Le projet de Centrale électrique de l’Ouest guyanais (CEOG), portée par la société Hydrogène de France (HDF), est au cœur des débats en ce début d’année. D’un côté, une tribune de la Jeunesse autochtone de Guyane et de la Fondation Danielle Mitterrand, signée par 150 personnalités politiques et culturelles, demande une délocalisation de celle-ci. De l’autre, un collectif d’élus, menés par le président de la Collectivité territoriale, Gabriel Serville, appelle à maintenir cette infrastructure, « indispensable pour répondre aux besoins en énergie de notre territoire ».
C’est quelques semaines après un déplacement à Paris pour récolter du soutien dans leur démarche, que la tribune de soutien au village Prospérité en Guyane est parue dans les colonnes du Monde, fin décembre. À l’initiative des organismes Jeunesse autochtone de Guyane, Fondation Danielle Mitterrand, Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques, Groupe National de Surveillance des Arbres, Association Nationale pour la Biodiversité et Observatoire terre-monde, elle a été signée par 150 personnalités issue notamment de la culture et de la politique. On y trouve essentiellement des députés de la France insoumise.
« La transition énergétique ne se fera ni en niant nos droits en tant que peuples autochtones, ni en saccageant la forêt amazonienne » lance la tribune au président de la République. « Le peuple Kali’na du village Prospérité (…) voit aujourd’hui un projet industriel s’installer sur son territoire de vie », ajoute-t-elle. En premier lieu, les habitants du village Prospérité, à travers cette tribune, dénoncent un projet qui déroge « à notre droit à disposer de nos terres » : « alors que nous attendons depuis 30 ans que l’État nous confie ce terrain au titre des « zones de droit d’usage collectif », la société HDF Energy a obtenu en moins d’un an l’autorisation pour y implanter la centrale électrique sans concertation réelle avec les habitants ».
Ils dénoncent aussi les « documents non traduits », les « pressions fortes et répétées exercées sur le chef du village pour qu’il accepte le projet contre des compensations financières » comme autant de dérogations au « droit au consentement préalable, libre et éclairé, également protégé par le droit constitutionnel à l’information et à la participation du public ». « L’État et l’industriel font preuve d’une obstination sourde et désormais brutale face aux demandes de longue date de déplacement du projet industriel CEOG, comme en témoigne l’arrestation violente du chef du village ainsi que de plusieurs habitants suite à une journée de mobilisation pacifiste pour contester la poursuite du chantier » ajoute-t-on.
Sur le plan environnemental, « la zone d’emprise de la centrale se trouve au sein d’une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), au sein du Parc naturel régional de Guyane » rappelle la tribune, qui souligne que « le diagnostic visant à détailler la biodiversité présente sur le terrain réalisé par le bureau d’études Biotope pour l’entreprise, comporte de sérieuses lacunes de l’avis même des naturalistes qui l’ont effectué sur un temps trop court et dans des conditions météorologiques défavorables ». « Malgré cette étude incomplète, 33 espèces protégées y sont clairement identifiées et sont directement menacées par la mise en œuvre du projet de centrale », ajoute-t-on.
Selon la tribune, « les cours d’eau du secteur en seulement quelques jours de travaux sont quant à eux tous pollués et un mammifère protégé et très rare, l’Opossum aquatique est en passe de disparaître » et « l’entreprise ne dispose pas des dérogations nécessaires pour continuer son projet en toute légalité ». L’association du village Prospérité et l’Association Nationale pour la Biodiversité ont, sur ce sujet, déposé une plainte auprès du procureur de la République à Cayenne, le 25 novembre dernier.
Parmi les autres revendications, la tribune dénonce aussi « les intérêts politiques et économiques des financeurs de ce projet « écologique » ». S’adressant directement à Emmanuel Macron, elle écrit : « La société HDF Energy, porteuse du projet, est une start-up financée par le plan de transition énergétique fléché sur l’hydrogène. Elle s’appuie sur le fonds d’investissement Meridiam qui finance 60% de cette centrale. Le fondateur de ce fonds, Thierry Déau, a notamment participé au financement de votre campagne présidentielle ». « La nature de ce montage peut légitimement nous interroger : qui porte cette transition ? Avec quelle cohérence et dans quel but ? » s’interrogent les signataires qui appellent à « faire cesser les humiliations envers le peuple kali’na et à réaffirmer l’engagement de la France pour le respect des droits des premières nations ». La tribune conclue sur une demande de suspension immédiate des travaux et une reprise des discussions en vue de son déplacement.
