Discriminations en Outre-Mer : les avancées de la recherche sur l'exposition des ultramarins aux discriminations dans l’accès à l’emploi

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Discriminations en Outre-Mer : les avancées de la recherche sur l'exposition des ultramarins aux discriminations dans l’accès à l’emploi

Yannick L’Horty est l’un des organisateurs des Journées économiques de l’Outre-mer et de la conférence ARUM qui se tiendra les 11 et 12 octobre au Conseil économique, social et environnemental. Il est professeur d’économie à l’Université Gustave Eiffel et directeur de la fédération de recherche « Théorie et Evaluation des Politiques publiques » du CNRS. Spécialiste des discriminations, il évoque pour Outremers 360 une série de travaux récents qui ont mesuré de façon précise le niveau d’exposition des ultramarins aux discriminations dans l’accès à l’emploi.

 

Les discriminations à l’embauche dont sont potentiellement victimes les ultramarins  constituent à la fois un délit, lourdement sanctionné par le code pénal, et un objet de recherche pour les sciences sociales. En Droit, on parle de discrimination dans le domaine de l’accès à l’emploi lorsqu’un recruteur porte préjudice à un candidat en refusant sa candidature sur la base d’une caractéristique personnelle explicitement illicite. Il existe de l’ordre de 25 caractéristiques prohibées par le code du travail et le code pénal (art. 225-1) dont plusieurs peuvent concerner directement les habitants d’Outre-Mer : « constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur l’origine, (…) de leur lieu de résidence, (…) de l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation ou une prétendue race (…) ».

Dans le cadre des journées économiques des Outre-Mer qui auront lieu des 11 au 13 octobre prochain, trois études inédites consacrées à cette thématique vont être présentées. Ces études utilisent la méthode du test par correspondance, ou testing, qui consiste à présenter des candidatures fictives semblables en tous points à l’exception de la caractéristique dont on souhaite mesurer l’effet, en l’occurrence être originaire d’un département d’Outre-Mer. Il s’agit de la méthode de référence dans la littérature internationale sur la mesure des discriminations. Pour la première fois, ces travaux établissent l’existence de discriminations dans l’accès à l’emploi qui pénalisent fortement les ultra-marins, à la fois sur le marché du travail français et aussi sur celui de chaque territoire d’Outre-Mer.

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Une première étude porte sur les professions de vendeuses dans le prêt à porter et la haute couture en Ile-de-France. Elle compare les taux de succès de trois candidates qui ont répondu à 319 offres d’emploi début 2022. Alors que la candidate parisienne obtient près de 60 % de réponses positives, une candidate martiniquaise de même aptitude recueille obtient 40,7 % de réponse positive et une candidate d’origine africaine aux compétences semblables a un taux de succès de 32,9%. Les écarts sont statistiquement significatifs et ils s’expliquent entièrement par le comportement des enseignes haut de gamme qui discriminent nettement les candidates de couleur. L’étude montre qu’une origine martiniquaise protège assez peu contre ces discriminations.

Une deuxième étude porte sur les professions de serveurs dans la restauration et repose sur des données collectées au printemps 2021. Les chercheurs ont testé 1200 restaurants à La Réunion, en Guadeloupe, en Martinique et à Paris en leur envoyant trois candidatures parfaitement semblables. L’étude montre que le candidat parisien est systématiquement préféré au candidat domien, à Paris, mais aussi dans les trois départements d’Outre-Mer. L’écart relatif des taux de succès dépasse en moyenne 50 %. L’étude indique que si un jeune serveur originaire d’Outre-mer quitte son département dans l’espoir de trouver un emploi dans l'Hexagone, il n’échappera pas au piège des discriminations à l’embauche.

La troisième étude porte sur la Nouvelle-Calédonie et la profession de secrétaire. Elle a consisté à tester 661 entreprises par candidatures spontanées en proposant deux candidates de même aptitudes, l’une est d’origine européenne, l’autre d’origine Kanak. Les préférences des recruteurs apparaissent très polarisées. Beaucoup ne répondent qu’à l’une ou l’autre, mais pas aux deux. Globalement, le taux de réponse positive est moins élevé pour la candidate d’origine Kanak. Les chercheurs mobilisent des données ethniques issus du recensement calédonien qui leur permettent de connaître la part des personnes d’origine Kanak dans chaque localité. La candidate d’origine Kanak est confrontée à des discriminations dans tous les contextes locaux. Les discriminations à l’encontre de la française d’origine européenne sont quant à elles concentrées dans les localités où les français d’origine européenne sont les moins présents. Les contextes locaux jouent de façon asymétrique entre les deux candidates, au détriment de la non–européenne.

Les discriminations sur le marché du travail français ont été confirmées par plus d’une quinzaine d’études de portée scientifique depuis le début des années 2000. Mais jusqu’ici, jamais une origine d’Outre-Mer n’avait encore fait l’objet de tests rigoureux. Alors que ces trois études portent sur des territoires différents, avec des méthodologies de testing variées et sur des professions différentes, elles produisent des résultats convergents : les habitants des Outre-Mer ne sont pas abrités des discriminations sur le marché du travail. C’est le cas pour toutes les professions, dans tous les territoires testés et avec des effets de forte amplitude. S’agissant d’un délit juridiquement qualifié, ces résultats de la recherche appellent sans nul doute une réaction des pouvoirs publics.

Yannick L’Horty
Co-organisateur des Journées Economiques des Outre-Mer,
Professeur à l’Université Gustave Eiffel,
Directeur de TEPP-CNRS