Le Casodom organise tous les 2 ans depuis 2005 une cérémonie de remise des "Talents de l'outre-mer". A l’occasion de la 9ème édition de cette cérémonie qui devait se dérouler en décembre - édition reportée depuis à une date ultérieure en raison des contraintes sanitaires - nous avons interrogé son président, Jean-Claude Saffache sur cette manifestation, sa genèse, son évolution, ses objectifs, le suivi des lauréats, mais aussi les missions du Casodom ainsi que ses projets futurs. Entretien.
Monsieur Jean-Claude Saffache, vous présidez depuis 2012 le Casodom, l'une des plus anciennes associations ultramarines de l'Hexagone qui organise tous les deux ans, depuis 2005, une cérémonie de récompense aux "Talents de l'outre-mer. Racontez-nous la genèse de cette opération ?
Le Casodom a été créé en 1956 pour venir en aide à nos compatriotes des « départements d’Outre-mer» venant dans l’Hexagone pour étudier, se former, travailler ou se soigner.
Dans les années difficiles qui ont suivi, marquées notamment par les crises économiques et sociales que nos pays ont connues, notre association a parfaitement tenu son rôle en facilitant la meilleure insertion possible des migrants ultramarins en difficulté, en montrant sa grande réactivité et sa capacité à répondre à l’évolution des besoins et des circonstances.
C’est ce qui nous a valu d’obtenir en 1973 la « reconnaissance d’utilité publique », qualité que notre association est la seule à détenir dans l’univers associatif des Ultramarins en France.
Mais à la veille des cinquante années d’existence de l’association, les responsables de l’association ont estimé que, tout en poursuivant et approfondissant sa mission d’Interlocuteur social de référence pour les Ultramarins dans l’Hexagone, le Casodom se devait aussi de faciliter et de favoriser l’ascension de nos compatriotes dans l’échelle sociale : de là est venue l’initiative, sous la direction de notre ancien Président, Georges Dorion, de créer à partir de 2005, l’opération « Les Talents de l’Outre-mer », manifestation d’envergure et médiatisée, avec pour objectifs de rendre visible l’excellence ultramarine en France et dans le monde, de promouvoir nos Talents comme des modèles pour la jeunesse des Outre-mer, et aussi de donner à nos concitoyens une image positive des Ultramarins.
Et, pour bien montrer notre volonté d’ancrer cette opération dans la durée, nous avons déposé la marque « Les Talents de l’Outre-mer » à l’INPI, dès l’origine.
Dans la société française, souvent la réussite des ultramarins se mesure à l'aune de leurs exploits sportifs ou à leurs talents musicaux plus qu'à leurs potentialités intellectuelles et/ou culturelles. Est-ce d'abord pour casser cette image que vous avez initié cette opération ?
Non, certainement pas pour dénier l’importance des exploits sportifs ou des talents de nos
compatriotes dans le monde musical. Nous avons estimé que nos réussites indéniables dans ces domaines étaient déjà suffisamment médiatisées : c’est un fait.
Mais ne considérer les Ultramarins que pour leurs seuls exploits dans les domaines sportifs ou festifs, c’est donner de nous une image réductrice, qui ne correspond pas à la réalité et à l’étendue de nos potentiels.
Or, notre but était de créer un effet d’entraînement vis-à-vis de nos jeunes, en leur montrant que bien d’autres avant eux ont pu parvenir à l’excellence dans tous les domaines où se manifeste l’intelligence humaine. Que bien d’autres ont été capables, par leurs efforts de volonté et de persévérance, de surmonter les difficultés d’ordre économique, social, culturel, voire racial auxquelles ils ont été confrontés. Et en faisant de ces difficultés, non un obstacle à leurs ambitions, mais un tremplin pour mieux les réaliser.
Sur quels critères sont opérées les sélections ?
Sur les critères de l’excellence et du mérite, attestés par tierce partie. L’excellence se mesure pour nous par le parcours d’exception des candidats, que ce soit l’excellence dans le parcours académique (les diplômes), ou dans le savoir-faire (la sélection est également ouverte aux métiers manuels et aux artisans).
Par mérite, nous entendons la capacité, montrée par le candidat, à surmonter les difficultés rencontrées, et à rebondir. Excellence et mérite doivent être prouvés (par des diplômes, certifications, publications, attestations de référents...). La sélection n’est pas un examen.
Pour départager les candidats, un Comité de sélection composé de personnalités indépendantes et compétentes dans les différents domaines se prononce sur la base des dossiers fournis. Il peut recourir à des experts.
Notre but était de créer un effet d’entraînement vis-à-vis de nos jeunes, en leur montrant que bien d’autres avant eux ont pu parvenir à l’excellence dans tous les domaines où se manifeste l’intelligence humaine.
Cette année, vous célébrez la 9ème édition des "Talents de l'outre-mer". En quoi cette édition se distingue-t-elle des précédentes ?
La sélection 2021 permet de distinguer 52 Nouveaux « Talents de l’Outre-mer », dont 19 « Jeunes Talents » et 33 « Talents confirmés ». Elle se caractérise par la confirmation de plusieurs tendances apparues depuis quelques années.
Tout d’abord un engouement de plus en plus prononcé pour notre opération, qui se marque par une augmentation continue du nombre de candidats, et donc de la sélectivité par rapport au nombre de dossiers : dans la catégorie des « Jeunes Talents », qui regroupe les jeunes en fin de cursus universitaire ou de formation, ce taux de sélection est d’environ 1 sur 8.
