Depuis plus de six ans, l’entrepreneur guadeloupéen Sébastien Luissaint a fondé Myditek, une société qui propose une solution digitale complète d'optimisation des processus de productions agricoles. De la Guadeloupe au Togo en passant par La Réunion, la startup a creusé son sillon dans le paysage de l’agritech. Un succès qui s’est confirmé en février dernier puisque Myditek figure parmi les lauréats du programme 2023 French Tech Next40/120.
Outremers 360 : Pouvez-vous nous présenter votre entreprise Myditek ?
Sébastien Luissaint, PDG de Myditek : Myditek est une société que j'ai créé en 2017 en Guadeloupe. Nous développons des solutions numériques d'optimisation des systèmes de production agricole. Nous mettons à disposition des agriculteurs, mais aussi des coopératives, globalement de tous les acteurs du monde agricole, une plateforme mobile alimentée par des objets connectés et qui permet de monitorer en temps réel ce qui se passe sur l'exploitation. Plus précisément, on parle de stations météo, de capteurs de sol, de systèmes d'irrigation.
Nous intervenons sur quatre axes majeurs : Un axe santé animale comprenant collier d'activité pour bovin, caprin et ovin, un axe agriculture de précision incluant les outils d'aide à la décision ( la station météo, les capteurs de sol, cartographie et imagerie aérienne; un axe sécurité intégrant la protection de parcelles, de bâtiments agricoles, protection de matériel agricole avec des barrières infrarouges, des caméras et drone, le quatrième et dernier axe porte sur la traçabilité, la traçabilité de la production du champ à l'assiette.
Nous intervenons auprès des agriculteurs avec une solution clé en main couvrant tous les aspects de l'agritech pour leur permettre d'optimiser toutes leurs actions sur leurs exploitations, avec comme fil rouge rentabiliser au maximum les exploitations avec des outils simples d'utilisation et accessibles.

Outremers 360 : Où est déployée votre technologie ?
Sébastien Luissaint :Notre technologie est déployée en Guadeloupe, en Martinique, au Togo. Nous commençons à nous déployer à La Réunion et au Bénin, avec des filiales dans chaque territoire. L'idée est de garantir un service ultra-réactif aux agriculteurs, ne pas les laisser être livrés à eux-mêmes avec les technologies qui sont toutefois simples d'utilisation. Nous assurons un lien constant avec les agriculteurs. Pour cela, on crée des unités locales dans les régions où on se positionne pour justement être réactifs. Au total, on recense une centaine d'agriculteurs entre la Guadeloupe et la Martinique. Prochainement, on approche 500 utilisateurs au Togo, notamment sur les sujets météo.Nous sommes en train de croître et d’accélérer à La Réunion.
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Outremers 360 : Comment accompagnez-vous ces agriculteurs ?
Sébastien Luissaint : Nous offrons vraiment un accompagnement personnalisé tout en couvrant l’ensemble de nos quatre axes d’actions. Dans notre processus, nous organisons une rencontre entre l'agriculteur et un ingénieur agronome et un technicien de notre équipe qui visitent l’exploitation et écoutent les besoins de l’agriculture. Ensuite, nous établissons des propositions spécifiques à chaque agriculteur, adaptées au type de culture, à la surface, à l'avancée aussi du projet de l'agriculteur, etc.
Nous avons désormais cette obligation de résultats, la volonté de bien représenter surtout les Outre-mer dans le classement
Outremers 360 : Vous êtes lauréat du programme FrenchTech Next40/120. Comment avez-accueilli cette nomination à ce programme ?
Sébastien Luissaint : Avec beaucoup de joie, mais aussi de l'humilité également. Nous sommes en face d'entreprises comprenant 400,500 voire 1000 salariés et cumulant des chiffres d'affaires à six, sept, huit chiffres parfois. C'est un honneur pour nous de bénéficier de cet accompagnement cette année.Nous allons en tirer le maximum mais cette entrée dans le programme FT120, marque le fait que nous avons beaucoup de chemin à parcourir, beaucoup d'étapes à franchir. Au-delà de la joie, nous avons désormais cette obligation de résultat, la volonté de bien représenter surtout les Outre-mer dans le classement. Dans ce programme, figurent de belles sociétés bien compétitives, nous devons montrer que nous sommes au niveau !
Cette nomination donne envie d'aller plus vite, de se déployer davantage et de se positionner a minima au niveau de grandes boîtes présentes dans ce programme, voire les dépasser.
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Outremers 360 : Qu’apporte cette entrée au FrenchTech120 au développement de Myditek ?
Sébastien Luissaint : L'idée est de toucher un public plus large et d'utiliser les outils mis à notre disposition pour pérenniser notre technologie, d'avancer avec les services de l'État sur tout ce qui concerne la brevetabilité, l'accès aux appels à projets, etc. Il y a un certain nombre de sujets juridiques, de normes à couvrir. Cela nous permet de travailler sur l'ensemble de ces aspects de manière plus simple, plus efficace, en relation directe avec les acteurs de l'agritech et de la technologie au sens plus large.
