Avec l’accélération de la transformation numérique de la société, et plus particulièrement ces deux dernières années du fait de la pandémie de Covid-19, adopter une approche numérique responsable est devenue une priorité pour garantir un juste équilibre entre les moyens déployés pour produire les équipements et gérer leur cycle de vie d'une part, et les usages et services que ces technologies rendent en retour aux utilisateurs d’autre part. Dans cette expertise, Yannick Berezaie Directeur général ISODOM et Délégué régional du NUMEUM, revient sur les opportunités que représente le numérique responsable en matière de transition écologique dans les territoires d'Outre-mer.
Contrairement aux idées reçues, notamment chez le grand public, l’industrie du digital n’est pas seulement virtuelle ou immatérielle, le numérique c’est avant tout 34 milliards d’appareils connectés dans le monde, ce qui représente un gisement de plusieurs millions de tonnes de déchets potentiels. Ainsi, sur l’ensemble de son cycle de vie, le numérique représente un impact carbone supérieur au trafic aérien civil, soit environ 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde et 2,5 % de l’empreinte carbone nationale.
Que ce soit pour travailler, éduquer nos enfants, se divertir ou s’informer, le digital fait désormais partie de notre quotidien. Ainsi, adopter un comportement numérique responsable, sobre en ressources et durable dans ses usages, est une démarche qui doit s’inscrire dans une trajectoire à impact positif sur le plan économique mais également sur le plan sociétal et environnemental.
Un réseau mondial au service de l’action locale
La transformation digitale, couplée à la transition environnementale, constituent deux phénomènes qui révolutionnent le XXIème siècle, porteurs d’enjeux colossaux au niveau mondial, mais qui interrogent dans le même temps les stratégies nationales et territoriales des politiques publiques en matière de développement socio-économique, d’inclusion et de souveraineté. Elles appellent également les acteurs privés à prendre en compte le risque de fracture sociale qui pourrait être induite par une généralisation non maitrisée des pratiques numériques dans la société.
À l’échelle de nos territoires ultramarins, ces nouvelles voies technologiques constituent une opportunité de gommer, au moins en partie, les distances avec les grands centres de décision nationaux et mondiaux, tout en compensant les handicaps structurels qui pénalisent fortement les initiatives locales, par la garantie d’une continuité numérique au service d’une culture digitale commune, facteur de cohésion sociale et territoriale.
Un projet de territoire numérique responsable doit s’inscrire dans le temps long et irriguer l’ensemble des politiques publiques. Il doit également se traduire par le choix de l’innovation et des technologies porteuses d’impacts positifs pour la préservation de l’environnement et l’amélioration de la qualité de vie. En outre-mer, les stratégies déployées autour des démarches de numérique responsable permettent d’intégrer la généralisation de nouveaux modes de gouvernance qui renforcent la coopération, la mutualisation et la solidarité entre nos territoires. Elles offrent dans le même temps l’opportunité de partager les outils, les diagnostics, et les données entre les différents acteurs.
Green IT : Traiter le problème à la source
Dans une étude récente, l’ADEME estime que 70 à 90 % des déchets électriques issus des équipements produits et commercialisés dans le monde, ne sont pas recyclés. Ce phénomène s’accélère de manière exponentielle ces dernières années par la démultiplication des objets connectés et une course effrénée à l’innovation portée par des politiques marketing majoritairement basées sur l’obsolescence programmée des matériels et des logiciels.
Dans ce contexte, le Green IT (également appelée « Informatique verte »), favorise la diminution de l’empreinte environnementale des technologies numériques et de leurs usages. Il s’agit d’un ensemble de technologies qui luttent contre la pollution numérique produite par les technologies de l’information et de la communication (TIC).
L’extraction des ressources et leur transformation en composants électroniques nécessaires à la fabrication de ces équipements, représente de loin la première cause des impacts environnementaux du numérique, suivie par les pollutions associées à la fin de vie des matériels.
L’objectif d’une approche Green IT est de développer un avenir numérique responsable en incitant le passage à l’action des entreprises comme des particuliers. Pour ce faire, un grand nombre de mesures écoresponsables permettent de faciliter cette transition. L’initiative Planet Tech’Care, portée par Numeum, l’organisation professionnelle de l'écosystème numérique en France, rassemble les acteurs d’un numérique responsable, convaincus que le numérique représente des opportunités majeures d’innovation au service de la transition écologique. Sur les 600 signataires qui s’engagent pour un numérique responsable via cette initiative Planet Tech’Care, moins d’une dizaine se situent en outre-mer. Un travail de conscientisation et d’accompagnement des acteurs reste donc à accomplir dans ce domaine. La promotion à plus grande échelle d’initiatives comme celle de la « Fresque du Numérique », dérivée de la « Fresque du Climat », constitue un très bon levier d’action.
