Le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a accordé une interview à Outremers360. Interview dans laquelle il revient sur les difficultés de l’agriculture ultramarine et notamment, sur la filière banane des Antilles, la sécheresse à Mayotte ou encore le foncier agricole en Guyane, et fait un point sur les mesures prises par le gouvernement pour y répondre.
Outremers360 : Monsieur le ministre, pouvez-vous nous parler de l'actualité de l'agriculture dans les territoires d'outre-mer ?
Marc Fesneau : Tout d’abord, je veux saluer le dynamisme de l’agriculture dans les Outre-mer. Il faut reconnaître aux acteurs un sens de l’engagement certain au service de leur territoire avec, parfois, le sentiment qu’il ne sont pas entendus depuis Paris. Sur ce point, je souhaite les assurer que je porte une attention égale à leur situation qu’à celle des producteurs de la France hexagonale.
La souveraineté alimentaire est un enjeu majeur pour accroître la résilience de la France d’outre-mer comme de l’hexagone. Pour accroître la souveraineté alimentaire, j’insiste sur l’importance de continuer l’effort déjà engagé pour la structuration des filières, végétales comme animales, dans chaque territoire. C’est un facteur clé de la capacité à produire de manière plus compétitive. Il est vrai que cette structuration est en cours partout, avec des territoires et des filières plus ou moins avancés. Je veux ici citer l’exemple de La Réunion où la majorité des filières agricoles sont structurées, c’est un atout qui permet de mieux piloter la production comme pour faire jouer la solidarité entre les producteurs en cas de coup dur.
Pour traduire cette dynamique collective et structurante des territoires ultramarins, d’importants travaux ont été conduits ces derniers mois, donnant lieu dans les territoires ultramarins à des feuilles de route territoriales pour tendre vers la souveraineté alimentaire et ont été signés par les producteurs, les collectivités et l’État en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à La Réunion et à Mayotte.
Ces objectifs chiffrés de taux de couverture d'ici 2030 ont été fixés par les acteurs de chacun de ces territoires et chacune des grandes filières afin de répondre aux besoins alimentaires de ces territoires. Les leviers à mettre en œuvre ont également été identifiés et font l'objet d'un suivi particulier.
Par exemple, comme cela a été annoncé lors du comité interministériel sur les Outre-mer du 18 juillet 2023, présidé par la Première ministre, une « task force » dédiée aux Outre-mer a été constituée sur la situation phytosanitaire qui est un des facteurs limitant du développement de l'agriculture ultramarine. Un suivi précis de chaque maladie ou peste végétale a été mis en place afin que les agriculteurs ne soient pas laissés sans solution, tout en privilégiant le déploiement de solutions alternatives (bio-contrôle, mécanisation, itinéraires techniques innovants) et un abaissement optimisé de l'utilisation des produits phytosanitaires, conformément à l'objectif principal du plan Ecophyto 2030 en cours de discussion. Par ailleurs, la France soutient fortement l'utilisation des nouvelles variétés NBT (new breeding techniques) résistantes aux maladies des cultures qui permettront de se passer d’un grand nombre de produits phytosanitaires.
Les agriculteurs demandent plus de soutien à l'État pour les aider à atteindre la souveraineté alimentaire ?
Le soutien public à l'agriculture ultramarine est déjà important, près de 900 millions d’euros par an, dont près de 400 millions de crédits communautaires, incluant environ 650 millions de subventions, près de 200 millions de réductions fiscales sur le rhum et 70 millions d'aide fiscale à l'investissement productif.
Ce soutien est en augmentation constante : une aide de 19 millions d’euros supplémentaire a été obtenue en 2023 pour les planteurs de canne à sucre, portant les subventions publiques totales à cette filière à environ 220 millions par an. De plus, les crédits d'État venant en complément des crédits européens du Poséi et qui servent à l'accompagnement de la hausse de la production des filières de diversification sont passés de 45 millions d’euros dans la loi de finances 2023 à 60 millions dans le projet de loi de finances 2024.
Par ailleurs, pour faire face aux surcoûts liés à la guerre en Ukraine et en complément de l'aide de 10 millions d’euros pour l'alimentation animale en 2022, la Première ministre a annoncé une aide de 10 millions d’euros dédiée à la filière fruits et légumes. Cette aide permettra d’aider l’ensemble des productions maraîchères et fruitières. En outre, les Outre-mer émargent et émargeront aux guichets nationaux transversaux, notamment de France 2030, par exemple sur les investissements innovants.
