Interview. Numérique- Mathieu Party : « La formation est essentielle pour une vision à long-terme des usages numériques aux Antilles»

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Interview. Numérique- Mathieu Party : « La formation est essentielle pour une vision à long-terme des usages numériques aux Antilles»

Début 2018, Outremers 360 vous a présenté Mathieu Party comme un parcours à suivre dans le domaine de l'entrepreneuriat et de la communication digitale. Trois ans plus tard, cet entrepreneur  2.0 est toujours avide de nouveaux défis. Son cheval de bataille aujourd'hui est dans la continuité de celui d'hier : accompagner et favoriser la digitalisation des entreprises et des particuliers par le biais de la formation. Retour sur ce parcours et ses nouveaux projets dans cette interview d’Outremers 360.

 

Outremers 360 :  En 2018, tu étais co-fondateur de la start-up An Sav Fé Sa, créateur du « Brain Bar » et des « Meet Up Influencia. Quelle est l'avancée de l'ensemble de ces projets? 

Le Brain Bar a été la base de tout. Il m'a permis de constituer un réseau. C'était une occasion de rencontrer des entrepreneurs et d'échanger avec eux. Chaque mois, rencontrer des entrepreneurs, déjà lancés, venant d'horizons différents avec plus ou moins de réussites mais surtout des histoires vraiment différentes. Cela m'a permis de comprendre certaines choses aussi rapidement. Aujourd'hui cela n'a plus le nom de Brain Bar mais j'ai gardé cette initiative dans mon ADN, c'est-à-dire de créer des rencontres entre entrepreneurs et ceux qui veulent se lancer. Mais aujourd'hui, Brain Bar a été mis en sommeil. 

Concernant l'application Carter de la start-up An Sav Fé Sa, l'aventure a duré deux ans mais n'a pas pu aller plus loin. Grâce à un financement BPI et au dispositif d'accompagnement Conseil régional/Réseau entreprendre, nous avons réussi à lancer le concept, dépasser les 5000 utilisateurs et à générer un trafic journalier pour faire vivre les chauffeurs mais cela restait insuffisant pour nous faire vivre. Nous avons constaté que nous n'arrivions pas à toucher le public qui utilisait régulièrement les taxis. L'aspect full-digital de l'application ne fonctionnait pas avec tous les publics et une grande partie de notre cible, n'était pas prête, à l'époque à enregistrer son moyen de paiement pour des services dits « de proximité». Peut-être que le modèle aurait dû être repensé afin de mieux s'adapter au marché et à un public peu familiarisé avec les usages numériques. 

Outremers 360 : Comment est né le Campus digital ?

Face à ce constat, j'ai lancé les ateliers Influencia, proche de la philosophie du Brain Bar, mais avec une volonté de toucher un public plus large. J'ai été amené à intervenir aux Antilles et à Paris, dans les lycées, auprès de publics seniors et en entreprises.
Durant cette période, je proposais des ateliers mensuels autour du digital et de l'entrepreneuriat où j'accompagnais des entrepreneurs mais aussi des particuliers dans leur digitalisation. En parallèle, je suis devenu formateur pour adulte et j'intervenais dans différents centres de formation.

J'ai découvert, à travers la formation un univers qui correspondait à mes valeurs de transmission, j'ai donc appris pendant 2 ans à maîtriser les rouages de ce secteur et c'est dans ce contexte que j'ai fondé « Le Campus digital» avec Wendie Zahibo et Alexis Onestas (entrepreneur et investisseur, notamment fondateur de l'agence Omax6mum).

Le Campus digital est aujourd'hui un centre de formation qui a pour objectif d'aider à la digitalisation des entreprises et des particuliers. Nous proposons 12 formations certifiantes dans le domaine du numérique et de l'entreprenariat. Nous formons également des adultes au métier de formateur. 

C'est un centre de formation 100% digitalisé, 90% de nos interventions s'effectuent en ligne. Aujourd'hui, nous avons plus d'une centaine d'experts dans notre vivier de formateurs.

Nous proposons  aussi comme service de  mettre à disposition nos formateurs pour un centre de formation qui souhaite dispenser des formations dans le numérique mais ne disposent pas de profils de formateurs adaptés. 
La particularité du Campus digital est, en plus d'être totalement digital, que nous travaillons avec des formateurs qui sont de véritables experts dans leur domaine.

Parmi nos apprenants, nous constatons de plus en plus de salariés qui se tournent vers le digital, Ils cherchent un accompagnement de A à Z pour aller vers un changement de carrière ou vers le lancement d'un nouveau projet. J'encourage toutes ces personnes qui n'ont pas peur de franchir ce cap. Quand ils viennent vers nous, souvent orientés par le Pôle Emploi, nous les accompagnons à redéfinir le projet et nous adaptons nos formations à leur projet. Le digital nous permet de recourir à une certaine souplesse qui nous permet de créer des formations sur- mesure en fonction des besoins de nos apprenants.
Nous leur proposons des formations généralement courtes (90 heures en moyenne) avec des exercices concrets et pratiques, en live (pas de vidéo préenregistrées). Nous travaillons sur le projet de l'apprenant, en temps réel avec un suivi, car l'apprenant peut discuter à tout moment avec son formateur via une messagerie directe.

