De La Réunion à La Polynésie, en passant par Paris et Nancy, le parcours de Laurence Françoise trace une trajectoire sans cesse en mouvement. Partie de l’océan Indien en 2016, la journaliste réunionnaise n’a jamais cessé de se réinventer : mère de quatre enfants, elle a enchaîné les reprises d’études, exercé comme institutrice, maire adjointe, directrice de cabinet, avant de retrouver son premier amour, le journalisme : « Je n’ai jamais cessé d’avancer, de rebondir, de me réinventer professionnellement. Je le dis souvent : j’ai toujours eu plusieurs casseroles sur le feu », confie-t-elle. Aujourd’hui présentatrice et responsable d’édition à Tahiti Nui Télévision (TNTV), elle revient au cœur de son métier. Pour Outremers360, Laurence Françoise retrace son parcours toujours en mouvement, marqué par l’exigence du direct, un attachement fort aux territoires ultramarins, et une fidélité indéfectible à l’information.
De l’océan Indien au Pacifique, l’info pour boussole
C’est un peu par hasard que Laurence Françoise fait ses premiers pas à la télévision : « J’étais en fac d’anglais à La Réunion quand j’ai répondu à une annonce de casting. J’ai été prise ». À seulement 20 ans, elle devient animatrice de divertissement sur RFO Réunion, et présente Soir de première, une émission emblématique produite par Patrick Pangée, réunissant des artistes venus de tout l’océan Indien. Le journalisme s’impose alors comme une évidence. Après avoir obtenu sa licence, elle quitte La Réunion pour suivre son compagnon à Nancy où elle s’inscrit en licence de lettres avec une spécialisation en presse écrite. A Paris, elle poursuit ses études à l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ), tout en devenant maman de ses deux premiers enfants « avec 20 mois d’écart » précise-t-elle. Elle commence ses premières piges dans la presse ethnique, notamment pour Booker, un magazine bimensuel.

De retour à La Réunion en 2006, elle s’illustre pendant dix ans dans l’audiovisuel local : « J’ai fait quatre ans sur France Télévisions et six ans sur Antenne Réunion. J’ai présenté le JT créole, les journaux radio, les soirées électorales… » En 2016, elle repart dans l’Hexagone et amorce un nouveau virage : elle suit un master en criminologie, se présente aux municipales en Seine-et-Marne et devient adjointe à la communication, tout en étant rédactrice en chef de la publication locale. Puis, elle passe le concours de professeur des écoles en 2019 et valide un nouveau master en éducation. En 2022 elle est directrice de cabinet à l’inspection académique du Val-de-Marne. Elle y restera deux ans.
Journaliste un jour, journaliste toujours
Malgré ses multiples vies professionnelles, une chose ne change pas : sa passion pour l’information : « Lorsqu’on a cette sensibilité journalistique, elle reste en nous. On reste accro à l’actualité, au besoin de comprendre, de transmettre. » Même dans ses fonctions administratives et éducatives, elle garde un œil alerte sur le monde. En classe avec ses élèves « tous les matins, je commençais par une petite séance d’actualité. On échangeait sur ce qu’ils avaient vu ou entendu aux infos.» Plus tard, en tant que maire adjointe déléguée à la communication, elle n’hésite pas à endosser le rôle de rédactrice en chef pour le journal local, part sur le terrain, mène des interviews, dresse des portraits : « C’était une version très écrite, avec un vrai travail journalistique, même si elle s’inscrivait dans un cadre institutionnel. »
Début 2025, elle rejoint son mari en Polynésie, haut fonctionnaire déjà en poste depuis 2022. Elle opère un retour à l’écran comme responsable d’édition à Tahiti Nui Télévision, où elle supervise les éditions spéciales et retrouve cette adrénaline si familière : « Ce retour a une saveur particulière. J’ai l’impression de revenir à mes premiers amours, de me reconnecter à ce que j’ai toujours voulu faire. Finalement, je retrouve la fonction qui a donné du sens à mon parcours dès le départ. »
Forte de son expérience dans différents contextes médiatiques, elle apprend à s’adapter à chaque environnement. À TNTV, qui vient de fêter ses 25 ans, l’approche journalistique change radicalement : « Ici, on est dans un contexte particulier, situé entre la Chine et les États-Unis. Contrairement à La Réunion ou dans l’Hexagone, où l’on suit de près des médias comme BFM, j’ai eu l’opportunité de travailler en explorant davantage les actualités internationales, notamment la politique américaine et celle de Donald Trump. Mais à Tahiti, le journal est entièrement tourné vers le local : on ne traite l’actualité nationale ou internationale que si elle concerne directement la Polynésie. »
Faits divers, réseaux sociaux : les nouveaux visages de l’actualité
L’arrivée des chaînes d’information en continu, au tournant des années 2000, transforme profondément le rapport à l’actualité : « Les faits divers, autrefois relégués en fin de journal, ont commencé à ouvrir les JT, car ils touchaient directement les gens, suscitaient de l’émotion et parlaient de leur réalité. On s’est notamment rendu compte que La Réunion était fortement touchée par les violences intrafamiliales, et en particulier par les féminicides, qui ont occupé une place centrale dans les journaux. », se souvient Laurence Françoise. Cette bascule éditoriale marque un tournant dans la manière de penser l’information télévisée.

