Épilogue d’un moment politique comme on en a rarement vu dans notre pays. Trois semaines après la dissolution de l’Assemblée nationale, la gauche arrive en tête de ces législatives anticipées, la majorité sauve les meubles grâce au front républicain, tandis que le RN, promis à la primature, échoue. En Outre-mer, le résultat s’en rapproche, bien que la mobilisation des électeurs ait été moindre.
Le RN obtient ses deux premiers députés, mais…
Si le résultat au niveau national est décevant pour le parti d’extrême-droite, le Rassemblement national a obtenu, à l’issue de ce second tour, ses deux premiers députés Outre-mer. Joseph Rivière pour la 3ème circonscription de La Réunion, et Anchya Bamana, pour la seconde de Mayotte, vont faire leur entrée au Palais Bourbon dans le groupe de Marine Le Pen.
Une satisfaction mais aussi un score qui reste limité. En effet, le RN n’avait pas moins de douze candidats présents au second tour dans les 27 circonscriptions ultramarines (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Mayotte et La Réunion), et hormis les deux élus, tous se sont heurtés à l’ancrage local et la tendance au rejet dans ces territoires, où les fronts ont battu leur plein.
Dans certains territoires et circonscriptions, les candidats RN avaient peu de chances face à leurs adversaires. Ce fut le cas aux Antilles, en Guyane et à La Réunion dans les circonscriptions 1, 2, 6 ou encore 7. La réussite du RN aux Européennes dans ces territoires, où les scores de Marine Le Pen à la Présidentielle, sont donc toujours à pondérer.
Déjà parce que le 9 juin dernier, la participation basse dans les Outre-mer ne laissait pas la place aux victoires revendiquées. Aux européennes de 2019 et à la Présidentielle de 2022 déjà, le RN et Marine Le Pen faisaient de bons scores en Outre-mer. Pourtant aux Législatives qui s’en suivirent, le parti n’avait pas transformé l’essai.
D’un scrutin à l’autre, les enjeux changent. Les candidats RN ont ainsi peu de chance de supplanter les partis traditionnels, bien implantés localement, notamment la gauche pour les DROM qui reprend des couleurs depuis 2022. C’est aussi le cas dans le Pacifique où, seuls et dans des scrutins plus locaux avec des personnalités très locales, les candidats RN ne passent pas la barre des 10%.
La gauche en résistance
Si le second tour n’a pas bénéficié à l’extrême-droite, la gauche unie sous la bannière NFP s’en sort victorieuse avec le plus grand nombre de député(e)s élu(e)s ce dimanche. En Outre-mer, même constat. Sur les 27 circonscriptions, elle en gagne, pour l’heure, 16 : deux en Guadeloupe, quatre en Martinique, deux en Guyane, six à La Réunion, une en Polynésie et la dernière en Nouvelle-Calédonie.
En 2022, 17 députés ultramarins étaient étiquetés ou siégeaient dans un des groupes de la NUPES. En 2024, elle n’en perd qu’un. Les deux défaites indépendantistes, sur trois, en Polynésie française sont rattrapées par la victoire indépendantiste en Nouvelle-Calédonie.
Il n’y a en effet aucun doute qu’Emmanuel Tjibaou rejoindra un des groupes du Nouveau Front Populaire. Peut-être le GDR s’il suit le sénateur FLNKS Robert Xowie, qui siège chez l’équivalence au Luxembourg, et Mereana Reid-Arbelot, la députée indépendantiste de Polynésie, qui siège au GDR. Pour l’instant, le nouveau député ne s’est pas encore prononcé à ce sujet, et des incertitudes subsistent sur la reconduction du groupe GDR, dont une quinzaine de députés de la précédente mandature ont été réélus, juste assez pour former un groupe.
En 2024 comme en 2022, la gauche reste forte dans les Outre-mer « historiques » : Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion. Dans des circonscriptions de Guadeloupe et de Martinique, les seconds tours se sont joués sur des duels à gauche, bien loin des enjeux nationaux. Et à La Réunion, sans la désunion à gauche du premier tour, certains députés sortant NUPES auraient pu prétendre à l’élection dès le premier tour ou au moins, à un score au-delà des 50%.
Ensemble réduit à la portion congrue, la droite en souffrance
La coalition présidentielle ne cesse de perdre des députés Outre-mer depuis 2017. À l’issue de ces législatives anticipées, elle en récupère deux : le député de Wallis et Futuna Mikaele Seo, investi par Renaissance, et le député MoDem de Saint-Martin/Saint-Barthélemy, Frantz Gumbs.