Outremers 360 : Existe-t-il encore chez les clients ou entreprises réfractaires à la digitalisation ? 

Aujourd'hui, plus personne n'est réfractaire à la digitalisation mais certains expriment plutôt une crainte ou des interrogations sur la manière de se lancer dans la digitalisation.  « Ça me fait peur »,  « je ne sais comment pas y aller », « on m'a proposé une stratégie mais cela n'a pas fonctionné» sont davantage les réactions de clients que je recueille qu'un refus catégorique à la digitalisation. Le numérique détient encore ce côté ambivalent, « magique » où cela paraît compliqué quand on s'y lance d'une part et l'attente de résultats rapides lorsqu'on est lancé d'autre part.  Le web n'a rien de magique, l'essentiel repose sur la compréhension des usages, sur la confiance octroyée au prestataire choisi et surtout de s'installer dans la durée afin d'en tirer les bénéfices. C'est dans ce contexte que la formation est essentielle pour le manager en relation avec une agence de communication, ou le recruteur qui cherche à attirer des candidats ayant des compétences dans le numérique, pour comprendre le particulier qui souhaite se réorienter professionnellement vers le digital, pour le responsable RH qui doit maîtriser de nouveau outils numériques.
En effet, préserver l'employabilité des employés est très important et concerne tout autant le numérique qui s'installe dans la plupart des corps de métiers.
Pour s'installer dans la durée, la formation est essentielle pour une vision à long-terme des usages numériques aux Antilles.

La crise a permis d'ouvrir les yeux sur les activités de demain et a montré à quel point le numérique fait partie des activités à mettre au quotidien comme la digitalisation des services.

Quel constat faites-vous sur l'évolution du numérique et de la digitalisation aux Antilles?

Aujourd'hui, il y a une belle évolution. Le numérique a vraiment pris sa place. Le confinement ayant aidé, nous avons clairement vu cette dernière année, les pratiques numériques exploser. Cela peut s'expliquer par la multiplication d'acteurs dans ce domaine. Il y a 3 ans, j'étais pratiquement le seul à parler de Marketing Web et de digitalisation, sur les réseaux. Aujourd'hui, de nombreux acteurs se sont intégrés sur le territoire et font du beau travail. Il y également beaucoup de structures qui accompagnent les entreprises et les particuliers comme GuadeloupeTech, Martinique Tech, Martinique Digitale, les CCI Guadeloupe et Martinique. Les espaces de coworking (Le Spot, Bebooster, etc.) ont également participé à cet élan.

Outremers 360 : La crise sanitaire a eu en ce sens un impact positif ?

Les particuliers et les professionnels n'ont plus vraiment le choix ! Même ceux qui espéraient une rapide sortie de crise sont aujourd'hui en demande de solutions. Et cette solution passe par le digital. La crise a permis d'ouvrir les yeux sur les activités de demain et a montré à quel point le numérique fait partie des activités à mettre au quotidien comme la digitalisation des services. ( EDF, contracter un abonnement téléphonique sur internet). Les solutions se sont également démocratisées . Auparavant, on parlait de site web ou de réseaux sociaux, aujourd'hui, on peut  parler d'automation, de no-code. Passer au digital n'est pas forcément le schéma classique de la création d'un site web ou des réseaux sociaux mais cela passe par une compréhension des pratiques. Il y a une multitude d'outils disposant chacun de leurs spécificités (outil de paiement, outil de gestion). Tout cela fait que le numérique et le digital deviennent de plus en plus accessibles.

C'est une chance aujourd'hui pour les entreprises de compter sur des influenceurs qui se professionnalisent, qui travaillent avec des agences, mais mettent en place des stratégies…Les influenceurs eux-mêmes deviennent entrepreneurs.

Outremers 360 : Comment décrire l'influenceur antillais ?

Sur les réseaux, l'influenceur antillais a pris le train en marche. Il ne se limite plus aux Antilles. Les influenceurs antillais ont pris conscience que le marché n'est pas uniquement local mais bien international. Après Whatsapp, Instagram reste le réseau de préférence de la population antillaise. Ce qui garantit l'impact de nos influenceurs. Pendant le premier confinement, Tiktok effectue une belle percée. Comprenez également que la vidéo et la création de contenu de qualité et de valeurs ont de beaux jours devant eux.

C'est une chance aujourd'hui pour les entreprises de compter sur des influenceurs qui se professionnalisent, qui travaillent avec des agences, qui ne se contentent pas simplement de publier pour publier, mais mettent en place des stratégies. Dans les usages des influenceurs, on voit bien une forme de professionnalisation. Les influenceurs eux-mêmes deviennent entrepreneurs. C'est le cas de Vanooh qui a récemment créé sa marque de textiles « Vanilla del Sol». C'est quelque chose de formidable ! 

