Jean-Luc Le West, Président du Comité du Tourisme de Guyane, en charge de l'économie à la CTG  : «Notre objectif, mettre le tourisme sur une rampe de lancement »

A l'image du télescope James Webb à bord de la fusée Ariane 5 qui a décollé du centre spatial européen de Kourou, Jean-Luc Le West, vice-président de la Collectivité territoriale de Guyane en charge de l'économie et président du Comité du Tourisme de Guyane, entend «mettre le tourisme guyanais sur une rampe de lancement » pour faire émerger la destination Guyane. Six mois après sa prise de fonction, Jean-Luc Le West présente pour Outremers 360  la stratégie touristique pour faire « décoller» la Guyane mais revient aussi sur les autres chantiers économiques : Filière Bois, industrialisation, coopération économique.

 

 

Outremers 360 : La Guyane a été sous les feux des projecteurs avec le lancement du télescope James Webb depuis Kourou. Quel est le bilan de cet évènement a eu sur la visibilité touristique de la Guyane?

Jean-Luc Le West : C'est un évènement qui s'est tenu il y a moins d'un mois, il est toujours difficile de mesurer la notoriété en si peu de temps. Mais je pense que le monde entier a compris que le lancement de la fusée Ariane 5 avec le télescope James Webb a permis de démontrer que la Guyane était un véritable port spatial pour l'ensemble de l'Europe mais nous pouvons dire aussi pour l'ensemble du monde. 

Outremers 360 : Lors de vos vœux de début d'année, vous avez placé l'année 2022 comme « l'année du rebond du tourisme en Guyane». Comment cela va se concrétiser ? 

Jean-Luc Le West : L'année du rebond a déjà commencé car cela fait six mois que nous sommes là. Il était important pour nous de mettre en avant la chose tourisme et qu'elle doit être l'une des locomotives de l'économie guyanaise. 

Outremers 360 : Le  tourisme en Guyane est porté par le tourisme d'affaires et affinitaires. Qu'en est-il du tourisme d'agrément ? Quels axes allez-vous développer pour faire émerger ce rebond touristique?

Jean-Luc Le West : Quand on parle de développement économique, ou de développement touristique, on ne peut parler d'un axe unique. On peut peaufiner un axe quand on dispose d'une filière en réel ordre de marche. Aujourd'hui en Guyane, il faut développer l'ensemble des axes. Il n'est pas question de favoriser un axe par rapport à un autre, il n'est pas question de développer l'endogène plus que l'exogène. Il faut donner l'ensemble des  axes pour donner une visibilité à la Guyane, de donner envie, de pouvoir répertorier l'ensemble des produits qui existent, pouvoir les labelliser par un pôle expertise du Comité de tourisme qui est en cours. Grâce à cet inventaire, cette labellisation des produits, on pourrait mettre les produits sur la table pour pouvoir les vendre. Cet axe concerne aussi l'axe du tourisme endogène que l'axe du tourisme exogène.

Ensuite, il va falloir accentuer la partie « promotion». Pour la première fois, nous avons voté au conseil d'administration à la fin du mois de novembre, un plan d'actions pour 2022 avec diverses manifestations prévues. C'est un plan qui a pour ambition de monter en puissance la promotion de la destination.Cette dernière passe par la communication, aller à la rencontre des opérateurs touristiques (tours opérateurs, agence de voyage), et aussi renforcer la politique du réceptif en Guyane qui permettrait que la chaîne ne soit pas rompue entre le tour opérateur, le réceptif et  l'opérateur touristique de manière générale. Une fois tous les éléments mis en place à travers les actions de promotion que nous comptons faire, c'est véritablement mettre le tourisme sur une rampe de lancement. A partir de ce moment, tous les voyants seront au vert pour pouvoir démarrer une véritable économie touristique. 

Outremers 360 : Dans la lignée de l'événement qu'a constitué le lancement du télescope James Webb depuis la Guyane, vous avez noué une convention avec le CNES. Quelles sont les orientations que cette convention va permettre de mettre en place ?

Jean-Luc Le West : Cette convention a existé avant 2017. Aujourd'hui, nous avons décidé de réactiver cette convention, la renforcer. J'ai souhaité que cette convention soit un véritable partenariat et bien plus qu'un accord entre un échange de fonds et/ ou de moyens entre le CNES et nous. Il faut rappeler que le CNES est aussi un opérateur touristique. Sur les 5 meilleurs produits touristiques guyanais, deux sont ceux du CNES avec les Iles du Salut et le Musée de l'Espace. L'accord entre le CNES et le Comité de tourisme de Guyane est, qu'avec cet opérateur touristique, de mettre en avant la destination Guyane à travers cette merveilleuse aventure technologique mais également une découverte de la Guyane à travers cette  technologie. 

