Crise sociale aux Antilles : L’ACCD’OM pointe « le désengagement budgétaire de l'État »

Crise sociale aux Antilles : L’ACCD’OM pointe « le désengagement budgétaire de l'État »

Dans un long communiqué, l’Association des Communes et Collectivités d’Outre-mer (ACCD’OM) attribue la crise sociale aux Antilles au « désengagement budgétaire de l’État ». « C'est ainsi que les communes d'outre-mer ont été profondément déstabilisées par la baisse des dotations compensée à 30% seulement par la péréquation nationale contre plus de 100% pour les communes défavorisées de l'Hexagone. Les pertes cumulées des communes des DOM s'élèvent à ce jour, à plus de 400 millions d'euros », indique le communiqué publié en intégralité ci-dessous.

La crise actuelle aux Antilles provoquée par le refus de la vaccination obligatoire et du passe sanitaire, fait indubitablement écho à celle de 2009 dans les 4 DOM, puis à celles plus récentes à partir de 2017, en Guyane et Mayotte, puis à la Réunion.

Tout se passe dès lors comme si la poussée observée aux Antilles ces jours-ci était inéluctable.

En effet, depuis plus de 10 ans, le désengagement budgétaire de l'État des finances locales dans les DOM provoque une exaspération sociale, propice à faire s'embraser ces territoires. Un feu qui suffit seul à provoquer l'incendie ou à l'attiser comme c'est le cas aujourd'hui aux Antilles. Mais quel écho trouvent ces troubles au niveau des pouvoirs publics nationaux, sachant que ceux-ci ont réglé, de façon efficace, la vague de violences urbaines qui avait embrasé les cités de l'Hexagone en 2005. Et ceci, grâce à des mesures structurelles qui visaient en premier lieu le budget de fonctionnement des communes par un renforcement substantiel de leurs dotations de péréquation, qu'il s'agisse des dotations de l'État ou d'une solidarité horizontale entre les collectivités. Pour les DOM, rien de tel n'a été mis en place. Au contraire, les communes ultramarines ont été systématiquement marginalisées par les réformes successives de la péréquation nationale.

C'est ainsi que les communes d'outremer ont été profondément déstabilisées par la baisse des dotations compensée à 30% seulement par la péréquation nationale contre plus de 100% pour les communes défavorisées de l'Hexagone. Les pertes cumulées des communes des DOM s'élèvent à ce jour, à plus de 400 millions d'euros.

Par ailleurs, le FPIC, qui selon le ministère de l'outremer, devait atténuer considérablement la perte des dotations des DOM, n'a pas pu jouer son rôle de bouclier en raison de l'exclusion, de manière dérogatoire de 40% des EPCI des DOM du bénéfice du FPIC, essentiellement les EPCI des Antilles et de La Réunion.

Pour rappel, la hausse de la péréquation nationale est financée par l'ensemble des collectivités, DOM compris. Mais pour la redistribution des fonds, les communes des DOM sont reléguées dans des quote-parts, où elles perçoivent moins que ce à quoi elles auraient droit dans le cadre du droit commun. C'est ainsi que nombres de communes d'outremer sont contributrices nettes au FPIC au lieu d'être bénéficiaires nettes dans le cadre du droit commun.

Une non prise en considération des enjeux des collectivités ultramarines en dépit du désengagement budgétaire de l'État

L'affaiblissement des ressources des collectivités des DOM par le désengagement de l'État des finances locales, aggravé par un essoufflement de l'octroi de mer (voire son effondrement aux Antilles) lié à la crise économique découlant de cette même crise des finances locales, n'a cessé de mettre sous pression ces territoires en raison de la dépendance du secteur économique et social vis à vis des ressources publiques. Cette même dépendance s'exerce dans les territoires défavorisés de l'Hexagone, lesquels sont toutefois protégés de la raréfaction des deniers publics par la péréquation nationale. Pour rappel, la péréquation est devenue un principe constitutionnel avec l'acte II de la décentralisation en 2003 afin de préserver les territoires les plus fragiles du désengagement budgétaire de l'État.

Or, en regard d'une péréquation nationale défaillante et d'une absence d'intervention de l'État, la dégradation continue du contexte économique et social des DOM conduit à des explosions sociales à répétition.

Un décrochage des DOM en regard de l'interventionnisme de l'État envers les communes défavorisées de l'Hexagone

Il importe de rappeler l'attention particulière de l'État dès 2005 vis à vis des territoires fragiles de l'Hexagone, avec la création de communes cibles de la péréquation nationale (17 millions d'habitants), la création d'un Fonds de péréquation de l'île de France (350 millions d'euros) et du FPIC (dont ont été exclus 40% arbitrairement des EPCI des DOM).

