La peinture des volets et des portes se disputent le bleu de la mer, du ciel et des agapanthes. L’île accueille du 13 au 16 Juillet le 23ème Salon du livre insulaire. Une quarantaine d’éditeurs, auteurs, autrices, présentent les romans, les ouvrages scientifiques ou les livres pour enfants alignés sur les tréteaux dressés dans le gymnase aux portes bleues ; Ce salon est le seul de France et d’Outre-mer à s’intéresser aux écrivains des îles, mêlant réel et imaginaire. Un reportage de Dominique Martin Ferrari.
James Noël, poète haïtien, ouvrit les débats, revenu après quinze ans, alors qu’il était encore inconnu. « J’étais alors un poète puceau » dira-t-il, « je découvrais la Bretagne par Brest, et le poème de Prévert « Barbara » s’imposait à moi. Il m’a traversé le corps ; …Il pleut, la rue de Siam… tous les mots prenaient un sens …une expérience qui m’est restée comme si c’était hier ». Depuis James Noël est devenu chevalier des Arts et des lettres, a reçu le prix Caraïbes, le prix international de la littérature de Berlin ; a vécu en résidence à la villa Médicis, a reçu récemment le prix Ca Foscari de Venise.
De l’assassinat du président Moïse à Haïti, il ne veut rien dire se repliant derrière la parole de Denis Lafferière « face à cet événement je ne suis qu’un autostoppeur » nous dira cet écrivain qui vient pourtant de faire éditer ses derniers poèmes dans un recueil intitulé BREXIT : « j’ai été frappé par cet événement, extraordinaire, au sens de comment est-ce possible ? Comment peut-on accepter de sortir de l’espace Schengen ? J’écris alors un poème jetable comme un chewing-gum que l’on jette par la fenêtre ; quinze jours plus tard se dessine un extrait de mes poèmes jetables ». Cet événement sans précédent devient une « dimension de la poésie pour comprendre le monde inexplicable, une dissonance, pas un lit douillet… ». Plus tard nous comprendrons que, de ces dissonances du monde, nait la création. Et c’est d’ailleurs un autre poète haïtien, né en 1962 à Port au Prince qui recevra le prix de la littérature avec « cantique du balbutiement ».
Les îles de l’Outre-mer sont grandement représentées :
La Nouvelle Calédonie par l’association « fortunes de mers calédoniennes », Saint-Pierre et Miquelon est présent par l’association Eaux fortes ; Lisiane Bernadette Thomas grand prix du livre insulaire 2019, présentera bientôt dans son île, La Réunion, son nouveau roman « d’amour et de basalte ». Les éditions réunionnaises présentent une foule de titres, preuve de la vitalité de l’écriture sur l’île. Il faut compter aussi avec Monique Bauer, comorienne, les éditions Komedit, les éditions nomades avec Nassuf Djailani et les œuvres de jeunesse, la rencontre des cultures, le brassage d’idées et de création, « l’outremer en métamorphose » et sa revue thématique.
La Polynésie était aussi très représentée avec la volonté de donner à lire autrement. Une autre version de l’histoire et de la vie océanienne, loin des images clichés véhiculées par les européens de passage, comme le soulignait la présentation de l’ouvrage « Mutismes » (Titaua Peu) de celui qui sait quelque chose et ne le dit pas. Le silence de la Polynésie. Sur les essais nucléaires par exemple. Il a fallu attendre l'édition de « Toxique. Enquête sur les essais nucléaires français en Polynésie », le livre de Sébastien Philippe et Tomas Statius, paru le 10 mars dernier. Autre questionnement, l’ouvrage Kaïn dont l’esthétique de la couverture a déplu à nombre de libraires parisiens, ce qui pose une question fondamentale : faut-il adapter une culture aux goûts d’une autre ?
Pour parler de la Nouvelle Zélande, un livre magnifique « au cœur des fougères » qui lie la légende des All Blacks à la force des paysages. Un road movie décrit par Ian Brotwick et le petit fils de Fernandel
La Corse invitée d'honneur 2021
Bernard Biancarelli monte alors sur scène. C'est un « Himmense » éditeur (avec un catalogue de près de 800 titres) ! Fidèle et ancien du festival, dirigeant les éditions Albiana, et représentant les éditeurs corses, il glanera ou plutôt ses auteurs glaneront plusieurs prix : le prix scientifique avec « Les autres en Corse » de Liza Terrazoni, une thèse sur le racisme ou le communautarisme, phénomène îlien par excellence ; Le grand prix avec un livre merveilleusement illustré « grandeur et misère des bandits de Corse » sur une image « qui colle à la peau » .