Le CNES participe à la stratégie de la promotion de la Destination à travers le tourisme spatial © Comité de Tourisme de Guyane

Dans quelques jours, en assemblée plénière, nous allons valider un accord avec Atout France, ce n'est pas rien ! C'est une autre locomotive très importante pour notre tourisme. Il s'agit avec Atout France, de pouvoir être un relais sur le plan international. 

Il y a trois semaines, nous avons organisé une réunion avec la Polynésie française. Nous avons décidé de nous revoir avec le chargé de tourisme et le chargé de l'économie polynésiens prochainement. L'objectif est de mettre en commun des moyens. Ils ont des moyens différents des nôtres mais ils possèdent 11 bureaux de vente à travers le monde. C'est une donnée qui nous intéresse fortement. Ces 11 bureaux de vente peuvent nous donner une visibilité importante. En s'associant et en travaillant avec les acteurs du tourisme polynésien, c'est une opportunité de développer un tourisme différent car nous ne sommes pas concurrents, nous ne sommes pas sur le même secteur. Nous sommes cependant sur la même cible-clientèle. Aujourd'hui, un client qui a été en Polynésie qui veut trouver quelque chose de différent, pourrait venir trouver en Guyane un tourisme vert plutôt qu'un tourisme bleu.

Réunion de  travail avec la Polynésie © Comité de tourisme de Guyane

Outremers 360 : L'objectif est donc de viser le marché américain ?  

Jean-Luc Le West : Sans dévoiler tous nos secrets, nous avons des relais aux Etats-Unis qui travaillent avec une compagnie aérienne pour prolonger une ligne jusqu'à Cayenne. Rappelons qu'Air France développe une ligne entre les Antilles et New-YorK et le marché nord-américain comme le Canada, qui pourrait être prolongée, à partir de cet été, jusqu'à Cayenne. Des pistes, il y en a car vous ne pouvez faire de tourisme s'il n'y a pas d'aérien. Quand vous avez des pistes dans l'aérien, il faut aussi trouver quelqu'un qui fasse un relais sur place, commence à contacter les tours opérateurs, les agences. Nous avons préféré faire un travail de fond en allant au cœur des dossiers avec les différents partenaires qui pourraient nous accompagner dans cette aventure.  Certains diront que le tourisme en Guyane n'est pas à la hauteur des  services que les Américains peuvent attendre, oui, mais la Guyane a une authenticité que les Américains recherchent, ce «no-show» - un tourisme naturel, de contact. Avec la pandémie de Covid-19, tous les espaces d'air oxygénant avec une multiculturalité sont aujourd'hui très recherchés dans le monde. Et la Guyane les a ! Alors oui, il va falloir peaufiner nos produits, les rénover, faire de la formation pour le personnel, former de nouveaux arrivants dans le cœur de ce métier, faire naître des vocations. 

Cela permet de rappeler que dans le tourisme endogène, il est essentiel de permettre à chaque enfant de ce pays d'avoir accès à un produit touristique. Nous irons dans les écoles, parler tourisme et montrer les produits touristiques mais pour amener les enfants sur les lieux touristiques. Grâce à cela, nous ferons naître peut-être des vocations pour faire connaître ce métier, mais aussi des vocations pour faire  connaître des produits touristiques.

Outremers 360 : L'autre aspect du tourisme guyanais est sa forêt, l'Amazonie. Quelles pistes envisagez-vous pour développer ce tourisme vert? 

Jean-Luc Le West: Aujourd'hui, il existe des fonds régionaux divers et variés, ils ont été mis en place depuis quelques années. Mais pour pouvoir développer, il va falloir qu'il y ait des projets innovants, qui vont développer cette économie verte, cette économie de tourisme vert, c'est-à-dire avec des lodges de bonnes factures, de bonne catégorie qu'on pourrait installer en forêt. Aujourd'hui, les gens sont prêts à aller au coeur de la forêt mais avoir aussi un confort qu'ils n'ont pas. Aujourd'hui, je fais appel à tous ces investisseurs, d'où qu'ils soient, de pouvoir être intéressé par notre destination. Cette année, nous avons des dispositifs qui vont être mis en place pour favoriser les investissements, le développement du tourisme guyanais.

Outremers 360 : Quels sont les objectifs qu'avez-vous fixés en termes de fréquentation touristique à atteindre à la fin de cette mandature ?

Jean-Luc Le West : La fréquentation touristique ne va pas se faire rapidement. Nous sommes actuellement en plein coeur d'une épidémie mondiale qui a ralenti tous les  échanges internationaux. Le tourisme est le secteur qui en a subi les frais en premier. 

