Vendredi 7 avril, le Panthéon à Paris va accueillir un hommage à Toussaint Louverture, le leader des esclaves révoltés d’Haïti sous la Révolution française. Une cérémonie organisée par la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage et la Région Île-de-France, à l’occasion du 220ème anniversaire de sa mort au Fort-de-Joux (Doubs), le 7 avril 1803. Le président de la FME, ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault, revient pour Outremers360 sur les raisons de cette initiative, et sur les perspectives de la FME en 2023.
Vous organisez le 7 avril prochain un hommage à Toussaint Louverture au Panthéon. Pourquoi cette cérémonie ?
Parce qu’encore aujourd’hui, Toussaint Louverture reste un inconnu pour la plupart des Français, alors qu’il est une figure immense de l’histoire mondiale. Combattant contre l’esclavage, général de la Révolution, emblème du combat pour la dignité des peuples noirs dans le monde, un tel destin méritait bien un hommage spécial dans le pays qu’il a toujours revendiqué comme le sien !
Nous n’étions pas les seuls à le penser, et je remercie la conseillère régionale d’Île-de-France Anne-Louise Mesadieu, qui a proposé que la région s’associe à ce moment particulier. Grâce à Valérie Pécresse, l’Île-de-France fait partie depuis 2019 des collectivités fondatrices de la FME, et je suis heureux que nous puissions faire cet événement ensemble.
Pourquoi faire cet hommage au Panthéon ?
Je veux tout d’abord dire que, avant cette cérémonie, il y en aura une autre le matin au Fort-de-Joux, là où Toussaint est mort en 1803. Elle est organisée par le Grand Pontarlier qui gère ce château redoutable où Napoléon Bonaparte l’avait jeté après avoir envoyé toute une armée pour le renverser. La FME y déposera une gerbe, et je tiens à saluer l’action des élus de cette région qui font vivre toute l’année la mémoire de Toussaint dans cet endroit où il a fini sa vie.
J’en reviens au Panthéon : nous y serons tout simplement parce que c’est là que la République rend hommage à ses grandes figures, et que Toussaint en est une. Il y est d’ailleurs déjà honoré. Depuis 1998 en effet on trouve dans la crypte du Panthéon une inscription qui salue sa mémoire ; mais qui le sait ? En organisant cet hommage, avec le soutien du Centre des monuments nationaux qui gère le Panthéon, nous voulons rappeler à tous les Français l’importance de Toussaint Louverture dans notre histoire, et montrer au monde que la France ne l’a pas oublié.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui se passera le 7 avril ?
Ce sera un événement qui associera la mémoire, la culture et la jeunesse. Du côté des officiels, en plus de la Fondation et de la Région, le gouvernement sera représenté par Pap Ndiaye, qui apportera la parole de l’État à ce moment de mémoire républicaine, et il y aura aussi des parlementaires, des élus locaux, Son Excellence l’ambassadeur d’Haïti en France ainsi que plusieurs de ses collègues en poste en Europe. Nous écouterons également l’historien Pierre Buteau et l’avocat Éric Sauray évoquer l’homme Toussaint et son message universel. Des élèves de l’Ecole de la Deuxième Chance liront des textes de Toussaint Louverture. Et la cérémonie se terminera en musique avec Emeline Michel et James Germain, qui ont traversé l’Atlantique spécialement pour être avec nous ce soir-là.
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J’ajoute que le ministre des Armées Sébastien Lecornu a accepté que son administration nous apporte son aide dans l’organisation de cette cérémonie, et c’est à mes yeux un symbole particulier, parce que Toussaint Louverture était un général français, qui est mort dans une geôle française après y avoir été injustement emprisonné.
Pour vous, que représente Toussaint Louverture en 2023 ? En quoi son histoire est-elle encore d’actualité ?
Toussaint Louverture, c’est d’abord un destin extraordinaire. Pensez : cet homme est né dans l’esclavage ; pendant 33 ans il n’a connu que cela ; et dans le grand vent de la Révolution Française aux Antilles, il devient un chef de guerre redoutable, un diplomate avisé, un homme d’Etat d’un genre nouveau, au croisement des influences africaine, américaine et européenne. C’est du jamais vu dans l’histoire du monde – je le rappelle : la révolte des esclaves de Saint-Domingue est la première révolte d’esclaves qui a réussi, et cela grâce à Toussaint Louverture. D’une insurrection il a fait une révolution, que ses lieutenants ont ensuite mené à sa conclusion logique : l’indépendance, en 1804, avec la naissance de ce nouvel État d’hommes libres, Haïti.
