Les cannes à sucre sont toujours sur pied dans les champs de Guadeloupe. Pour la deuxième année, les planteurs refusent de démarrer la campagne. "On n'ira pas tant qu'on travaillera à perte", prévient Wilhem Monrose au nom de ces agriculteurs en colère.
Une vingtaine d'entre eux se sont réunis vendredi devant l'usine Gardel du Moule, dans l'est de la Grande-Terre, espérant un rendez-vous avec le directeur de la dernière unité sucrière de Guadeloupe continentale.
Leur revendication: un prix plancher d'achat de la tonne de canne à 120 euros, sans condition de richesse saccharine, et fixé sur trois ans. "Sans ça, on ne coupe pas et on fait une année blanche. Avec ça, on peut commencer lundi", martèle Rony Crane. Ce responsable de la Coordination rurale de Guadeloupe rappelle que les planteurs demandaient initialement 160 euros, et donc qu'ils ont revu leur revendication à la baisse: "On est capable d'entendre que cela dépasse le chiffre d'affaires de l'usinier".
Une semaine après le début officiel de la campagne, la valse des camions chargés de cannes qui entrent et sortent de l'usine n'a pas commencé et l'odeur chaude et sucrée, un peu fermentée, si caractéristique de la canne coupée, ne flotte pas encore dans toute l'île.
La sucrerie garde portes closes, à l'initiative de l'usinier lui-même. "On a fait en sorte que plus personne ne puisse entrer en barricadant la cour à cannes", indique à l'AFP le directeur Nicolas Philippot, qui a mis son personnel au chômage technique. Et a refusé, vendredi, d'entrer dans une nouvelle discussion avec les planteurs qui s'étaient rendus devant ses portes.
Prix plancher "intenable"
"J'ai environ 12 hectares de cannes, pour lesquels je dois acheter 10.000 euros de produits, matériels par an", raconte Jean (le prénom a été changé à sa demande). "Je contracte un crédit auprès de ma Sica (société d'intérêt collectif agricole): après la campagne, il me reste 2.000 euros à rembourser", déplore-t-il. Pour d'autres, c'est un second emploi qui vient aider à payer les dettes de l'exploitation cannière.
Rony Crane se désole: "En 2015, on était encore 5.000 planteurs. Aujourd'hui, on n'est plus qu'un gros millier en Guadeloupe continentale".
"L'année dernière, on a accepté de couper parce qu'on nous a vendu des négociations après la signature de la convention" qui fixe le prix pour cinq ans, rappelle pour sa part Wilhem Monrose, un des porte-parole du collectif de planteurs mobilisés.
La tonne de canne était alors passée de 89 à 109 euros, mais les planteurs attendent toujours les discussions promises, selon leurs représentants.
En début de semaine, dans un communiqué commun, le préfet et les présidents du département et de la région Guadeloupe ont estimé "non tenable, pour aucun des partenaires de la filière" le prix plancher demandé cette année par les planteurs, rejoignant ainsi la position de l'industriel.
Ils ont mentionné des "avancées" à travers le prix fixé en 2023, rappelant qu'il était "constitué à 80% d'aides publiques". Mais aussi des "propositions" pour 2024: "un intéressement au résultat de l'industriel", un tarif qui prendrait mieux en compte "tous les produits issus de la canne à sucre", "un paiement accéléré et un traitement collectif des aides", et un "observatoire des sols".
"On nous propose une +prime bagasse+ majorée d'1,90 euro !", ironise Rony Crane. Le responsable syndical souligne que la bagasse, résidu de canne après pressage qui fait tourner la centrale thermique biomasse Albioma du Moule durant trois mois, est payée "moins de 15 euros" la tonne, quand les pellets de bois "sont achetés plus de 300 euros" le reste de l'année.
Chaque année, la filière sucrière est ébranlée. Elle risque de tomber à défaut d'une refonte du système, alertent les planteurs, qui veulent tout revoir: le prix de la canne, l'organisation de l'interprofession, les volumes, etc.
"On n'arrête pas, parce qu'on aime. On fait ça depuis des générations, on a ça dans le sang", dit l'un d'eux, qui n'a pas donné son nom. Certains parient sur le développement de sucres spéciaux ou le passage en agriculture biologique.
Mais en cas d'année blanche, relève un porte-parole, "on anticipe une perte de 50% de la surface plantée en canne. L'usinier peut-il se permettre cela?"
Avec AFP