Dans une tribune publiée ce jeudi, les 36 membres du Conseil scientifique de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage ont appelé à faire barrage à l’extrême-droite, dont une victoire dimanche « rappellerait les heures les plus sombres de l’Histoire, en mettant gravement en danger la démocratie, le fonctionnement de nos institutions et l’État de droit ». « Tant dans l’hexagone que dans les Outre-Mer, les discours de l’extrême-droite et ses mensonges envahissent les cœurs et les esprits » estiment les membres du Conseil scientifique. Leur tribune ci-dessous.
Notre collectif de chercheurs, enseignants-chercheurs, responsables d’institutions, ne peut rester silencieux face aux diverses menaces pesant sur les universités, les institutions dédiées à la recherche et à la culture mais aussi sur la jeunesse et sur nos étudiant.e.s. La victoire de l’extrême-droite rappellerait les heures les plus sombres de l’Histoire, en mettant gravement en danger la démocratie, le fonctionnement de nos institutions et l’État de droit. Nous condamnons également l’insupportable menace faite aux binationaux, le traitement inégalitaire des étudiants étrangers, la discrimination institutionnalisée, y compris envers les ressortissants des Outre-Mer, et dénonçons les mensonges qui cherchent à faire croire à la population que leur situation s’améliorera si l’on trouve des boucs-émissaires, des « Autres » à accabler.
Notre Conseil scientifique est celui de la FME, l’héritière directe des instances créées à la faveur de la Loi Taubira adoptée et promulguée par l’Assemblée Nationale en mai 2001. Depuis 2005, tous les membres qui y ont été nommés n’ont eu de cesse de favoriser une meilleure connaissance du passé esclavagiste, des traites, de ses ramifications. Ils l’ont fait avec une conscience aiguë de la nécessité de faire connaître et de mieux comprendre une histoire complexe qui a construit la France d’aujourd’hui et qui a donné un sens profond aux principes républicains de Liberté, Égalité, Fraternité.
En ne cédant pas au simplisme d’un récit national linéaire et mensonger, nous nous exposons aux accusations disqualifiantes de « wokisme ». C’est là l’un des angles d’attaques du Rassemblement National et de ses leaders dans leur travail de démantèlement des libertés académiques. Contre leurs objectifs révisionnistes, nous tenons à maintenir une recherche qui œuvre à faire comprendre la construction historique, sociale et politique de formes contemporaines de domination, de discriminations ou du racisme. Or, penser l’histoire dans sa complexité favorise un meilleur enseignement de l’histoire de l’esclavage, des traites et des colonies à l’école et à l’université.
Notre mission a été comprise ou tout au moins respectée par l’ensemble des gouvernements des deux dernières décennies. Notre travail collectif sur l’histoire de l’esclavage et des traites a contribué à la lutte contre le racisme et les discriminations, par les voies de l’éducation, de la culture et de la recherche. Il relève d’un intérêt public et politique majeur, même si ces politiques ont été insuffisantes, nous en avons conscience. Le travail amorcé par la FME depuis vingt ans est directement menacé : le Rassemblement national est un parti politique forgé par des nostalgiques du régime de Vichy et de l’Empire colonial, par des personnes condamnées pour leurs propos racistes et antisémites et par des élus qui se sont opposés à la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Signalons que Jordan Bardella lui-même fait partie des 23 députés français à s’être opposés à la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité en 2020 au Parlement Européen.
Une meilleure connaissance de l’histoire de la traite, de l’esclavage et de leurs conséquences rend les citoyens plus conscients des indispensables principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Or, tant dans l’hexagone que dans les Outre-Mer, les discours de l’extrême-droite et ses mensonges envahissent aussi les cœurs et les esprits. Partout se répand l’illusion que l’ensemble des problèmes rencontrés dans l’accès aux services publics, les formes de relégation sociale, les inégalités seront réglés en excluant les plus fragiles que soi : les Haïtiens en Guadeloupe ou en Guyane, les Sainte-Luciens en Martinique, les Comoriens à Mayotte, les Mahorais à La Réunion.
Notre conseil scientifique est à l’image de la France plurielle forgée par l’histoire et c’est là, outre le travail que nous menons et les principes que nous portons, l’une de nos fiertés. C’est avec une profonde conviction que nous appelons chaque citoyenne et chaque citoyen à se mobiliser contre l’extrême-droite et à lui faire barrage le 7 juillet en France, dans l’hexagone comme dans les Outre-Mer.
Les signataires :
Audrey Célestine, présidente du Conseil Scientifique de la FME
Antonio de Almeida Mendes, membre du Conseil Scientifique de la FME
Claire Andrieu, membre du Conseil Scientifique de la FME
Magali Bessone, membre du Conseil Scientifique de la FME
Carlo Celius, membre du Conseil Scientifique de la FME
Myriam Cottias, membre du Conseil Scientifique de la FME
André Delpuech, membre du Conseil Scientifique de la FME
Julie Duprat, membre du Conseil Scientifique de la FME
Prosper Eve, membre du Conseil Scientifique de la FME
Romuald Fonkoua, membre du Conseil Scientifique de la FME
Charles Forsdick, membre du Conseil Scientifique de la FME
Cécile Fromont, membre du Conseil Scientifique de la FME
Malick Ghachem, membre du Conseil Scientifique de la FME
Tina Harpin, membre du Conseil Scientifique de la FME
Jean Hebrard, membre du Conseil Scientifique de la FME
Paulin Ismard, membre du Conseil Scientifique de la FME
Anne Lafont, membre du Conseil Scientifique de la FME
Elisabeth Landi, membre du Conseil Scientifique de la FME
Sébastien Ledoux, membre du Conseil Scientifique de la FME
Bruno Maillard, membre du Conseil Scientifique de la FME
Bernard Michon, membre du Conseil Scientifique de la FME
Jean Moomou, membre du Conseil Scientifique de la FME
Stéphanie Mulot, membre du Conseil Scientifique de la FME
M'Hamed Oualdi, membre du Conseil Scientifique de la FME
Olivette Otele, membre du Conseil Scientifique de la FME
Yolaine Parisot, membre du Conseil Scientifique de la FME
Frédéric Régent, membre du Conseil Scientifique de la FME
Dominique Rogers, membre du Conseil Scientifique de la FME
Marie-Jeanne Rossignol, membre du Conseil Scientifique de la FME
Éric Saugera, membre du Conseil Scientifique de la FME
Éric Saunier, membre du Conseil Scientifique de la FME
Jean-Marie Théodat, membre du Conseil Scientifique de la FME
Ibrahima Thioub, membre du Conseil Scientifique de la FME
Salah Trabelsi, membre du Conseil Scientifique de la FME
Françoise Vergès, membre du Conseil Scientifique de la FME
Catherine Vidrovitch, membre du Conseil Scientifique de la FME