Outremers 360 : Comment voyez-vous le développement de l’agritech en Outre-mer ?
Sébastien Luissaint : Il y a plein de choses à faire. Il y a un sujet de pédagogie pour faire rentrer ces nouvelles technologies dans les mœurs, si l'on peut dire aussi. L'objectif est de faire le lien entre une agriculture traditionnelle et une agriculture connectée avec des nouvelles technologies. A Myditek, nous nous positionnons dans cette démarche pour permettre de faire le lien. L'agritech, pour moi, apporte des avantages qui sont juste incroyables. Il faut maintenant y aller, faire des investissements au niveau des infrastructures, des équipements. Des subventions comme le FEDER existent pour faciliter cela.
L'idée est d'accompagner les agriculteurs dans cette transition qui, pour moi, va être obligatoire dans les années à venir, afin de mieux produire, dans de meilleures conditions, avec un meilleur respect des ressources, de la nature. Il s'agit en parallèle, de mieux vivre du métier, plus rentable, le rendre plus attractif pour les jeunes générations. C'est tout un ensemble de sujets sur lesquels il faut travailler. Je pense que le numérique peut permettre cela, il constitue une des réponses à ces problématiques.
Outremers 360: Comment accompagnez-vous la transition des agriculteurs vers les nouvelles technologies ?
Sébastien Luissaint : Les agriculteurs y adhèrent facilement, dès l'instant où nous répondons à leurs problématiques. Notre but est d'apporter des solutions à des problèmes. Nous constatons qu'il y a un intérêt, une écoute, et de la curiosité aussi autour de cette technologie.
Une fois que l'intérêt est là, il faut passer à l'étape de la mise en œuvre, franchir le pas, trouver les financements pour les équipements. Sur ce point, nous collaborons avec les acteurs économiques à l'instar de la Région Guadeloupe, les banques, la Chambre d'agriculture. Nous travaillons avec tous les acteurs pouvant apporter des solutions aux agriculteurs sur ces sujets.

Nous sommes plutôt dans une logique de produire mieux, de manière moins pénible et de manière plus rentable pour l'agriculteur
Outremers 360: La souveraineté alimentaire est un enjeu majeur en Outre-mer ? Comment Myditek ou l’agritech peut aider à atteindre cet objectif?
Sébastien Luissaint : Là dessus, sur plusieurs volets, sur quasiment tous les quatre axes, puisque tout ça se tient. A titre d'exemple, sur l'axe de la santé, nous pouvons permettre à la filière bovine, caprine, ovine de se développer, de s'installer par un meilleur contrôle des cheptels par un meilleur suivi de l'évolution des maladies, un meilleur suivi de l'évolution du bien-être animal, de permettre à l'éleveur de savoir en temps réel où se trouvent ces bêtes, de détecter des anomalies. Il s'agit de permettre à l'agriculteur d'appréhender le métier de l'élevage comme quelque chose de plus simple, de moins contraignant avec des systèmes de surveillance à distance, de pilotage.
Sur l'axe agriculture de précision, nous travaillons sur la gestion des changements climatiques, sur la gestion de l'eau, de l'irrigation automatique et faciliter un contrôle des ressources naturelles. Nous agissons sur la diminution de la pénibilité des tâches : irriguer un champ de plusieurs hectares en automatisant l'irrigation, ceci est aussi une action sur la diminution de la pénibilité, mais qui agit aussi sur la production.
Je ne suis pas trop dans une logique d'augmenter la production. Je suis plutôt dans une logique de produire mieux, de manière moins pénible et de manière plus rentable pour l'agriculteur. Mais ceci étant dit, de toute façon,cela conduit in fine à produire plus. En effet, en diminuant la pénibilité et en optimisant l'utilisation des surfaces, on parvient à obtenir plus de productivité à l'hectare. Il ne s'agit pas de tant d'être dans un résultat de production agressive, ce qui n'est pas dans l'air du temps de pousser à l'excès les capacités du sol, parce que cela implique davantage d'usage de produits chimiques. Nous nous orientons vers d'autres types solutions
Et puis l'Agritech ne concerne pas seulement le numérique, c'est aussi de nouvelles façons de booster les plantes. Il y a des solutions avec du mycélium de champignons, des solutions avec d'autres types d'engrais biologiques, etc. Il est important d’explorer cela aussi.
Chez Myditek, l'idée est d'apporter ce savoir aux agriculteurs, faire de la veille pour leur apporter cette connaissance, en plus de la technologie que nous apportons.
Outremers 360 : Avez-vous constaté des similitudes, des différences quand on développe une technologie comme la vôtre en Afrique ou dans la Caraïbe ?
