assises de la sécurité, il aurait été sans doute intéressant de le faire en Martinique afin de récolter les avis de ceux et celles qui qui font la sécurité dans notre pays et qui la pratiquent au quotidien. Cela permettait d’évaluer si les dispositifs actuels sont adaptés.

La Guyane expérimente le classement sans poursuite des saisies inférieures à 1,5 kg de cocaïne. A mon sens, cela serait désastreux de le faire ou amender ce texte pour améliorer ce dispositif. En l’état actuel, qu’il s’agit d’un kilo ou de quatre kilos, cela reste de la drogue. Je ne suis pas opposé à une adaptation des procédures mais je suis contre une justice expéditive. Je suis contre ce principe d'édulcorer les règles en matière de trafic de stupéfiants. C’est un mauvais signal à ces personnes qui seraient susceptibles de rentrer dans ce type de trafic.»

Contribution CVAE

«J’ai interpellé le Ministre de l’Economie, Bruno Le Maire sur le CVAE, une contribution qui est reversée aux collectivités, qui est payée par les entreprises qui ont un chiffre d'affaires important. Le Gouvernement a annoncé la suppression de cette contribution en deux temps, d’abord en 2023, puis en 2024. Ma question au ministre de l'Économie est de savoir quelles seront les compensations pour les collectivités ? Nous avons notamment en Martinique une collectivité comme la communauté d'agglomération du Centre, la CACEM qui reçoit plus de 10 millions d'euros au titre de cette contribution. Cette collectivité utilise ces 10 millions d'euros pour pouvoir agir et mettre en place des politiques publiques.

Le Ministre m'a répondu qu'effectivement, il faudra compenser par l'industrie, par attirer de nouvelles industries sur le territoire. Mais les choses sont compliquées : comment attirer une entreprise et une industrie sur notre territoire au regard de ce que nous vivons actuellement, du niveau de développement que nous avons, des difficultés structurelles que nous subissons. Le Ministre nous a annoncé vouloir mener un travail collaboratif sur ce sujet. Nous verrons ce qui sera proposé mais nous ne lâcherons rien !»

Dîner des élus ultramarins avec Emmanuel Macron

«Au-delà de l'annonce de « de renouveler une nouvelle vision avec les outre-mer», j'attends la réalisation concrète. Mais oui, il faut réinventer les choses, inventer un nouveau modèle. Les relations entre la France hexagonale et nos territoires ne fonctionnent plus et ne sont plus efficaces. Face à cette annonce, je ne resterai pas en position d’attente mais je serai en situation de faire acte de propositions.»

Budget Outre-mer : quelles priorités ?

«Il faudra faire attention aux dotations qui seront allouées aux collectivités par exemple, être vigilant sur les dotations du gouvernement qui seront abaissées et veiller aux dispositifs qui permettront de compenser cette baisse.

En Commission, nous allons continuer nos entretiens, travailler sur ce projet de loi de finances parce que nous sommes dans une situation économique désastreuse. Il faudra que le gouvernement prenne ses responsabilités vis-à-vis de nos territoires qui sont en souffrance, tous les indicateurs sont au plus bas nous concernant.»

Porter une loi en faveur de la transition énergétique du territoire

« Nous sommes aujourd'hui dans un cadre particulier en matière énergétique. Il n'est pas normal que des territoires comme les nôtres ne puissent pas bénéficier de tous leurs atouts sur le plan environnemental.

Nous ne profitons pas de la géothermie, de notre vent, et de tout ce que la nature nous apporte. Sur le territoire de la transition énergétique j'aurais aimé que nos territoires soient des exemples, que nous puissions éviter demain le tout-diesel, vivre dans un environnement sain et durable.

Nous serons obligés d’agir sur le mix énergétique. On ne pourra y déroger à la transition énergétique, on doit y parvenir pour notre survie et celle de nos enfants, mais aussi pour notre pouvoir d’achat.

Il faut se donner et agir sur tous les moyens à savoir les moyens législatifs, humains et économiques. Il faut une prise de conscience et l’éveiller dès le plus jeune âge concernant l’utilisation de l’eau, de l’électricité, de nos moyens de transport, de communication, et l’utilisation de l’énergie de manière globale»