Enfin, je veillerai dans le cadre de la planification écologique qu’une partie des crédits puisse être déclinée territorialement afin de répondre à certaines spécificités territoriales ou de manière transversale aux territoires d’Outre-mer afin de cibler les enjeux majeurs des productions ultramarines. Dès le début de l’année 2024, nous démarrerons un recensement des besoins afin d’identifier collectivement les solutions qui pourront faire l’objet de financements.
Les représentants de la filière banane antillaise se plaignent des difficultés rencontrées par les planteurs. Que peut faire l'État pour les aider ?
La filière banane reçoit un soutien annuel de 129 millions d’euros de crédits européens du Poséi quel que soit le niveau de production global. Cette enveloppe a été fixée à 129 millions en 2006 quand la production était à 317 000 tonnes. Aujourd'hui, la production est de 200 000 tonnes et l'enveloppe est toujours la même. Mais, entre-temps, les producteurs ont dû faire face à des difficultés qui ont augmenté une partie de leurs coûts de production. Il faut leur reconnaître l’effort réduit de plus de 80 % les quantités de produits phytosanitaires utilisées tout en devant faire face à une maladie fongique, la cercosporiose noire du bananier.
Cette situation a fragilisé l'équilibre économique de certaines exploitations et conduit plusieurs producteurs à l'arrêt d'activité. Le gouvernement va prendre plusieurs mesures immédiates pour aider la filière : émargement à une partie de l'aide de 10 millions d’euros pour la filière fruits et légumes annoncée par la Première ministre à La Réunion en mai 2023, accompagnement particulier suite aux événements climatiques récents (sécheresse en 2022 et tempête Bret en 2023 pour la Martinique, d’une part, et gestion des suites de la tempête Fiona pour la Guadeloupe, d’autre part).
En outre, une partie des planteurs est confrontée à des difficultés concernant les cotisations sociales employeurs, c’est pourquoi nous avons demandé, avec mon collègue en charge des comptes publics, de procéder avec bénévolence dans la prise en compte des cas individuels via des plans d’apurement de dettes, lesquels seront traités par la CCSF ou directement par la CGSS compétente. Les procédures de recouvrement forcé sont suspendues le temps de l’examen de chaque dossier.
En outre, mon ministère poursuit, dans un esprit très constructif, les discussions avec les représentants de la filière pour identifier les solutions à apporter aux planteurs à court terme comme à moyen terme.
Quelle est la situation de l'agriculture à Mayotte et en Guyane et quels sont les moyens mis en œuvre pour les aider ?
Mayotte fait face à une sécheresse exceptionnelle qui impacte gravement la vie quotidienne des mahorais. L'agriculture est également pénalisée par ce déficit hydrique. L’ensemble des directions de mon ministère est mobilisé pour accompagner et soutenir l’action locale de l’État au travers d’une task force spécialement mise en place auprès de mon cabinet.
Localement, la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt a mis en place un comité départemental d'expertise composé d'agents de l'État, de la chambre d'agriculture et de représentants du monde agricole pour évaluer l'impact et les pertes pour le monde agricole, en vue d'une éventuelle demande par le préfet au ministère des Outre-mer pour solliciter l'ouverture du Fonds de secours des outre-mer (FSOM). Au-delà du court terme, il nous faut rapidement dégager des solutions pérennes pour accroître la résilience de l’agriculture mahoraise. J’ai eu l’occasion de m'entretenir avec des élus du territoire, ils savent mon engagement à leur côté et au côté des mahoraises et des mahorais pour mobiliser les moyens à ma disposition.
En Guyane, le sujet du foncier agricole est une priorité. La présidente de la SAFER a été agréée par mes soins et un programme pluriannuel d'activité a été élaboré et validé par le COSDA. Le dossier a été reçu par mes services. L'objectif est l'agrément de la SAFER dans les prochains jours, ce qui entraînera de facto la possibilité de mettre en œuvre le droit de préemption et l'identification des 20 000 hectares devant être transférés à l'établissement, conformément aux accords de 2018.
Je veux venir terminer en rappelant qu’il n’y a pas que l’agriculture et que j’ai aussi la charge de gérer la ressource forestière. Aussi, ma volonté pour la forêt guyanaise, par le biais de l’ONF, est de maintenir une gestion durable de la forêt tout en permettant le développement économique du territoire. D’ores et déjà, dès 2024, des crédits de la planification écologique de mon ministère seront engagés en Guyane pour la réalisation d’un inventaire forestier qui permettra de mieux connaître et donc de tirer le meilleur parti de la ressource en bois.