En Guadeloupe, des fouilles pédagogiques pour sauver le patrimoine et transmettre la passion de l'histoire

En Guadeloupe, des fouilles pédagogiques pour sauver le patrimoine et transmettre la passion de l'histoire

Ils ont entre neuf et dix ans et, munis d'une truelle, ils grattent une petite parcelle de terre depuis tôt le matin : ces enfants de l'école primaire Aristide-Girard au Moule (Guadeloupe) suivent un programme de fouilles pédagogiques.

« On cherche et on trouve des choses, c'est très amusant » s'enthousiasment Keïdy et Elichama, neuf ans et ravis de pouvoir, en sus, « bavarder pendant qu'on fouille ». Lincoln, de son côté, en est à sa troisième journée de fouille en deux ans. 

Il s'attarde sur un morceau qui semble être celui d'une assiette : après avoir gratté la terre l'entourant, il passe un pinceau dépoussiérant sur le tesson blanc orné de roses bleues qui semble tout droit sorti d'un buffet de grand-mère. « J'ai trouvé ça et aussi un morceau de pot d'aisance », raconte-t-il, mi-fier mi-intimidé.

Près du Moule, là où se trouvait l'ancien port principal de l'île, les enfants fouillent un « dépotoir colonial » et les objets qu'ils y trouvent datent de la fin du XVIIe siècle jusqu'au début du XXe, détaille Isabelle Gabriel, archéologue et employée du musée départemental d'archéologie Edgar-Clerc, qui pilote le projet avec la classe de CM1. « Ici, on va trouver de la vaisselle, des ossements, des ornements, des coquillages. Bref, un gisement assez incroyable d'objets anciens : le site est parfait pour éviter aux enfants de fouiller en vain durant des heures », souligne Isabelle Gabrielle.

Tout proche de l'océan, le site est menacé par le recul du trait de côte sous l'effet de la montée des eaux. Les vagues de submersion « érodent et décapent » le rivage chaque jour. Ce site a d'ailleurs été mis à jour après l'ouragan Maria, en septembre 2017. Mais « ce n'est pas l'endroit où le trait de côte recule le plus », note l'archéologue. Ici, le bord de mer a reculé d'environ cinq mètres entre 1950 et 2020, selon des études.

Mais un peu plus loin, ce sont 50 mètres qui ont été perdus, la mer recouvrant désormais la majorité du site archéologique de Ouatibi-Tibi, d'où proviennent un grand nombre de vestiges de la civilisation amérindienne présente sur l'archipel avant l'arrivée des premiers colons et le début de la traite négrière.

Science participative

« Quand on fait des fouilles, on peut apprendre des choses sur ceux de l'ancien temps », récite consciencieusement Djahmélia, 9 ans, qui vient de finir de tamiser « sa poussière de fouille ». « On a appris que les Amérindiens vivaient dans des carbets (grandes cases en bois sans paroi typique des cultures amérindiennes, NDLR), qu'ils chassaient et qu'ils partageaient leur nourriture et aussi qu'ils n'avaient pas de supermarchés ! »

Pour les archéologues, la disparition de traces du passé sous l'effet de l'érosion est un vrai enjeu qui, rien qu'en Guadeloupe, menace environ 160 sites, selon les spécialistes. « Le problème, c'est qu'on manque de moyens humains », relève Isabelle Gabriel, qui espère retrouver parmi ces élèves de futurs archéologues. En attendant, la solution à ce manque de scientifiques réside dans la participation du grand public.

« Les archéologues ne sont pas assez nombreux sur le terrain et on a besoin de réseaux d'observateurs qui signalent des sites en danger », rappelle Marie-Yvane Daire, chercheuse au CNRS et coordinatrice du projet sur l'Archéologie littorale Outre-Atlantique (Aloa), qui surveille et anticipe l'impact des changements climatiques sur le patrimoine côtier des Antilles. « C'est une façon de conserver ces sites, par l'étude, pour ne pas perdre l'information », insiste la scientifique.

Et, selon Benoît Bérard, spécialiste de la civilisation amérindienne et enseignant à l'Université des Antilles, « la société a d'autant plus son mot à dire qu'on va devoir faire des choix drastiques des sites qu'on conserve ou non, et que le patrimoine appartient à tous ».