INTERVIEW EXCLUSIVE. Vie chère en Martinique : Le préfet Jean-Christophe Bouvier assure avoir « une bonne écoute du gouvernement »

Le préfet de Martinique à sa sortie de Matignon, où il était en entretien avec le Premier ministre vendredi ©Outremers360

INTERVIEW EXCLUSIVE. Vie chère en Martinique : Le préfet Jean-Christophe Bouvier assure avoir « une bonne écoute du gouvernement »

Le préfet de la Martinique Jean-Christophe Bouvier était en mission à Paris cette semaine, afin d’exposer au gouvernement les travaux entrepris sur l’île pour lutter contre la vie chère, source de contestation ces dernières semaines. Assurant avoir « une bonne écoute » de l’exécutif, Jean-Christophe Bouvier repart avec l’espoir d’un protocole de sortie de crise, bientôt, pour à la fois répondre à l’urgence et apporter des solutions de fond à une problématique structurelle. 

Outremers360 : Vous avez eu plusieurs rendez-vous à Paris depuis une semaine, sur ce qui se passe actuellement en Martinique. Est-ce que vous pouvez déjà nous faire un état des lieux de tous ces rendez-vous ?

Jean-Christophe Bouvier : Il était important que je puisse avoir ces rendez-vous dans la mesure où nous avons commencé à travailler en Martinique, et le travail que nous avons engagé avec les partenaires nécessitait que l'on puisse exposer son contenu, expliquer les raisons pour lesquelles nous avons privilégié tel ou tel axe d'effort avec les partenaires locaux. C'est la raison pour laquelle je me suis rendu à Paris et que j'ai eu une série d'entretiens pour exposer la situation martiniquaise, l'urgence de la prise en considération de cette situation et l'examen approfondi des solutions envisagées sur le territoire. 

Justement, quelles sont les solutions qui sont envisagées ?

Déjà, il fallait partir d'un constat, c'est le caractère extrêmement rigide de la structure de formation des prix en Martinique. Il est très facile d'envisager le meilleur des mondes lorsqu'on fantasme sur les sur-profits des uns, l'absence de transparence, etc. Bien sûr que, et ça fait partie d'un des axes d'effort : travailler sur une meilleure transparence de la formation des prix, de meilleurs éléments d'information du consommateur sur les différences de prix entre l'Hexagone et la Martinique. Tout ça, ce sont des efforts sur lesquels nous devons continuer le travail et mettre à la disposition des consommateurs les éléments d'information factuels qui leur permettent de constater objectivement quelle est cette différence de prix et de s'interroger sur les causes.

Ensuite, notre travail a permis de nous pencher sur la rigidité de ces prix. Dès lors que vous avez 13 étapes en moyenne, entre le moment où l'importateur achète son produit dans l'Hexagone et le moment où il est débarqué sur le port de Fort de France, chaque étape est un coût. Et ce coût, s'il y en a 13 pour venir en Martinique, en moyenne, dans l'Hexagone, il y en a cinq. Donc, on voit bien que déjà, on est plus de deux fois et demi le nombre d'étapes nécessaires pour apporter le produit en Martinique. Et ce sont deux fois et demi plus de coups qui s'ajoutent au prix d'achat du produit lorsqu'il est importé.

Donc, nous avons essayé d'identifier, dans une économie de marché où la formation des prix est libre, quels étaient les leviers sur lesquels nous pouvions le plus facilement et le plus rapidement intervenir. Naturellement, les différentes taxes qui s'ajoutent au prix constituent un effet de levier qui est le plus facilement identifiable. Mais encore faut-il que, si l'on supprime ces taxes, ce à quoi elles servent ne soit pas amputé.

Quand vous baissez le produit de l'octroi de mer en Martinique, il est légitime que ceux qui en bénéficient, en premier lieu les élus, les maires, voient ça d'un mauvais œil. Donc, il fallait compenser cette baisse de taxes sur certains produits par une augmentation sur d'autres produits qui ne constituent pas des produits de consommation courante nécessaires à la grande majorité des Martiniquais et en particulier à ceux qui sont sous le seuil de pauvreté.

De manière identique, lorsqu'on envisage une baisse de la TVA sur un certain nombre de produits, il faut que celle-ci puisse être compensée pour que le budget d'État qui est dans la situation que vous connaissez, qui est une urgence politique, ne puisse pas souffrir de manière disproportionnée de mesures qui sont destinées aux citoyens martiniquais. Donc, tout ça fait l'objet de discussions.

Après, nous avons identifié d'autres leviers sur lesquels nous pouvions travailler. Naturellement, dès lors que lorsqu'on dit que 67% du différentiel de prix entre la Martinique et l'Hexagone est lié aux frais d'approche, c'est-à-dire les 13 étapes plus le transport, est-ce que nous pouvions identifier un effet de levier pour travailler sur ces frais d'approche ? Nous avons identifié ça comme un axe d'effort. Il nous fallait après trouver la manière dont nous pouvions concrétiser cette baisse des frais d'approche.

