En Guyane, une démographie à deux vitesses

©  DR

En Guyane, une démographie à deux vitesses

Région de France à la croissance démographique la plus rapide, la Guyane affronte pourtant la désertification de larges portions de son territoire. Plusieurs communes se vident de leurs habitants, affrontant un véritable risque existentiel.

 

"Sinnamary, Iracoubo et Régina": Philippe Dorelon, chef du service territorial de l'Insee Guyane, énumère trois des 22 communes du territoire français d'Amérique du Sud. Trois communes situées sur le littoral guyanais, plus peuplé et doté de meilleures infrastructures, pourtant emblématiques de la désertification qui touche cette collectivité d'Outre-mer.

A mi-chemin entre Cayenne et Saint-Laurent-du-Maroni, Iracoubo n'offre que trois épiceries et quelques stands de nourriture. Jean-Guy Férol, 37 ans, y vit d'expédients, mais souhaite s'en aller. "Il n'y a pas de développement, pas de mouvement", dit-il, regrettant qu'avec un vélo comme seul moyen de transport, se déplacer soit si difficile dans une région où les transports en commun sont peu développés.

De l'autre côté de la route nationale qui divise le bourg en deux, Firmin Koizé traverse la place pour se rendre à l'épicerie. A 32 ans, il enchaîne des jobs irréguliers. Lui aussi veut déménager, mais ne sait pas où il pourrait s'installer. Une chose est sûre: "Je ne resterai pas éternellement à Iracoubo". 

Une envie commune à de nombreux jeunes Guyanais rêvant de partir vers Kourou, Cayenne ou l'Hexagone. Depuis le début des années 2000, Iracoubo ne cesse de perdre des habitants: de 2.000 en 2009, ils étaient à peine plus de 1.700 en 2020, selon l'Insee. Sur la même période, la Guyane est pourtant passée de 224.000 à 286.000 habitants, une hausse essentiellement concentrée à la banlieue de Cayenne. 

Les chiffres sont éloquents: Matoury, ville située à quelques kilomètres au sud de Cayenne et qui accueille une grande zone commerciale, a gagné 8.000 habitants quand la population de Macouria est passée de 7.800 âmes en 2006 à 19.000 en 2021.

Manque d'emplois 

Ces départs inquiètent Céline Régis, la maire d'Iracoubo, une ville côtière plus à l'ouest, car ils s'accompagnent d'une disparition des services et de l'emploi. "J'ai connu (Iracoubo) il y a plus de vingt ans avec deux ou trois restaurants", se souvient l'édile.

La municipalité est le premier des rares employeurs de la commune, avec une cinquantaine de salariés, et Céline Régis est souvent sollicitée par des habitants souhaitant être embauchés. Chaque année, les dépenses de fonctionnement absorbent 2,1 millions d'euros, sur un budget de 2,4 millions. "Il y a deux ou trois entreprises privées, après c'est l'Education nationale", même si certains de ces fonctionnaires habitent à Sinnamary, soupire-t-elle. 

Traversée par le fleuve du même nom, Sinnamary, à 30 km à l'est d'Iracoubo, n'est pourtant pas mieux lotie: de 3.200 habitants en 2009, la population est passée à 2.800 en 2020.

Les berges du fleuve, à l'ombre d'imposants manguiers, sont désertes. Les causes sont identiques: manque de travail et nécessité de partir pour poursuivre ses études poussent au départ. "Il n'y a pas de lycée à Sinnamary: une fois que les enfants ont terminé le collège, les gens partent trouver une vie ailleurs", regrette Christian Clet, premier adjoint au maire.

Jusqu'à récemment, de gros chantiers comme le barrage de Petit-Saut, qui alimente deux tiers des foyers du littoral guyanais, avaient aidé la démographie de la commune. Le chantier terminé, nombre de travailleurs sont partis.

La ville a subi un autre coup dur en 2022: le départ des 300 Russes qui travaillaient au centre spatial à cheval sur Kourou et Sinnamary, en raison du déclenchement de la guerre en Ukraine.

L'impact n'est pas que démographique: ces départs affectent aussi les finances des villes. La dotation globale de fonctionnement "est versée en fonction du nombre d'habitants", rappelle Christian Clet.

Entre 2018 et 2020, celle de Sinnamary a baissé de 20%, avant de repartir à la hausse grâce à un coup de pouce de l'Etat.

Pour l'instant, rassure Philippe Dorelon, le solde naturel positif, avec "plus de naissances que de décès dans ces communes" grâce à une population guyanaise très jeune, permet à ces communes de tenir le choc. Mais le risque, ajoute-t-il, est que le phénomène s'inverse. A l'image de la Martinique et Guadeloupe, deux régions appelées à devenir les plus vieilles de France dans les années à venir.

Avec AFP