Tout cela, il y a plus de deux siècles, et trente ans avant que la France ne se lance à la conquête de l’Algérie. On comprend dès lors pourquoi Aimé Césaire appelait Toussaint Louverture « le précurseur ». C’est bien ce qu’il est : un précurseur de l’abolition de l’esclavage, un précurseur d’une société libérée du racisme, un précurseur de la décolonisation.
Bien sûr, il avait aussi des côtés qui l’éloignent des valeurs de notre époque – son goût du pouvoir personnel, sa volonté de se faire nommer gouverneur à vie, sa vision économique encore marquée par le système des plantations – mais cela n’efface pas la radicalité de ce qu’il a essayé de faire : transformer une colonie esclavagiste en une société où la liberté et l’égalité règneraient vraiment. C’est le programme qu’il annonce dès 1793. Et ce programme-là reste pleinement actuel.
Toussaint Louverture appartient également à l’histoire haïtienne. Est-ce une dimension qui sera présente dans la cérémonie du 7 avril ?
Tout à fait, et c’était très important pour nous. L’ambassade d’Haïti est associée à la cérémonie, une bonne partie des intervenantes ou intervenants que nous entendrons sont d’origine haïtienne, et la diaspora sera aussi là dans le public. Notre maître de cérémonie sera Jimmy Jean-Louis, qui avait joué Toussaint Louverture en 2011, pour France Télévisions.
Je veux dire aussi un mot sur Pierre Buteau. Il est le président de l’association d’histoire, de géographie et de géologie d’Haïti. Il vit là-bas, et la grave crise que le pays connaît aujourd’hui ne l’a pas épargné, puisqu’il a réchappé d’un enlèvement au début de cette année. En l’invitant pour cette soirée exceptionnelle, nous voulions aussi lui rendre hommage, et saluer le courage de toutes les Haïtiennes et tous les Haïtiens qui font face tous les jours à cette situation éprouvante.
Est-ce que cette cérémonie sera le seul événement que la FME a prévu d’organiser autour de Toussaint Louverture cette année ?
Non, nous avons décidé de placer sous son signe tout le Temps des Mémoires 2023. Toutes les commémorations auront donc vocation à évoquer son souvenir. Pour ce faire, nous avons enrichi notre exposition itinérante et notre Kit de commémoration d’une évocation de sa vie. Nous partagerons également de nombreuses ressources sur nos réseaux sociaux, et nous espérons que le Président de la République se saisira lui-même de cet anniversaire.
J’ajoute que nous ne serons pas les seuls à rendre ainsi hommage à Toussaint Louverture : à Pontarlier et au Fort de Joux, tout un programme de manifestations est prévu jusqu’à la fin de l’année. Il y aura aussi des événements autour de Toussaint Louverture à Massy, où une statue lui est dédiée depuis 1989, à La Rochelle, à Bordeaux, et dans beaucoup d’autres endroits en France, nous l’espérons.
Au-delà de Toussaint Louverture, la FME a-t-elle d’autres projets cette année ?
Du côté du calendrier commémoratif, nous marquerons également deux autres anniversaires à la fin de cette année : le tricentenaire du Code Noir des Mascareignes, qui a réglementé l’esclavage à La Réunion et à l’île Maurice à partir de 1723, et le bicentenaire de « l’affaire Bissette », dans laquelle le futur abolitionniste Cyrille Bissette a été condamné à dix ans de galères pour avoir contesté le racisme colonial en Martinique sous la Restauration.
Nous sortirons également dans quelques jours la troisième « Note de la FME », qui portera sur « Racisme et esclavage ». Cette étude préparée par un groupe de travail de notre conseil scientifique éclairera les racines en France du racisme anti-noirs et ses liens avec l’esclavage colonial. Elle sera un outil précieux pour appuyer la politique de lutte contre le racisme et les discriminations sur l’origine.
Enfin, nous aurons un grand moment à la fin de l’année, avec l’ouverture de l’exposition « Oser la liberté ! » que nous organisons avec le Centre des monuments nationaux au Panthéon, autour des héroïnes et des héros de la lutte contre l’esclavage et du combat pour la liberté et l’égalité. La commissaire en est Florence Alexis. Toussaint Louverture y sera présent naturellement, mais aussi de nombreuses autres figures inspirantes de cette page encore trop peu connue de notre histoire. Ce sera notre première exposition dans un lieu de cette importance, et donc un moment très fort pour notre jeune institution : je rappelle que, créée fin 2019, la Fondation n’a que trois ans à peine.