À La Réunion, une filière de collecte et de recyclage spécifique aux DEEE (déchets issus des équipements électriques et électroniques), s’est structurée depuis une vingtaine d’année, afin de se saisir de cette nécessité de garantir l'élimination de ces déchets en fin de vie. Dans le même temps, en application du Décret n°2005-829 du 20 juillet 2005 relatif à la composition des équipements électriques et électroniques, des programmes de réemploi et de revalorisation ont été mis en place afin d’augmenter la durée de vie des matériels et de retarder leur classification en déchet ultime. Des projets d’ateliers et de chantiers d'insertion (ACI) sont également à l’étude pour répondre spécifiquement à la problématique des terminaux mobiles qui sont présents en nombre sur l’île et souvent très faiblement collectés lorsqu’ils sont mis au rebut.
Le numérique responsable, le projet d’un territoire intelligent et durable
Une fois les constats établis quant à l’impact négatif que peut avoir le numérique sur l’environnement et la société et les mesures à prendre pour en minimiser les effets, si l’on aborde la thématique du numérique responsable en considérant que le verre est à moitié plein, on peut aussi faire le pari que le numérique, via ses applications mobiles, ses capteurs, ses objets connectés et ses réseaux intelligents, peut ouvrir de nombreuses opportunités pour répondre aux nombreux défis environnementaux auxquels sont confrontés nos territoires.
Le mouvement « IT for Green » décline ce précepte en regroupant les principaux acteurs socio-économiques qui permettent d'entamer la transition écologique des entreprises. Il prend en considération la conception responsable des services numériques et place cette industrie au service du développement durable. Le filière digitale, historiquement positionnée de manière verticale sur l’ensemble de la chaîne de valeur, s'accorde désormais de manière horizontale et vise à réduire l’empreinte environnementale des secteurs traditionnels (l’agriculture, l’industrie, le tourisme, le bâtiment, la santé…), en s’appuyant sur les nouvelles technologies pour « faire le bien » via le développement de solutions digitales innovantes au service de causes humaines, sociétales et environnementales.
Sur nos territoires ultramarins, la mise à disposition des solutions issues de l’industrie digitale, au service du management des villes et des territoires trouve de nombreux terrains d’expérimentation puisqu’elles touchent tout autant la mobilité, la logistique, la gestion des bâtiments comme celle de l’énergie ou encore des déchets et même de l’agriculture, etc…
En Guyane, la startup Mobapi a développé depuis plusieurs années un logiciel SaaS innovant et sécurisé qui aide les entreprises à partager facilement leurs données via des API personnalisées. La mise en application de cette technologie trouve de nombreux cas d’usage que ce soit en matière de consommation des bâtiments, de déploiement de réseaux intelligents de production et de stockage d’énergie, ou de relation plus transparente entre les services publics et les citoyens.
En Martinique, la start-up Green Technologie, spécialisée dans la fabrication de semi-conducteurs pour la production d’énergies renouvelables, intègre le programme d'excellence de la French Tech Next40/120. Elle fait désormais partie des 120 géants de la tech française susceptibles de rayonner au niveau mondial.
Portées par des écosystèmes de l’innovation désormais structurés, labellisés FrenchTech pour la majorité d’entre-eux, et connectés avec les grands réseaux de faiseurs nationaux et internationaux, ces innovations territoriales font la démonstration de concepts opérationnels qui peuvent être portés à plus grande échelle au niveau national voire international et ainsi faire des acteurs ultramarins du numérique, des piliers incontournables de l’économie de demain.
À l’évidence de l’enjeu contemporain que représente le développement durable, dans tous les domaines d’activités qui nous entourent, le numérique trouve une place incontournable, riche de ses innovations et de ses capacités de transformation de la société. Désormais sensibles à la nécessité d’aborder le digital de manière responsable et durable, les entrepreneurs d’outremer sont nombreux à innover pour accélérer la transition écologique et repenser nos modes de vie. Les technologies représentent de formidables leviers d’accélérations vers la transition écologique et de rayonnement de nos territoires sur la scène Tech internationale.
Yannick BEREZAIE
Directeur général ISODOM
Délégué régional du NUMEUM
Vice-Président DIGITAL Réunion
Président de la commission RSE du MEDEF Réunion
Vice-Président du CLUSTER Green, en charge la stratégie RSE