Olivier Serva, ex-député LaRem de 2017 à 2022, avait été réélu sous l’étiquette NUPES pour ensuite siéger chez Liot. Nicolas Metzdorf, Renaissance de 2022 à 2024, n’a pas obtenu l’investiture pour ce scrutin. Il a d’ailleurs battu l’autre député Renaissance de l’archipel, Philippe Dunoyer, en changeant de circonscription.
Du côté de la droite, exit son dernier représentant, Mansour Kamardine. Reste à savoir où siègeront les trois députés du Pacifique appartenant à la mouvance autonomiste, plutôt proche de la droite et du centre-droite : Nicolas Metzdorf, Moerani Frébault et Nicole Sanquer. Moerani Frébault avait assuré ne pas siéger dans la coalition présidentielle. Il faut dire qu’en campagne, l’étiquette n’est pas vendeuse.
Autre inconnue : l’avenir du groupe Liot. Dans la précédente mandature, ce groupe indépendant avait aggloméré les parlementaires qui ne souhaitaient ni siéger à la NUPES, ni dans la majorité présidentielle, ni au RN, ni chez les LR. Parmi les ultramarins, quatre sortants de ce groupe ont été réélus. Avec les hexagonaux, le groupe se retrouve aujourd’hui à 14 députés reconduits. Pas assez pour former un groupe, pas insurmontable non plus.
Les enjeux locaux toujours plus importants
Alors que le scrutin national était marqué par la possibilité d’une majorité à l’extrême-droite, en Outre-mer, ce sont surtout des enjeux locaux qui ont, dans la plupart des territoires, conduit le vote des électeurs. En Nouvelle-Calédonie par exemple, le scrutin a été le terrain d’un affrontement électoral inédit entre le bloc indépendantiste et le bloc non indépendantiste, dans un contexte de crise sociétale majeure.
En Polynésie, le vote sanction à l’égard du gouvernement et de la majorité indépendantiste a coûté la place à deux députés du parti sur les trois présents à l’Assemblée nationale. En face, les autonomistes ont tenté l’union, réussie ponctuellement, mais qui reste à pérenniser. Car en vue des territoriales de 2028, l’assise indépendantiste reste, à l’issue de ces législatives, solide, avec un rapport de 47 à 53% pour l’union autonomiste.
À La Réunion, le duel à distance entre la présidente de la Région Huguette Bello et la maire de Saint-Denis Ericka Bareigts a tourné à l’avantage de la première. En Martinique, le Parti progressiste martiniquais de Serge Letchimy a été mis en difficulté, tout comme le GUSR de Guadeloupe, représenté par le président du Département Guy Losbar. À Mayotte, c’est la déroute des élus locaux qui, à l’unisson, ont soutenu le député sortant Mansour Kamardine, en vain.
Une participation en demi-teinte
A l’échelle nationale, la mobilisation des électeurs a atteint des sommets qui n’avaient plus été enregistrés depuis 1997 : 66% au premier tour, même chiffre au second. Pourtant, en Outre-mer, elle apparaît moins forte, en demi-teinte, loin des niveaux hexagonaux. Certes, c’est mieux que les Européennes de juin dernier, mais on partait de loin, et les législatives faisaient forcément mieux.
Mais au vu des enjeux, les candidats, les partis, les états-majors politiques auraient pu espérer mieux. La plupart des territoires n’ont pas dépassé les 50% de participation, que ce soit au premier ou au second tour, sauf à Saint-Pierre et Miquelon et à Wallis et Futuna. L’enjeu législatif, bien que représenté par des candidats locaux qui mettent en avant des sujets locaux, ne fait pas partie des scrutins les plus mobilisateurs.
Les participations de dimanche font quand même mieux que le second tour de 2022, un constat sur l’ensemble des territoires, sauf en Guyane. Le territoire amazonien est le seul à afficher une baisse notable de la participation entre le premier et le second tour. Surement dû à l’avance écrasante des députés sortants Jean-Victor Castor et Davy Rimane, d’autant que le second fut finalement seul candidat au second tour, après le désistement de son adversaire Sophie Charles.
Exception à la règle : la Nouvelle-Calédonie. Là encore, le contexte local explique l’historique participation de 71,35%. Dans l’archipel, jamais des élections législatives n’ont autant mobilisé l’électorat, et particulièrement pour celles-ci, l’électoral kanak, qui s’offre même le luxe de dépasser, au décompte finale, l’électorat non-indépendantiste de plus de 10 000 voix dans un scrutin au corps électoral général.
Après des semaines de tensions sur l’archipel, ces législatives anticipées ont, en Nouvelle-Calédonie, eu l’effet de catalyseur, et probablement de revanche électoral kanak après le référendum boycotté de 2021 et des mois de radicalisation des discours, de part et d’autre. Peut-être aussi, le début d’un apaisement et d’un dialogue plus serein pour l’avenir de l’archipel.
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