PORTRAIT. La chimiste martiniquaise Maïlie Saint-Hilaire milite pour une meilleure visibilité des scientifiques caribéens à travers le lancement d’un annuaire professionnel

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PORTRAIT. La chimiste martiniquaise Maïlie Saint-Hilaire milite pour une meilleure visibilité des scientifiques caribéens à travers le lancement d’un annuaire professionnel

Docteure en sciences agronomiques et experte en chimie analytique, la Martiniquaise Maïlie Saint-Hilaire est depuis bientôt deux ans responsable du laboratoire de Chimie Analytique Appliquée à la Santé (C2AS) à l'Institut Pasteur de la Guadeloupe. Après avoir effectué une thèse sur la toxicocinétique de la chlordécone chez la brebis, elle poursuit ses travaux sur la molécule polluante omniprésente dans les sols antillais. Et son engagement ne s'arrête pas aux laboratoires : fondatrice du podcast Caribéenne & Scientifique et d'un annuaire des scientifiques caribéens qui devrait bientôt être présenté au grand public, la Martiniquaise milite pour la visibilité et la reconnaissance des scientifiques de la région. Portrait d'une scientifique pour qui la chimie n'est pas qu'une discipline mais une passion ainsi qu’ un acte de transmission.

 

À l’âge de 12 ans, Maïlie Saint-Hilaire est une jeune collégienne qui se voit contrainte de quitter sa Martinique natale pour l’Hexagone. Cet exil imposé a marqué son parcours et nourri son engagement. "Je savais que je voulais revenir un jour, mais je voulais revenir avec une expertise qui apporterait quelque chose à mon île", raconte-t-elle. Elle se souvient du déchirement qu'elle ressentait à chaque retour temporaire en Martinique : "Chaque fois que je repartais, je me promettais de trouver un moyen de revenir durablement." Passionnée par les sciences depuis son plus jeune âge, elle s'oriente rapidement vers un bac scientifique. "J'adorais les sciences, en particulier la chimie analytique, parce qu'elle permet d'expliquer notre environnement, de le comprendre et de trouver des solutions concrètes aux problèmes du quotidien", explique-t-elle. Elle intègre ensuite une classe préparatoire, une étape qui la confronte à un échec difficile. "C'était la première fois. Cela m'a permis de me questionner sur ce qui me passionnait vraiment. La réponse était claire : la chimie." Elle bifurque alors vers un DUT de chimie, suivi d'une licence professionnelle en chimie analytique. "J'ai compris que je voulais utiliser la chimie pour améliorer la santé et l'environnement chez moi. Cela devenait une mission, et non plus seulement un parcours professionnel."

Cette détermination l'amène à poursuivre en master, puis en doctorat. "J'ai toujours eu une vision très claire : je voulais être utile aux Antilles. Faire de la recherche en Hexagone était enrichissant, mais je savais que mes compétences seraient encore plus pertinentes si je les mettais au service de ma région." Aux Antilles, un nouveau défi l’attend.  "Malgré mon expertise, j'ai eu des difficultés à trouver un emploi dans mon domaine. C'était frustrant, car j'avais fait ce parcours justement pour contribuer à la recherche locale." Elle finira par évoluer au sein de l’Institut Pasteur en Guadeloupe.

 Des travaux innovants sur la chlordécone

C'est lors de sa thèse que Maïlie Saint-Hilaire se plonge dans l'étude de la chlordécone, ce fléau qui a contaminé durablement les sols des Antilles. Son travail porte sur la toxicocinétique de cette molécule chez la brebis, un modèle essentiel pour comprendre son impact sur l'élevage local. "L'idée était d'étudier comment la molécule était absorbée et éliminée par l'organisme, afin de proposer des stratégies de décontamination pour les animaux », explique-t-elle. Son travail a permis de mieux comprendre le devenir de cette molécule dans l'organisme animal. "Nous avons démontré que 51 % de la chlordécone absorbée est excrétée sous forme inchangée et que 35 % se métabolise en chlordécol, nous avons aussi pu proposer des méthodes d'analyse plus précises pour évaluer les risques alimentaires." précise-t-elle.

L'un des aspects les plus concrets de son travail concerne sa participation à la mise en place d'un modèle permettant d'estimer la présence de chlordécone dans les élevages. "Aujourd'hui, grâce aux données collectées pendant ma thèse mais aussi d’autres thèses, nous sommes capables de prévoir si un animal est contaminé avant son abattage, simplement en effectuant une prise de sang. Cela évite des pertes économiques considérables pour les éleveurs."

Ce travail a eu des répercussions importantes, non seulement sur la recherche scientifique, mais aussi sur les politiques publiques et les stratégies agricoles en Martinique et en Guadeloupe. "Les agriculteurs antillais ont longtemps été démunis face à la contamination de leurs terres. Nos recherches leur donnent aujourd'hui des outils pour gérer cette pollution, limiter les risques sanitaires et adapter leurs pratiques d'élevage." Aujourd'hui, en tant que responsable du laboratoire C2AS, elle continue d'explorer les effets de cette pollution en mettant en place des méthodes d’analyses de cette molécule en Guadeloupe. "Nous participons à plusieurs projets d'envergure qui visent à évaluer les conséquences à long terme de cette pollution sur la santé des populations locales. Au sein du C2AS, notre expertise en chimie analytique est essentielle pour les chercheurs."

