Illustration ©Outremers360 (archives)
Interrogée hier à l’Assemblée nationale dans le cadre de la mission d’information sur la gestion de la crise sanitaire liée au Covid-19, la ministre des Outre-mer Annick Girardin s’est exprimée sur la situation des résidents polynésiens bloqués dans l’Hexagone en raison de l’arrêt de la desserte aérienne commerciale. Une situation matériellement et psychologiquement difficile pour ces polynésiens réunis virtuellement dans un Collectif et un groupe Facebook.
« Je souhaite que nous puissions avec le président Fritch reprendre progressivement, le plus rapidement possible, dès le prochain vol (…), l’envoi de Polynésiens voulant rentrer chez eux » a assuré la ministre des Outre-mer lors de son audition par la mission d’information. Selon Annick Girardin, 320 Polynésiens seraient bloqués dans l’Hexagone depuis le début de la crise et l’arrêt de la desserte aérienne commerciale. Selon le député Pierre Dharéville, qui a interrogé la ministre à ce sujet, ils seraient 192 alors qu’un collectif constitué sur Facebook en recense environ 180 sur un tableur Excel.
Précisons qu’il y a d’une part les évacués sanitaires dans l’Hexagone qui eux, devraient être rapatriés lors du prochain vol de continuité territoriale entre Tahiti-Faa’a et Paris-CDG, et les résidents bloqués car venus en France continentale pour des raisons familiales, touristiques ou professionnelles. Ce sont ces derniers qui, depuis l’arrêt de la desserte, demandent à être rapatriés en Polynésie.
Les évacués sanitaires bientôt rapatriés
« Nous avons des prérogatives qui sont celles du gouvernement polynésien » a toutefois précisé la ministre. En effet, le gouvernement de la Collectivité ainsi que le Haut-commissaire de la République et représentant de l’État, Dominique Sorain, ont pris la décision de ne pas rapatrier les résidents polynésiens bloqués dans l’Hexagone. Une des raisons avancées par la Collectivité est que la moitié des cas confirmés seraient des cas importés par des résidents de retour en Polynésie, au début de l’épidémie. L’autre raison, c’est le manque de structure d’accueil pour mettre en place les quatorzaines à l’arrivée des résidents.
Vendredi 10 avril, le président Édouard Philippe a toutefois assuré le rapatriement des évacués sanitaires venus à Paris pour des soins avant la crise sanitaire liée au Covid-19, mais pas ceux venus pour des raisons familiales, professionnelles ou touristiques. « Tant que la Polynésie française sera en situation de confinement, vous ne pourrez pas rentrer », avait déclaré Édouard Fritch. « Il n’y a pas de personne en détresse ni en situation d’errance », a tenté de rassurer la ministre, soulignant les relais tels que la Délégation de la Polynésie à Paris ou le délégué interministériel Mael Disa. La Délégation nous assurait par ailleurs une aide au cas par cas.
Détresse, débrouille et solidarité
Pour autant, du côté des Polynésiens restés bloqués dans l’Hexagone, le son de cloche n’est pas le même. Constitué en collectif réuni sur un groupe Facebook, ces derniers s’estiment « abandonnés » par les pouvoirs publics, tant locaux que nationaux. « La délégation polynésienne à Paris ne peut pas faire grand-chose pour nous parce qu’elle n’a pas de budget, pas de directives, juste peut-être pour certains elle donne des bons alimentaires », nous explique le Collectif. Pour beaucoup d’entre eux, le quotidien vacille entre détresse financière, recherche de logement et débrouille.
« Pas un jour ne se passe sans que la situation financière, sanitaire et psychologique de ces Polynésiens ne se détériore », a constaté le député de Polynésie Moetai Brotherson, dans un courrier adressé au président polynésien. « Nous avons voté des crédits qu’il est possible de mobiliser pour organiser des tests et confinements, au départ, à l’arrivée, et le transport par les vols de continuité. C’est notre devoir de responsables politiques que de répondre à cet appel au secours ». Pour la députée Nicole Sanquer, la réponse de la ministre est « déconcertante » au regard de « tous les mails de désespoir que nous avons reçu ».
L’exemple calédonien
« Fort heureusement une solidarité se met en place grâce aux polynésiens qui vivent en métropole, mais tout cela, c’est de la débrouille. Que fait notre gouvernement polynésien, que fait la France envers ses ressortissants qui ne peuvent rentrer chez eux ? », s’interroge le Collectif. « Pourquoi ne pouvons-nous pas rentrer chez nous comme les autres Français alors que des vols de continuité territoriale existent ? ». Les Polynésiens bloqués dans l’Hexagone sont d’autant plus envieux de retrouver leur Fenua, en constatant les vols de rapatriement de plus de 2 000 calédoniens organisé par la Nouvelle-Calédonie, que ce soit en Australie, au Japon, dans le Pacifique et jusqu’à Paris.
Interview de Yannick Hersché, résident polynésien bloqué en Lorraine, un des créateurs du groupe et collectif des Polynésiens bloqués en France
Vous recensez environ 180 résidents de Polynésie bloqués en France hexagonale. Comment avez-vous réussi à les recenser ?
Ce recensement est le résultat de regroupement d’informations entre différents groupes, d’échanges sur Facebook et l’inscription sur une liste Excel que nous avons partagée sur le groupe. Mais Mme TANG, si elle est honnête, doit avoir un chiffre plus affiné.
Savez-vous, de manière générale, pour quelles raisons les résidents polynésiens sont-ils dans l’Hexagone, initialement, avant le confinement ?
Difficile de répondre, elles sont multiples, entre raisons personnelles, professionnelles, vacances et affaires peut être…
Avez-vous tenté de vous approcher de la Délégation ? Quelle a été la réponse ?
La Délégation a fait remplir une fiche d’identification, ensuite certain ont été contacté, d’autre jamais, si ce n’est la réception d’un mail pour dire qu’on « s’occupe de nous » mais la réponse immédiate a été claire, elle n’a, au moment de l’échange pas eu d’enveloppe pour aider. Ce n’est que débrouille et entraide qu’elle peut proposer dans l’immédiat.
Quelle est votre situation personnelle ? ici ? Tant au niveau de l’hébergement que financièrement ?
Je ne vais pas parler de la mienne en particulier, j’ai la chance d’être hébergé chez mes parents, mais en général elle est plus que difficile. Après 27 jours de confinement et donc de vacances imposées/forcées, les finances s’amenuisent, les frais s’envolent, il faut payer les frais fixe en Polynésie, le moral est au plus bas, la haine s’installe vis à vis de nos gouvernants, on ne mange pas correctement, la déprime totale et pour beaucoup cette impression d’être tous, abandonnés.
Allez-vous engager des actions pour sensibiliser les pouvoirs publics sur vos situations ?
Sans arrêt, depuis les premiers jours. État, Gouvernement du Pays, médias de Polynésie, Haut-Commissariat, députés locaux, etc… Personne ne nous entend ou ne veut nous entendre. Maintenant on espère que les projecteurs des médias de l’Hexagone sensibilisent l’opinion et les Ministères pour afficher notre détresse et la volonté de rentrer. Comme il a été fait par le Ministère des Affaires étrangères qui a rapatrié presque tous les ressortissants à l’étranger, comme La Réunion a rapatrié les résidents et comme le fait actuellement la Nouvelle-Calédonie avec les siens. Encore hier, 13 avril en Afrique et en Algérie, Air France est allé chercher des résidents français.