C’est une conférence dont le grand public a très peu entendu, et pourtant, elle a été déterminante pour l’avenir de 39 Etats qui représentent 65 millions d’habitants et dont la surface des eaux territoriales représente en moyenne 28 fois la superficie de leur territoire (16% des zones économiques exclusives (ZEE) mondiale). La 4e conférence internationale sur les petits États insulaires en développement (PEID) a pris fin le 30 mai dernier à Antigua-et-Barbuda avec une nouvelle feuille de route. Décryptage dans cette expertise de Benjamin Coudert.
Qui sont ces petits Etats insulaires ?
La catégorie des PEID a été reconnue lors du « Sommet pour la Terre » de Rio en 1992. Elle réunit 39 États membres des Nations unies et 18 territoires membres associés via les commissions régionales de l’ONU dont certains Outre-mer français (Guadeloupe, Martinique, Polynésie française et Nouvelle-Calédonie). Le fait d’être regroupé en tant que catégorie spécifique de pays permet à ces territoires insulaires de bénéficier d’une reconnaissance particulière dans toutes les résolutions onusiennes et de mieux organiser leur plaidoyer pour faire valoir leurs défis spécifiques. C’est ainsi que trois textes ont pu être adoptés sur le développement durable dans les économies insulaires : le « Programme d’action de la Barbade » en 1994, la « Stratégie de Maurice » en 2005 et les « Orientations de Samoa » en 2014.
Dix ans après, cette quatrième conférence - qui a réuni près de 3 000 participants, dont 22 chefs d’État et de gouvernement, pendant quatre jours à Antigua-et-Barbuda dans la Caraïbe – a permis aux PEID de faire valoir leurs vulnérabilités spécifiques ainsi que leurs besoins prioritaires en termes d’accompagnement par la communauté internationale, en vue de renforcer leur résilience aux effets du changement climatique et d’être en mesure de réaliser les Objectifs de développement durable (ODD).
Que retenir de la 4e conférence internationale sur les PEID ?
Le Premier ministre d’Antigua-et-Barbuda Gaston Browne a clôt la conférence, le 30 mai, sous les applaudissements avec l’adoption de l’ « ABAS » (« Antigua and Barbuda Agenda for SIDS »), traduit en français par : « Programme d’Antigua-et-Barbuda pour les PEID : une déclaration renouvelée pour une prospérité résiliente ». Ce document, qui a fait l’objet de négociations entre les États membres des Nations unies pendant plusieurs mois, donne les grandes orientations pour le développement durable des PEID sur les dix prochaines années.
L’ABAS reconnaît d’abord que les PEID sont touchés de manière disproportionnée par la destruction physique et les pertes économiques liées au dérèglement climatique. En réponse, les PEID demandent à la communauté internationale de les aider à diversifier leur économie et à renforcer leur capacité de production. L’ABAS demande également que l’architecture financière internationale soit réformée afin de faciliter l’accès de ces États à des financements concessionnels, en ligne avec l’initiative Bridgetown, un plan d’action lancé par la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley, pour réformer l’architecture du financement du développement afin que les systèmes financiers soient plus résilients aux crises actuelles et futures, notamment dans les PEID.
Les dirigeants mondiaux se sont engagés à intensifier l’action en faveur de la biodiversité, à soutenir l’action océanique, à renforcer la résilience face aux catastrophes, à accroître l’accès à l’aide aux systèmes de santé et à renforcer la collecte, le stockage et l’analyse des données. Parmi les autres domaines d’intérêt figurent l’économie bleue et les océans, le Programme sollicitant également un soutien international pour la conservation, la restauration et l’utilisation durable des océans, des ressources marines et de la biodiversité.
Pour aider les PEID à réaliser leurs ambitions de prospérité résiliente, la communauté internationale s’est engagée à faciliter l’accès à des financements abordables et concessionnels, d’accroître l’efficacité du financement du développement, d’intensifier le financement climatique de la biodiversité, et à accélérer de toute urgence l’action climatique, conformément aux engagements et obligations existants au titre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et de l’Accord de Paris. Par ailleurs, les Etats membres de l’ONU vont renforcer leurs actions en termes de réduction des risques de catastrophe et de renforcement de la préparation aux catastrophes, y compris via les systèmes d’alerte précoce.
Plaidoyer pour une justice climatique
Les PEID sont au carrefour de multiples vulnérabilités et ils ont besoin du soutien des pays occidentaux pour parvenir à réaliser un avenir durable pour ces Etats aux caractéristiques propres. Le message principal de cette 4e édition est une demande de plus de justice climatique pour ces territoires qui sont les premières victimes et les plus touchés par les effets du changement climatique alors même qu’ils en sont le moins responsables, comme n’ont eu de cesse de le marteler les dirigeants politiques des PEID. Un plaidoyer repris par le secrétaire général de l’ONU António Guterres qui a notamment pointé du doigt les énergies fossiles et a rappelé qu’il était inadmissible de constater « que des îles, des populations, des cultures risquent d’être englouties » pour des profits réalisés sur des activités en lien avec les énergies fossiles, qui constituent l’une des principales causes du dérèglement climatique !
Et maintenant ?
Cette nouvelle feuille de route prévoit la création d’un « centre d’excellence des PEID » à Antigua-et-Barbuda pour collecter et analyser les données des PEID quant au suivi des progrès réalisés conformément aux orientations de l’ABAS ; ainsi qu’un « service de soutien à la viabilité de la dette des PEID » pour trouver des solutions efficaces pour ces États en termes de gestion soutenable de leur dette. Enfin, un groupe de travail inter-organismes onusiens va également voir le jour pour élaborer un cadre de suivi de l’ABAS -avec des cibles et des indicateurs clairs- d’ici le deuxième trimestre de 2025.
Du côté de la France, la secrétaire d’Etat au développement Chrysoula Zacharopoulou, qui a fait le déplacement, a réaffirmé le soutien de notre pays aux PEID, via des appuis concrets et spécifiques, développés pour les géographies insulaires, à l’image de l’engagement du président de la République pour le Pacifique (200 M€ sur la période 2024-2027, via l’AFD) et le retour de la France au capital de la Banque caribéenne de développement. Elle a également indiqué le soutien sans faille de la France à la réalisation de l’ABAS, indiquant que les Outre-mer doivent également faire face à des problématiques similaires dans les trois bassins océaniques.
La secrétaire d’Etat a enfin fait part de son souhait que les priorités des territoires insulaires soient au cœur de la Conférence des Nations unies (UNOC) de Nice en juin 2025, et qu’à ce titre, l’élévation du niveau de la mer fasse l’objet d’une conférence spéciale pré-UNOC. Au final, cette 4e conférence représente un point de départ pour la réalisation de ce programme ambitieux d’ici 2034. Nice, en juin prochain, sera une étape clé pour que les PIED fassent entendre à nouveau leurs voix sur les océans qui constituent leur principale richesse.
Benjamin Coudert, économiste au département Trois océans de l’AFD