Plus tôt cette semaine, c’est un collectif d’élus du territoire qui a, à son tour, pris la plume pour défendre ce projet. Gabrielle Serville, président de la Collectivité territoriale de Guyane, Sophie Charles, maire de Saint-Laurent du Maroni et présidente de la Communauté des communes de l’Ouest guyanais, ou encore, Jean-Paul Ferreira, maire d’Awala-Yalimapo et 1er vice-président de la Collectivité territoriale de Guyane, veulent souligner le caractère « indispensable » du projet, notamment « pour répondre aux besoins en énergie de notre territoire, en particulier aux plus de 50 000 habitants de l’Ouest guyanais ».
« Après des années de consultation, un accord a été validé par toutes les parties prenantes, sans aucune objection sur son lieu d’implantation ni sur son caractère urgent et essentiel. Pourtant, il y a quelques mois, les représentants du Village Prospérité, voisin du projet, ont décidé unilatéralement de revenir sur cet engagement » déplorent les cinq élus signataires de cette tribune.
Sur l’emplacement du projet d’abord, les élus insistent sur que celui-ci a été « déterminé en étroite concertation avec les autorités et tous les acteurs locaux » et qu’il est « le seul qui réponde à l’ensemble des critères techniques et environnementaux des règles d’urbanisme » permettant « un raccordement au réseau garantissant l’alimentation en électricité des populations de l’Ouest guyanais ». « Le projet est implanté sur un terrain loué à l’Office national des forêts (ONF), conçu pour limiter son empreinte au sol afin de préserver la forêt secondaire et de permettre le libre passage des animaux et des chasseurs », rappellent-ils encore. « Quant aux panneaux photovoltaïques, ils sont implantés en haut des collines, de façon à préserver la biodiversité dans les bas-fonds ».
« Cette centrale est à la pointe de l’innovation environnementale » défendent encore les élus. « Elle ne génère pas de gaz à effet de serre, ni de particules fines, bruits ou fumées ; elle contribue à l’indépendance énergétique de la Guyane et à son développement économique ». « Déplacer, reporter encore, reculer, ce serait enterrer le projet »poursuivent-ils, regrettant « le plus mauvais des signaux pour notre territoire, son attractivité et son développement. Notre territoire fait face à un besoin urgent d’investissements et souffre d’un déficit historique et chronique d’infrastructures essentielles ».
Les élus rappellent aussi que « l’instabilité et la fragilité du réseau énergétique guyanais constituent un obstacle majeur à son développement ». « Les coupures de courant (plus de 141 en 2022), les risques constants de black-out menacent la sécurité de nos concitoyens, la sérénité et la salubrité publique ». « Le statu quo nous condamnerait au déclassement, au sous-développement et à la pauvreté. Notre population, notre région, nos entreprises ne sont pas de seconde zone. Elles ont droit au progrès, à la prospérité et à la sécurité. Le temps n’est plus au simple constat mais à l’action, résolue et efficace, pour notre avenir » insistent-ils.
Assurant être « ouverts au dialogue », les élus affirment entendre « les questions autant que les inquiétudes exprimées par certains de nos concitoyens et répondons à chacune des interrogations » mais ils voient « dans le projet CEOG l’une des solutions à mettre en œuvre » pour « contribuer à l’autonomie énergétique de la région ». Ils dénoncent aussi « la manipulation et le mensonge », « l’activisme d’une minorité si éloignée de nos enjeux locaux », et insistent encore sur la nécessité de cette centrale qui « produira une électricité stable, garantie et non polluante pour approvisionner toute l’année, de jour comme de nuit, l’équivalent de 10 000 foyers de l’Ouest guyanais ».
« Elle s’intègre parfaitement dans son environnement et respecte les populations locales. Cette exigence, nous l’avons portée dès le début du projet et nous continuerons à veiller à son plein respect », écrivent encore les élus guyanais, revendiquant le « droit au développement, à la modernité et à l’innovation » du territoire. Constituée d’un parc solaire photovoltaïque et d’une unité de stockage massif d’énergie sous forme d’hydrogène, la CEOG ne consomme que du soleil et de l’eau et ne produit que de l’électricité et de la vapeur d’eau, peut-on lire sur le site du projet. On y assure également que la centrale « correspond aux besoins exprimés dans la Programmation Pluriannuelle de l'Énergie (PPE) de la Guyane ».