Il y a aussi, par exemple, retrouver la possibilité pour les importateurs martiniquais de bénéficier du prix export, lorsqu'ils achètent plutôt des produits hexagonaux au bénéfice des Martiniquais, parce qu'on s'aperçoit qu’il y a parfois des différences de 10 à 15% entre le prix national et le prix export, qui incluent des frais de distribution dans l'Hexagone, dont ne bénéficient pas les Martiniquais, alors même qui les paient.

Tous ces éléments, que nous avons identifié et que nous voulons défendre, il fallait que je les présente au gouvernement, aux représentants des ministères et en particulier de celui de l'Outre-mer, pour pouvoir créer une dynamique et aboutir concrètement à échéance à la signature d'un protocole de sortie de crise en Martinique.

Le plus important, c'est bien d'aboutir rapidement à une sortie de crise qui handicap l'économie martiniquaise, les familles les plus pauvres. Parce que quand vous perdez votre voiture parce qu'elle est brûlée, quand vous ne pouvez pas aller au travail parce que la rue est bloquée, ce sont d'abord les salariés, ceux qui sont les plus démunis, qui payent cette situation. Donc, il est important que nous nous en sortions. Nous avons travaillé pour cela pendant les quatre jours de ma présence à Paris. Et ces quatre jours réunions ont abouti quand même à une forte écoute du gouvernement.

L’écoute du gouvernement, du nouveau gouvernement, vous l’attestez, vous en êtes convaincu ?

Oui, il y a une écoute. Elle n'a jamais cessé. Il y a un Ministère des Outre-mer, avec des gens compétents qui connaissent les Outre-mer, qui identifient les problèmes et qui mettent toute leur intelligence collective pour pouvoir résoudre ces problèmes.

Après, bien sûr qu'il y a des discussions, bien sûr qu'il peut y avoir des blocages, mais dès lors qu'il y a une détermination à les régler, et c'est le sens, en tout cas, de l'écoute que j'ai trouvée lors de mes entretiens à Paris, on a beau lieu d'avoir l'espoir de sortir.

Ça ne veut pas dire qu'on va résoudre tous les problèmes immédiatement. Ça veut dire qu'on est en capacité de prendre des décisions fortes, symboliques, et en capacité de lancer une dynamique qui nous permette, à échéance d'un trimestre, de quelques mois, de l’amplifier, parce qu'on ne va pas s'arrêter aux décisions qui pourraient être formalisées dans le protocole de sortie de crise. Celui-ci intégrera aussi des solutions dont la mise en œuvre nécessite un travail de fond pour pouvoir y aboutir.

Ce protocole de sortie de crise, il induit donc des solutions, des annonces à court terme et à moyen terme, qui seront explicitées bientôt ?

Il va y avoir des informations qui vont montrer que la problématique de la vie chère en Martinique n'est pas une problématique qui est découverte par le gouvernement : il y avait déjà un travail engagé sur la continuité territoriale également. Mais il fallait aussi régler cette poussée inflationniste qui vient s'ajouter aux différentiels de prix que nous connaissions déjà, et qui rendait encore plus fragile la situation des personnes les plus démunies. Il fallait urgemment prendre ça en considération et traiter spécifiquement ce problème pour les produits de grande consommation

Sur les 54 familles de produits qui ont été proposées par le président de la Collectivité territoriale Serge Letchimy, où il a parlé d'un accompagnement de l'État, ça a été un peu discuté ?

Le choix de travailler sur un nombre limité de familles de produits a été un choix que nous avons fait dès le début. D'abord parce que c'est plus facile de chiffrer une mesure sur un nombre de produits déterminés. Parce que si vous prenez tous les produits de grande consommation, d'abord, où va s'arrêter le produit de grande consommation, etc. Et puis, vous arrivez à des montants qui sont plus dissuasifs qu'autre chose. 

Donc, il nous fallait montrer que certains dispositifs pris sur la base de 54 familles de produits aboutissaient à des mesures avec un coût supportable par les uns et les autres. Après, si la situation politique, économique ou autre justifiait que ces cinquantaines de familles de produits soient étendues, pourquoi pas ? La question, c'est de répondre dans l'urgence, dans la situation de crise des finances publiques que nous connaissons, à la prise en compte des besoins les plus urgents de la population.

Nous avons travaillé à l'identification de 54 familles de produits qui ne sont pas simplement alimentaires, qui sont aussi des produits d'ordre sanitaire, d'hygiène, mais qui sont de consommation courante pour la population et qui lui permettent de mieux supporter ce différentiel de prix qui s'impose à tous.

Avec l’écoute du gouvernement, vous espérez sortir de cette crise par le haut ?

C'est exactement ça. Sortir par le haut, ça veut dire aussi qu’on ne peut pas obtenir de réponse favorable sur tout, mais que nous pouvons trouver une dynamique qui satisfasse les besoins les plus urgents et qui apporte une réponse urgente à ces besoins, tout en continuant à travailler sur le fond à des solutions qui viendraient s'ajouter à moyen et long terme.

Propos recueillis par Marie-Christine Ponamalé et Charles Baudry