Selon un rapport publié par plusieurs institutions dont l'Ifremer, la pêche illégale dans les eaux guyanaises par des navires étrangers a doublé au cours de la dernière décennie, un fléau dont les autorités commencent à prendre conscience.
« La situation est catastrophique », assure à l'AFP Léonard Raghnauth, qui pilote le comité régional des pêches de Guyane (CRPMEM), associé à la rédaction de ce rapport avec l'Ifremer et WWF Guyane. D'après cette étude, rendue publique la semaine dernière, une trentaine de navires étrangers pêchent en moyenne chaque jour sans autorisation dans les eaux territoriales françaises, en particulier dans les zones frontalières de l'est (Brésil) et l'ouest (Suriname) de la Guyane.
Un phénomène « ancien, qui perdure depuis 20 ans » et dont la « pression n'a fait qu'augmenter », explique à l'AFP Laurent Kelle, responsable du bureau Guyane de WWF. En dépit des alertes lancées dans le passé. Dès 2012, l'Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer) alertait sur la prédation de la ressource halieutique en Guyane.
Selon ces nouveaux travaux, les tonnes de poissons pêchées par des navires étrangers originaires du Guyana, du Brésil, du Suriname et du Venezuela ont doublé. Leur rendement est quatre fois supérieur à celui de la pêche locale. « Mauvaise gestion de la pêche dans les pays voisins (...), moyens de contrôle de ces États limités, économies sous-développées offrant peu d'alternatives rentables » ... Les causes de la pêche illégale non déclarée et non réglementée (INN) sont multiples, avance l'étude.
Et ses impacts sont réels : la filière pêche est le 3e secteur économique de Guyane et représente 2 500 emplois directs ou indirects. Une filière soumise aux réglementations de l'Union européenne (UE) tant sur les mailles que la longueur des filets, que ne respectent pas les pêcheurs illégaux. « En 15 ans, le nombre de tortues luth a diminué de 97% (...). La biodiversité est quasiment éteinte dans l'ouest de la Guyane », alerte Laurent Kelle.
Filière et biodiversité en danger
Basée sur des données issues de survols diurnes effectués en collaboration avec les Forces armées de Guyane et WWF, l'étude a permis aux autorités locales d'ouvrir les yeux sur la menace, soulignent toutefois les auteurs du rapport. « Jusqu'en 2021, nous étions dans un dialogue de sourds sur la pêche illégale, les autorités estimant que nous exagérions le phénomène », souligne Laurent Kelle, qui évoque « un consensus sur la compréhension du phénomène, son ampleur et ses impacts ».
Fin mars, lors d'un déplacement en Guyane, Emmanuel Macron s'était engagé à « renforcer les dispositions de contrôle contre la pêche et la commercialisation illégales », avec une multiplication des « opérations de démantèlement » et des destructions de navires saisis. Des annonces jugées « sous-dimensionnées » par WWF, notamment du fait de la concentration des moyens entre Kourou et Cayenne, alors que la pêche INN sévit surtout dans les zones frontalières où aucune infrastructure n'existe.
Léonard Raghnauth, du CRPMEM, demande « le déploiement de moyens nautiques aux frontières, car c'est une dissuasion efficace ». « Il ne faut pas attendre la disparition des pêcheurs et de la ressource, il y a urgence », ajoute le professionnel, lui-même armateur de plusieurs fileyeurs. La relance de la filière, comme la coopération régionale et l'implication de l'Europe dans le dossier, sont d'autres leviers de la lutte, selon les acteurs locaux. Un premier courrier de la Commission européenne, menaçant de fermer l'accès au marché européen, a d'ailleurs été adressé en mai au Suriname et au Venezuela.
Avec AFP