Sébastien Luissaint : Développer une technologie dans la Caraïbe trouve des échos en Afrique car nous partageons le même climat, les mêmes cultures d’une certaine manière. Nous venons avec une technologie qui est adaptée à la canne, à la banane, à l'ananas, à l'igname, à la patate douce. Ce sont des produits qu'ils connaissent, qu'ils maîtrisent et qu'ils cultivent également. Après,à nous de nous intéresser à leurs cultures de céréales : le millet, le sorgho, beaucoup de café, de cacao, le coton, l’anacardier, des cultures qu'on peut cultiver chez nous.
L’adaptation à l’agriculture en Afrique est simple : les outils sont déjà adaptés à la température, au climat d'une manière générale, à la faune, à la flore d'une manière plus large et je peux même dire aux complexités de réseaux, de zones blanches, de difficultés d'accès à la 3G, 4G, etc.
A l’origine, quand j'ai créé Myditek, j'ai tout de suite créé les éléments permettant de nous déployer en Afrique. Je savais que nous devions créer des solutions qui devaient matcher très rapidement avec de grosses surfaces, si besoin est, mais aussi de très petites. Dès le départ, nous avons fait en sorte de développer des outils pour lesquels, on est très à l'aise sur un demi-hectare comme sur 100, 200 ou 300 hectares. Cela nous a demandé de faire beaucoup d'efforts en R&D. Créé en 2017, on commence la commercialisation fin 2022. Cela demande beaucoup de recherche et développement, beaucoup de pivot sur nos idées initiales, etc. Mais il faut, dès le début, penser international, sinon on se retrouve enfermé dans des choses compliquées.
L'idée est de faire de Myditek une référence en agritech en milieu tropical
Outremers 360 : Comment voyez-vous le développement de Myditek dans les prochaines années ?
Sébastien Luissaint : Les choses vont très vite à Myditek. C'est une société guadeloupéenne qui se développe à la fois en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion, au Togo et au Bénin.
Nous prospectons également auprès d’autres pays d’Afrique avec nos partenaires Business France, BPI France, entre autres. La Région Guadeloupe nous accompagne depuis le début sur toutes les phases de développement qu'on a eues. L'idée est de faire de Myditek une référence en agritech en milieu tropical, mais pas seulement puisque nous commençons à prospecter aussi le marché européen. Nous recevons des demandes, ce qui montre l’intérêt pour ce qu nous faisons. Nous sommes en train de développer cet aspect du développement mais cela nécessite d’apporter quelques spécifications et modifications sur nos outils, mais on va y arriver. A terme, c'est d'être une référence au national et même à l'international en matière de solutions agritech.
L’autre volonté est produire, garder l'intelligence en Guadeloupe avec la R&D. Il faut noter que tous nos produits sont testés en Guadeloupe. Sur ce point, nous allons bientôt en disposer une en Guadeloupe, mais nous développerons une en Afrique et dans le bassin de l’Océan indien. Nous souhaitons bien couvrir géographiquement toute notre stratégie, toute notre logique, toute la logistique car nous couvrons actuellement trois ou quatre continents: la Caraïbe, l'Afrique, l'Europe et l'Océan Indien. Nous allons poursuivre notre structuration pour mieux répondre aux défis de l'international.
Le défi est assez énorme pour une société créée en 2017 en Guadeloupe, qui a une grosse volonté de développer les choses depuis la Guadeloupe pour l'international.
l'Agritech ne concerne pas seulement le numérique, c'est aussi de nouvelles façons de booster les plante
Outremers 360: Vous parlez de prospections sur le marché européen ? Visez-vous des pays particuliers ?
Sébastien Luissaint : Nous ne visons pas de pays de manière spécifique. Nous travaillons avec nos contacts et nos ressources internes. Nous ne portons pas la même stratégie sur le marché européen par rapport au continent africain. Là où en Afrique, nous sommes engagés dans une vraie politique de développement où nous nouons des contacts, rencontrons des gouvernements.Nous sommes dans une optique de déploiement très actif en Afrique. En Europe, nous répondons davantage aux sollicitations. Ce sont des opportunités qui se présentent à nous et que nous ne refusons pas. Nous nous préparons à répondre à ces opportunités. La stratégie de développement prioritaire pour nous, reste la zone Caraïbe et l’Afrique.
Outremers 360: Quels conseils donneriez-vous à une personne souhaitant se lancer dans l’entrepreneuriat?
Sébastien Luissaint : Mon parcours est un parcours fait de travail, de nuits blanches et surtout de résilience. Je conseillerai d'une manière plus générale, de ne pas avoir peur, de se lancer. Il faut croire en son idée et faire preuve de persévérance car il y a aura beaucoup d’obstacles. Il est important de bien s’entourer mais aussi d’écouter, et faire preuve d’adaptation, de souplesse.