Je souhaite qu'à la fin de cette mandature, qu'on passe de 110 000 à 200 000 touristes voire plus. Aujourd'hui, nous avons 110 000 touristes, toutes tranches du tourisme confondus. Le tourisme d'agrément doit doubler par rapport à ce qu'il était, il y a quelques années.

Outremers 360 : Sur la question d'attraction des jeunes vers cette filière, quelles autres pistes comptez-vous favoriser ? Peut-on espérer, par exemple, une école d'hôtellerie ?

Jean-Luc Le West : Il est vrai qu'il ne peut y avoir de développement de filières sans structures au préalable des structures de formations adaptées aux filières qu'on souhaite construire. Aujourd'hui, il existe des structures de formation, qui sont fréquentés mais peut-être pas bien ciblées. 

Aujourd'hui, un certain nombre d'opérateurs ou d'associations demandent une structure de formation qui puisse réunir tous ces métiers du tourisme et de bouche qui puissent exister en Guyane. C'est une idée à creuser, six ans est un délai court pour pouvoir mettre en place mais une bonne période pour pouvoir l'amorcer. 

Mais si on met en place cette formation, il faudra qu'il y ait des opérateurs et un marché qui répondent à ces opérateurs. Encore une fois, cela montre que ce n'est pas un curseur qu'il faut lever mais l'ensemble des curseurs. Il ne s'agira pas seulement de faire de la politique ou du lobbying mais vraiment de construire une vraie stratégie car le tourisme représente pour nous, de l'emploi pur, non délocalisable, qui correspond à la typologie de la population guyanaise. C'est de l'emploi rapide, facile à mettre en place. Le tourisme doit être et peut être un outil de développement économique pour le territoire. 

Il est aujourd'hui essentiel de pouvoir construire, rénover avec du bois venant exclusivement de Guyane. 

Jean-Luc Le West, Vice-président de la CTG en charge de l'économie

Outremers 360 : Comment attirer alors les investisseurs en matière de développement touristique?

Jean-Luc Le West: Le comité du tourisme a pour principale vocation d'assurer la promotion du territoire, même si au coeur du Comité de tourisme, il existe un pôle d'expertise pour recevoir les projets, les filtrer et certifier l'intérêt d'un produit du territoire.

A côté de cela, nous allons très rapidement avec le pôle économique de la Collectivité territoriale de Guyane de pouvoir créer un pôle d'investisseurs-clés, guyanais, qui souhaitent investir dans le territoire ou s'associer avec des investisseurs hexagonaux ou autres. Nous sommes en plein coeur de l'Amérique du Sud, il ne faut pas se priver si d'autres sont intéressés à investir dans notre pays.  Ce pôle d'investisseurs, qui sera mis en place d'ici la fin du mois de mars, permettra de créer une synergie et une dynamique d'investissement. 

Il y aura des investissements sur d'autres filières mais il y aura des investissements pour le monde touristique. 

Outremers 360 : Quels sont les autres chantiers économiques  que vous souhaitez faire avancer ? 

Jean-Luc  Le West : Je pense qu'il faut se pencher sur la filière bois. C'est une richesse qui nous regarde, qui a l'avantage d'être contrôlée par les services de l'ONF. Il est important que cette filière bois soit très rapidement autonome. Il est aujourd'hui essentiel de pouvoir construire, rénover avec du bois venant exclusivement de Guyane. Ce n'est pas un vœu pieu, il faut que cette économie de la filière bois puisse exploser. Pour cela, nous avons d'un côté des socioprofessionnels du bois qui sont bien cadrés, bien référencés par l'Interpro Bois et d'un autre côté l'ONF.

A travers les schémas qui existent, il faut que l'ONF et la filière bois puissent aujourd'hui s'entendre, trouver des moyens de fonctionnement et pouvoir rendre compte que certains coûts sont très chers. Chercher du bois en plein cœur de la forêt et le ramener sur les sites d'exploitations, c'est compliqué! Il faudra trouver une bonne adéquation entre le coût du bois prélevé profondément en forêt et le coût de son transport.

La filière bois existe, elle est silencieuse mais effectue un travail de fond, qui a besoin de formations. A travers cette filière, il faut donner l'intérêt aux jeunes guyanais de s'intéresser au développement de cette filière.

Débardage de grumes en forêt © X.Demongin

Et puis une économie ne peut se développer sans industrie ! Il n'y a pas de petite industrie, il y a une industrie ! Le Covid-19, nous a appris qu'on ne pourra pas continuer à réfléchir de la même manière. J'appelle de mes vœux que de petites entreprises, dans toutes filières possibles, puissent se mettre ensemble et créent un pôle d'industrie. Très souvent, les investissements sont très lourds dans la pêche par exemple, mais l'opérateur n'a pas le marché en face pour pouvoir produire. Il faudra  porter une reflexion sur une autre manière de commercer et d'exercer une profession. Il est clair qu'il n'y aura de développement économique de notre territoire si nous n'avons pas un développement de l'industrie du territoire

On ne développera pas une économie si on ne respecte pas l'environnement, si on ne respecte pas les peuples

Jean-Luc Le West, Vice-président de la CTG en charge de l'économie

Outremers 360 : Comment favoriser cette synergie quand ces secteurs sont confrontés à de nombreux blocages parfois administratifs, réglementaires? Comment sortir de ces carcans? 