Des réponses de financement tardives de l'État ciblées sur la Guyane et Mayotte après des révoltes sociales

Face aux révoltes sociales de 2017 et 2018 en Guyane et à Mayotte, le renforcement des finances locales a enfin été une réponse forte de l'État, contrairement à ce qui avait eu lieu en 2009, où aucune des 100 mesures de sortie de crise n'avait concerné les finances locales. Et ceci, alors même que la crise de 2009 avait été déclenchée par la pression fiscale subie par les populations, en raison du coût exorbitant de la décentralisation pour les collectivités ultramarines de rang supérieur ; ces dernières ne pouvant plus, par ailleurs, soutenir les communes. Plus grave, en abaissant l'octroi de mer (ce qui au final n'a eu aucun impact sur la cherté de la vie !), les communes antillaises, et particulièrement martiniquaises, se sont trouvées dans une impasse budgétaire. Impasse budgétaire et démographique dans laquelle elles s'enfoncent toujours plus avec la baisse des dotations. La Réunion se situe dans une position financière intermédiaire et commence à enclencher la trajectoire démographique des Antilles.

Déjà privées du FPIC, la plupart des communes antillaises se trouvent dans une impasse budgétaire totale avec la réforme de la DACOM en 2020

Auparavant répartie par tête d'habitant, la DACOM est, en raison d'une enveloppe sous-dimensionnée, ciblée dorénavant en particulier sur la Guyane et Mayotte et dans une moindre mesure la Réunion en privant globalement les communes antillaises de rattrapage et pour certaines de la dynamique naturelle de la DACOM qui préexistait avant la réforme (+3% par an).

Autant dire que la réforme de la DACOM, ne répond ni à l'ampleur des besoins, ni à l'urgence des enjeux résultant de la baisse des dotations qu'ont subie arbitrairement les communes des DOM.

Face à tous ces enjeux d'une ampleur inédite, les pouvoirs publics ne proposent aux communes antillaises que le levier de la gestion locale

Toutes choses qui ne peuvent qu'aggraver leur effondrement démographique :

• baisse des subventions aux associations,

• augmentation du prix des services publics,

• augmentation des impôts,

• fermeture d'écoles,

• vente du patrimoine communal,

• gel des recrutements,

• gel des salaires des agents...

Or, les efforts de gestion ne peuvent compenser la question cruciale d'un manque de financement. Grandes oubliées des politiques publiques, les communes antillaises se trouvent dans une impasse sociale, économique et démographique totale. 

Dès lors, l'État va-t-il répondre au fondement de la crise antillaise actuelle, latente dans les autres DOM ?

Le président de la République avait annoncé en 2019, un rattrapage de 85 millions d'euros pour les dotations de péréquation des communes d'outremer après avoir reconnu, dans la foulée d'un rapport de la Cour des Comptes en 2017, que la péréquation nationale à l'égard des communes des DOM était défaillante. En tout état de cause, si le rattrapage de la péréquation avait été opéré avant la baisse des dotations, cette dernière aurait été compensée à plus de 100% dès 2017. Mais puisque ce rattrapage intervient tardivement, les communes des DOM, et surtout antillaises, ont accumulé injustement un déficit de 400 millions d'euros qu'on leur demande de combler par des efforts de gestion exorbitants supportés par les populations dont sont exonérés les communes défavorisées de l'Hexagone.

Au final, après l'annonce du président de la République, qui englobait un rattrapage de la DACOM de 55 millions d'euros, et l'application du droit commun pour le FPIC apportant 30 millions d'euros, seul le rattrapage de la DACOM avait été voté par le législateur en 2020. En effet, en dépit de l'urgence des communes ultramarines, notamment antillaises, privées arbitrairement du FPIC, la ministre de la cohésion des territoires avait indiqué préférer attendre la réforme des indicateurs de ressources en 2021 avant d'aligner le FPIC DOM sur le droit commun. 

Par ailleurs, le rattrapage de la DACOM a été échelonné sur 5 ans, afin de ne pas impacter les communes défavorisées de l'Hexagone dont la CRFP est aujourd'hui compensée à près de 200% et qui voient leurs dotations augmenter chaque année de 173 millions d'euros. Pour mémoire, le retard de la DACOM est de 163 millions d'euros, comme l'a souligné le rapport Cazeneuve/Patient. Entre la DACOM et le PFIC, les DOM perdent injustement 200 millions d'euros de recettes de fonctionnement par an.

En plein examen du PLF 2022, l'ACCD’OM ne peut que rappeler au gouvernement les responsabilités de l'État dans cette crise et demander un alignement immédiat du FPIC DOM sur le droit commun et un renforcement significatif de la DACOM afin de desserrer l'étau autour des populations ultramarines et particulièrement antillaises.