Mais sa passion du moment c’est cette exposition sur James Boswell, un anglais découvreur de la Corse. Alors qu’en 1763 les britanniques faisaient comme il se doit « un grand tour » de l’Europe, souvent artistique, l’écossais Boswell partait à la rencontre des idées. Passant chez JJ Rousseau alors rédacteur de la Convention Corse, il entre dans l’île en clandestin, passe par les montagnes pour rencontrer Pascal Paolini près de Propriano qui lui demande de faire connaître la cause Corse. En 1768 sortira la première Constitution (avant celle des Etats Unis) celle de la Corse, qui sera un succès de librairie.
Accéder aux îles, s’y intégrer, les posséder
C’est le fil rouge des grands débats. L’accession aux îles est devenue difficile du fait du manque de logement : résidences secondaires fermées en dehors des vacances, augmentation des prix du foncier, manque de logements sociaux…La liste des obstacles est longue de Ouessant à La Réunion.
Et puis, de nouvelles menaces pèsent sur les îles. Après les guerres entre puissances coloniales pour obtenir les terres, la poursuite des rivalités sur le plan commercial et les échanges, ce fût l’épisode douloureux du peuplement pas des esclaves ou des déportés ; une plaie encore non refermée aujourd’hui alors que se dessine une autre appropriation par le zonage juridique des espaces maritimes. Trop souvent méconnue.
« Je suis insulaire comme un habitant d’une ville de France. Ma vie est dans un village qui est entouré de terre, autour de cette terre, il y a la mer …nous ne sommes pas obligés d’être solidaire de la mer ». Ainsi me répond James Noel quand dans la table ronde réservée à la Possession je rappelle combien les îliens regardent peu vers la mer, connaissent mieux la Grande Terre que la mer. Et pourtant c’est désormais autour de cet élément liquide que se déroule une nouvelle guerre coloniale. On ne connaît pas encore les fonds profonds, on manque de connaissances, de cartographies précises et déjà s’arrache entre grands groupes le droit à l’exploitation de nouveaux gisements de pétrole, de nodules polymétalliques ou tout simplement de biodiversité.
Pauline Jezequel, géographe à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a eu la délicate mission d’organiser des tables rondes où s’affrontent chercheurs, journalistes, dures réalités et vision « littéraires ». Bien vite Hervé Hamon remettra en cause cette dichotomie « j’ai beau être baigné par le mystère, le merveilleux et la beauté, je reste citoyen quand il s’agit de défendre les îles ».
Et il est grand temps, à l’heure où s’écrivent les Conventions qui vont poursuivre la cadastralisation de ce bien commun qu’est l’océan, des ZEE aux AMP, des zones protégées aux zones ouvertes, des escales aux comptoirs. Marie-Annick Lamy Giner, présidente des tables rondes, maîtresse de conférences à l’université de La Réunion, directrice de publication de la revue « Carnets de Recherches de l’océan Indien » confirme que la bagarre entre l’inde, la Chine et la France fait rage dans l’appropriation d’une hégémonie sur l’Océan Indien. Un débat reste ouvert sur l’impérialisme chinois, la route de la soie et le collier de perles dans l’océan indien. Partenariat ou nouveau colonialisme ?
Les récents soubresauts français de la rivalité France Madagascar sur les îles Éparses (pétrole et gaz) sont aussi la preuve des tentatives d’appropriation. Reste aux citoyens et aux pays à être vigilants « l’assemblée onusienne n’a aucune compétence pour distribuer des territoires » ce serait une ingérence dans les affaires intérieures d’un pays. En vertu du droit de l’occupation effective des territoires inhabités, les îlots, ou « territoires sans maîtres », s'appliquent le droit du premier occupant. Une cour permanente d’arbitrage (la CPA) a été créée, mais la sentence arbitrale donne une solution de principe. En voici le passage le plus significatif : « Un acte juridique doit être apprécié à la lumière du droit de l'époque et non à celle du droit en vigueur au moment où s'élève ou doit être réglé un différend relatif à cet acte ».
Dominique Martin Ferrari
Envoyée spéciale Outremers 360° à Ouessant
Rédactrice en chef de la revue « l’outremer en métamorphose »