Jean-Luc Le West : Sur le plan économique, il ne faut plus qu'on ait des freins qui nous empêchent de nous développer. Il n'est pas question de mettre une chape de plomb ou une coupole de la Guyane qui l'empêche de se développer. Aujourd'hui, on devra alors chercher filière par filière, point par point, les éléments qui peuvent une libération de ces freins. On peut citer par exemple, la libération du foncier, cela est primordial si l'on veut industrialiser ce pays, il faudra trouver de la place pour mettre ces centres de production. Quand on demande de libérer le foncier, pour beaucoup il s'agit de faire de la spéculation immobilière, c'est faux ! C'est aussi faire du développement économique.

Il faut indiquer que je ne suis pas dans un schéma de mandature à 6 ans, je m'inscris sur un schéma de mandature plus long, de 10 à 30 ans. Nous savons que les schémas que nous mettrons en place sont des schémas qui doivent perdurer. Il faut, pour moi, migrer vers une seule et unique idée : développer ce pays. On a des chances de le faire si on le fait ensemble, avec des idées communes. Il est donc essentiel d'échanger avec toutes les personnes qui composent la population.  Quand on parle d'industrialisation, il peut y avoir des peuples autochtones qui sont réfractaires, car on empiète sur leur culture, leurs manières de voir les choses. Il faut le respecter, on ne développera pas une économie si on ne respecte pas l'environnement, si on ne respecte pas les peuples. C'est en concertation avec l'ensemble des composantes de la population qu'on arrivera à faire un développement économique pérenne.

Outremers 360 : Comment voyez-vous la coopération économique de la Guyane avec les pays frontaliers comme le Suriname, le Brésil ?

Jean-Luc Le West : Je prends souvent un exemple qui est choquant : je ne veux pas manger du bœuf qui vient du Brésil, qui passe par Rungis avant d'arriver dans mon assiette. Cela m'est insupportable ! On parle aujourd'hui d'empreinte carbone, en voilà un exemple ! Cela n'a pas de sens, la Guyane ne peut se fermer comme elle est depuis trop longtemps au reste des pays qui l'entourent. Il nous est souvent reproché qu'on soit davantage proche du marché antillais que du marché surinaméen ou brésilien. Cela n'est pas normal !  Au regard de la typologie de notre population,  nous sommes une population grande, ouverte, sud-américaine souvent, caribéenne aussi. C'est un vrai carrefour mais on ne peut pas continuer à commercer ou avoir une vie économique sans l'associer avec nos voisins. Il n'est pas question de se couper de cette chance. Cette chance est de ne plus être un cul-de-sac européen enclavé en Amérique du Sud.

Outremers 360 : Vous entendez lancer des coopérations économiques avec ces pays?

Jean-Luc Le West: Sans empiéter sur la délégation de mon collègue chargé de la coopération, je pense que les échanges économiques doivent véritablement se faire- et je le souhaite avant la fin de la mandature- avec l'Amérique du Sud. C'est que cela remet en cause forcément notre relation avec notre production locale. Il n'est évidemment pas question d'aller acheter moins cher chez nos voisins et de mettre en concurrence nos propres produits. Il y aura une équation réelle à faire, je le rappelle que nous avons des leviers comme l'octroi de mer et autres, qui permet d'équilibrer pas seulement les coûts ou récupérer des taxes mais il permet de rétablir un prix marché. 

Outremers 360 : Un dernier mot pour la fin ?

Jean- Luc Le West: Cette année qui commence s'annonce compliquée pour les Guyanais avec une crainte de revoir les commerces fermés et plus particulièrement pour les opérateurs touristiques. Il va falloir trouver les moyens pour pouvoir faire vivre et continuer à vivre nos produits. 

Cet espoir est possible si nous croyons en notre destination, si nous arrêtons de nous auto-flageller en permanence en nous disant que nous ne sommes pas bons.  Nous avons un beau pays, nous sommes une destination touristique qui correspond au moment.

Aujourd'hui, il faut que, tous ensemble, construire des produits, former des jeunes et des moins jeunes à venir travailler chez nous et à accueillir, ce que nous savons  très bien faire de manière naturelle pour développer notre pays, créer cette industrie, ce produit Guyane qui est véritablement le bon.