Un podcast pour mettre en lumière les chercheurs

Ce travail de mise en lumière, Maïlie Saint-Hilaire souhaite également le faire auprès de ses consœurs et confrères scientifiques de la région. Consciente de leur manque de visibilité, elle crée en mai 2023 le podcast Caribéenne & Scientifique. "En rentrant aux Antilles, j'ai été frappée par l'absence de reconnaissance de nos chercheurs. Pourtant, il y en a beaucoup ! J'ai voulu créer un espace où ils pourraient partager leur parcours et inspirer la nouvelle génération. « Chaque épisode donne la parole à des scientifiques caribéens issus de diverses disciplines, mettant en avant leurs contributions et leurs engagements. "Ce que je voulais, c'était raconter leur histoire, montrer qu'ils existent et qu'ils font des choses exceptionnelles, qu'on n'entend jamais parler d'eux alors qu'ils ont un impact majeur", explique-t-elle.

Le podcast ne se limite pas à une simple mise en lumière : "Il sert aussi de guide pour les jeunes qui souhaitent se lancer dans la recherche. Beaucoup d'invités partagent leurs conseils sur le parcours scientifique, les difficultés qu'ils ont rencontrées et comment ils les ont surmontées. L'idée est d'inspirer et d'éduquer." Un autre objectif de Caribéenne & Scientifique est de lutter contre les stéréotypes et de renforcer la place des femmes dans la science. "J'interviewe plus de femmes que d'hommes, car elles sont encore sous-représentées. Il faut montrer qu'elles sont là, qu'elles font un travail formidable et qu'elles ont toute leur place dans le domaine scientifique", souligne Maïlie Saint-Hilaire.

L'engouement autour du podcast a dépassé ses attentes. "Je reçois des messages de scientifiques caribéens qui me disent qu'ils avaient plus que besoin de ce genre d’initiative. C'est la plus belle récompense", confie-t-elle.

Face à ce succès, elle a décidé d'aller plus loin en créant un annuaire des scientifiques caribéens. "Le podcast a révélé un besoin immense : celui de réseauter, de se connaître, de travailler ensemble. L'annuaire est une extension naturelle de cette volonté de mise en relation." Avec ce projet, Maïlie Saint-Hilaire espère briser les barrières et ouvrir de nouvelles perspectives aux scientifiques de la région. "Nos scientifiques ont du talent, mais trop souvent ils travaillent dans l'ombre. Il est temps qu'ils soient reconnus et qu'ils puissent collaborer plus facilement."

Une année 2025 pleine de projets

L'année 2025 s'annonce comme un tournant pour Maïlie Saint-Hilaire, qui entend concrétiser plusieurs initiatives d'ampleur. "C'est une année charnière pour tout ce que j'ai construit jusqu'ici. Il est temps de donner plus d'impact à mes projets et de les rendre accessibles au plus grand nombre", affirme-t-elle avec enthousiasme.

Parmi ses projets les plus attendus, la sortie officielle de l'annuaire des scientifiques caribéens. "L'annuaire sera un outil puissant pour créer des synergies. Il y a tellement de talents dispersés, sans réseau structurant. Cet annuaire va permettre aux chercheurs, aux étudiants et aux entreprises de se connecter plus facilement", explique-t-elle. La plateforme digitale devrait être accessible dès le deuxième semestre 2025, avec des fonctions permettant d'affiner les recherches par spécialité et localisation. "Nous voulons qu'il soit interactif et réellement utile à la communauté scientifique."

Un autre temps fort de l'année sera la célébration des deux ans du podcast Caribéenne & Scientifique. "Nous prévoyons un événement en mai 2025, qui réunira des scientifiques caribéens de différents horizons. L'objectif est de permettre un véritable réseautage et de mettre en avant la richesse scientifique de notre région", détaille Maïlie Saint-Hilaire. Cet évènement sera ponctué de conférences inspirantes et d’un moment de réseautage. "Je veux que cet événement soit un catalyseur pour renforcer la communauté scientifique caribéenne."

Parallèlement, Maïlie Saint-Hilaire réfléchit déjà à l'évolution de son podcast, véritable outil fédérateur. "J'aimerais élargir les horizons de Caribéenne & Scientifique en intégrant davantage de chercheurs de la Caraïbe hors Antilles françaises, comme ceux de Trinité-et-Tobago ou de la Jamaïque. La science caribéenne ne doit pas être fragmentée, elle doit s'unifier." "Toutes ces initiatives ont un seul but : structurer un véritable réseau scientifique caribéen.

Abby Said Adinani