Outremers 360: La structuration actuelle des acteurs du digital et du numérique est-elle suffisante pour accompagner les entreprises vers la digitalisation? 

L'effort est là mais nous sommes dans un processus d'amélioration. Si en 2018, j'aurais parlé spécifiquement  d'émergence de starts-up, un véritable tissu entrepreneurial s'est constitué en Guadeloupe aujourd'hui. Aux Antilles, nous avons l'habitude d'entreprendre : la Guadeloupe et la Martinique font partie des départements les plus dynamiques en termes de créations d'entreprises, avec un tissu d'entreprises très divers (TPE, PME, etc). L'intérêt pour les acteurs est de permettre à tous ces types d'entreprises de pouvoir se digitaliser et de fournir des solutions adaptées à chacune de ces entreprises. L'effort doit se situer de deux côtés: les structures doivent s'adresser à tout type d'entreprises mais les entreprises, quelle que soit leur taille, doivent également saisir l'opportunité de se digitaliser.

En Guadeloupe et en Martinique, je rencontre surtout la même problématique du degré de compréhension du numérique à la fois dans une grande entreprise ou auprès d'un artisan. Finalement, nous sommes tous égaux devant le numérique. 

On constate également une certaine réticence au digital du fait de la persistance des schémas traditionnels qui fonctionnent encore, à titre d'exemple les campagnes d'affichage, ou la diffusion à la radio.  Nous avons une pratique numérique différente de celle de l'Hexagone.

S'il existe des freins encore pour moi, ils sont, selon moi d'ordre administratif et financier.  Guadeloupe Tech fait vraiment cet effort d'aller vers cette innovation et de la favoriser.

Les instances en place font l'effort, la CCI Guadeloupe qui s'intéresse aux solutions pour numériser les entreprises à travers des Open Coffee, on peut parler également de leur proposition d'ateliers. Une dynamique globale est réellement en train de se mettre en place.

Outremers 360 : Comment expliquer la persistance des schémas traditionnels ?

Partons du constat que j'ai pu faire suite à l'expérience Carter. Prendre un modèle extérieur et le positionner sur un écosystème local revient à se mettre un peu le doigt dans l'œil. Aux Antilles, il faut comprendre que les usages dans la vie quotidienne et les usages numériques sont à mi-chemin entre l'ère numérique que nous vivons et l'ère micro d'avant. Aujourd'hui, si on arrive sur un marché local en voulant imposer un modèle extérieur, même un modèle de marketing, cela ne peut pas fonctionner. Il est nécessaire de prendre en compte ce qui existe et ce qui fonctionne. Pour qu'un produit entrepreneurial puisse fonctionner, il faut mettre en place une stratégie qui s'adapte au marché local. C'est cela qui rend particulier notre écosystème.Nous avons un ADN qui est propre aux Antilles, qui se positionne selon les usages, les outils, les moyens dont elle dispose mais elle est unique. 

Le marché local étant à la croisée du système traditionnel et du système digital, il faut donc savoir innover en proposant des choses nouvelles tout en comprenant les usages locaux. A titre d'exemple, si un entrepreneur qui souhaite lancer un produit sans appuyer sa stratégie sur Whatsapp qui est le réseau social le plus utilisé aux  Antilles et en préférant d'autres réseaux émergents comme clubhouse ou Tiktok, serait une erreur. La stratégie gagnante serait une stratégie 360° mixant web et média traditionnels.

L'idée est de tendre vers la professionnalisation dans les métiers du digital.

Outremers 360 : En parlant d'apprentissage, le numérique et le digital ont-ils  pleinement fait leur entrée à l'école ? 

Pour avoir rencontré des collégiens, des lycéens ou des étudiants ces dernières années, nous ne sommes pas tous égaux au numérique, selon l'environnement dans lequel on évolue. Le numérique possède une vision qui reste ludique. L'idée est de tendre vers la professionnalisation dans les métiers du digital. Maintenant, l'inclusion du numérique part d'une dynamique personnelle venant soit du chef de l'établissement ou soit de professeurs faisant un réel effort de pouvoir permettre à leurs élèves de comprendre le digital, les métiers de demain. Il faut saluer notamment le travail de l'association 100 000 entrepreneurs en Guadeloupe qui favorise les rencontres avec des entrepreneurs dans les établissements scolaires, ou met en place des journées de sensibilisation à l'entrepreneuriat par le digital. 

Outremers 360 : En 2018, ton projet coup de cœur était Reine des Temps modernes ! Aujourd'hui, quel est ton projet coup de coeur ?

Mon projet coup de cœur est aujourd'hui Fanm Digital ! Il s'agit d'un webinaire-évènement porté par Wendie Zahibo qui met en avant et est fait pour les femmes noires dans la tech. C'est un rendez-vous mensuel qui valorise les femmes noires dans le domaine technologique.

 

Le Campus Digital

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