Cet engouement se marque dans tous les territoires : outre les Antilles/Guyane et la Réunion, qui fournissent traditionnellement les plus forts contingents, Mayotte, Saint-Martin, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie montent en puissance, avec des dossiers excellents.Autre tendance, l’élévation continue du niveau des candidats : le niveau BAC + 8 et au-dessus devient la norme commune.
Nous constatons aussi un nombre de plus en plus important de candidats, de niveau exceptionnel et de grande notoriété, qui concourent dans la catégorie des « Talents confirmés », y compris parmi les expatriés : ils cherchent ainsi, à travers notre manifestation, à être connus et surtout reconnus par leurs compatriotes.
Par ailleurs, de plus en plus de candidats montrent le lien très fort qu’ils souhaitent garder avec leurs territoires d’origine, soit en s’y étant déjà installés, soit en ayant suivi un cursus orienté vers des disciplines qu’ils estiment utiles au développement de ces territoires. Par domaines d’activité, celui de l’ingénierie et de l’innovation représente le plus grand nombre de dossiers, suivi de la recherche en santé/médecine, de l’entreprenariat et du management, et du droit et de la gestion publique. Les arts et la défense des droits humains ou de l’environnement fournissent aussi des candidats de qualité exceptionnelle.
A l'instar des autorités locales, le Casodom se préoccupe du phénomène de "fuite des cerveaux", phénomène préjudiciable au développement économique, social et culturel des territoires d'origine qui touche les jeunes diplômés ultramarins et veut s'engager à le combattre. De quelle manière ?
La prise en compte des spécialités utiles au développement des territoires d’origine des candidats est indiquée expressément dans nos appels à candidatures, et elle se démontre dans les résultats de la sélection. Mais il ne faut pas s’en tenir à une conception uniquement utilitariste de l’intérêt d’un
dossier pour les Outre-mer : montrer son excellence, y compris dans un domaine où on ne s’attend pas à trouver un Ultramarin, contribue aussi grandement à la notoriété des Outre-mer, et donc aussi à celle des territoires d’origine des lauréats.
Que deviennent les lauréats ? Y-a-t-il un suivi de la part du Casodom ?
Une fois nommés et décorés, les « Talents de l’Outre-mer » se regroupent au sein d’un réseau associatif distinct du Casodom, mais qui lui est allié, « Le Réseau des Talents de l’Outre-mer », présidé par Maître Yola Minatchy, Talent de l’Outre-mer 2005.
Ce réseau se donne pour mission, à travers les actions les plus diverses, de continuer dans la durée les objectifs de réussite professionnelle et sociale que nous poursuivons pour tous nos jeunes, et de prendre des initiatives pour le développement de nos territoires.
Fort de ses 328 « Talents de l’Outre-mer », répartis à la fois dans leurs territoires, en Hexagone et dans le monde, ce réseau commence à avoir la taille critique lui permettant de peser. L’opération des « Talents de l’Outre-mer » a en outre permis d’attirer des jeunes pleins de talents dans l’administration du Casodom, lui apportant ainsi un bienfaisant rajeunissement des cadres : 3 anciens Talents sont membres de son Conseil d’administration, dont Madame Yola Minatchy, Vice-Présidente, et Monsieur Yohann Corvis, Vice-Président.
Montrer son excellence, y compris dans un domaine où on ne s’attend pas à trouver un Ultramarin, contribue aussi grandement à la notoriété des Outre-mer
Nous l'avons dit en préambule, votre association est l'une des plus anciennes associations ultramarines présentes dans l'Hexagone, pouvez-vous rappeler ses missions hors cette opération et quels sont ses projets futurs ?
Comme je l’ai rappelé, le Casodom a une vocation sociale affirmée dans ses statuts. C’est aussi notre ambition que d’être l’Interlocuteur social de référence pour les Ultramarins venant dans l’Hexagone.
L’une de nos orientations a été d’abord d’élargir notre compétence en faveur des originaires de tous les Outre-mer, au-delà des seuls départements d’Outre-mer historiques.
Nous cherchons par ailleurs à diversifier nos actions au-delà de l’orientation, des aides sociales, du soutien psychologique, et de l’accès au droit, en ayant pour ambition d’être un Service social de plein exercice, capable de répondre, avec la plus grande réactivité et professionnalisme, à l’évolution des besoins.
Dans cet esprit, nos axes forts de développement sont le logement et l’accompagnement social de plusieurs catégories d’originaires des Outre-mer, notamment :
- Les malades en transfert sanitaire vers les hôpitaux de la région parisienne. Nous venons d’étendre cette prestation à la région de Lyon, première étape avant une généralisation sur tout le territoire.
- Les étudiants originaires des Outre-mer venant en métropole, et plus particulièrement ceux ne trouvant pas de place dans les résidences universitaires des CROUS, action pour laquelle nous sommes référencés depuis cette année.
Et, pour répondre à la désespérance de notre jeunesse, mise en évidence dans les crises actuelles, nous développons la formation professionnelle s’adressant à nos jeunes éloignés de l’emploi et ne disposant pas de diplômes : deux actions de formation, sans prérequis scolaire, concernant les domaines de la navigation fluviale et du service en salle dans la restauration, seront menées dès le début de l’année prochaine.
Propos recueillis par E.B.