De même, les réseaux sociaux ont redessiné les priorités : « Avant, on allait à l’antenne sans téléphone. Aujourd’hui, c’est impossible. Les alertes tombent en continu. » Pour elle, ce changement de paradigme exige une nouvelle vigilance, une rigueur constante.
Les Outre-mer, un angle encore trop marginalisé
Son regard porte aussi un constat amer : les Outre-mer restent sous-représentées dans le paysage médiatique national : « Trop souvent, on réduit nos territoires à des cartes postales. On parle de Tahiti pour ses eaux turquoise, de Mafate pour la rentrée scolaire. Mais quid de la vie chère ? Des drames familiaux ? Des revendications sociales ? » Laurence cite alors l’affaire Ayden, cette fillette de 7 ans morte sous les coups dans sa famille d’accueil à Papeete, comme une tragédie qui a brisé le silence et ému jusqu’à l’Assemblée nationale : « Il faut des voix ultramarines, compétentes, formées, incarnées, pour parler de la France dans toute sa diversité. »
Leçon d’engagement pour une nouvelle génération
Parmi les figures du paysage médiatique qui l’inspirent, Laurence cite spontanément Christine Kelly : « Quoi qu’on dise, elle incarne avec force et conviction sa manière de traiter l’information. Elle a une vraie présence, une ligne claire. Je la suis depuis ses débuts. » Viennent ensuite Anne-Sophie Lapix « son interview de Marine Le Pen reste une référence, y compris dans les écoles de journalisme » et Apolline de Malherbe, pour la maîtrise de ses face-à-face matinaux, « un exercice redoutable, qui semble fluide mais repose sur une préparation énorme, souvent sans filet ». Elle cite également Léa Salamé dont la nomination au JT de 20h suscitent de vifs débats. Que des femmes ? « Oui, et ce n’est pas un hasard. Les femmes doivent souvent faire deux fois plus pour prouver qu’elles sont légitimes », affirme-t-elle.

Aujourd’hui, Laurence Françoise participe à la formation de jeunes journalistes au sein de sa chaîne, notamment sur les techniques d’interview et la présentation de journaux. Elle leur répète : « Posez-vous la question : quel journalisme voulez-vous faire ? Ensuite, formez-vous, restez mobiles. » Elle-même a tout mené de front en se lançant constamment de nouveaux défis : « Le journalisme est un métier qui ne s’apprend pas une fois pour toutes ; il se vit et se façonne au fil des expériences. » Une conviction profonde, qui traverse son parcours comme un fil rouge.
EG