EXPERTISE. Quel avenir pour les Outre-Mer ? Par André Yché

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EXPERTISE. Quel avenir pour les Outre-Mer ? Par André Yché

Alors que la succession monarchique au Royaume-Uni attire l’attention sur les enjeux d’unité nationale auxquels se trouvent confrontés nos voisins d’Outre-Manche André Yché, président du Conseil de Surveillance de CDC Habitat s'intéresse dans cette nouvelle expertise sur le fait «qu'il est pour le moins étonnant de constater que les aspirations indépendantistes de la nation écossaise et que la posture du « Sinn Féin » recueillent, dans les médias français, un plus grand intérêt que l’avenir de nos Outre-Mer.»

 

Dans un article précédent, j’ai développé l’idée que l’économie ultramarine présentait les fondamentaux d’une économie administrée, plus que d’une économie de marché dont les super-structures dans la distribution et les services captaient des marges élevées difficilement justifiables par le système productif local, artificiellement soutenu par un dispositif de subventions publiques directes ou indirectes, dont l’effet structurel était de déconnecter les micro-marchés insulaires concernés de leurs environnements régionaux respectifs.

Par ailleurs, l’article suivant était consacré à l’enjeu géopolitique présumé des Outre-Mer, pour conclure à sa dimension essentiellement virtuelle : ils ne constituent pas des « points d’appui » pertinents dans les espaces de confrontation actuels ou prévisibles à moyen terme, notamment entre les empires américains et chinois, La Réunion ne disposant pas d’un port en eaux profondes comparable à celui de l’Ile Maurice et Mayotte n’ayant plus de rôle manifeste à jouer pour la maîtrise du canal du Mozambique, vis-à-vis de Madagascar et de la zone des Grands Lacs africains.

Et surtout, l’atout géopolitique censé procuré par le domaine maritime de plus de 11 millions de km² constitué en grande partie (90%) autour de nos possessions ultramarines, ne recèle qu’une dimension théorique, du fait de la limitation objective de notre puissance navale et, au-delà, de nos industries maritimes.

A partir de cet état des lieux sans concession, se pose la question de l’avenir de nos Outre-Mer dans un contexte marqué par la montée inexorable des contraintes économiques et financières, s’agissant notamment de l’approvisionnement énergétique de nos territoires, de l’inflation des coûts de l’alimentation et des matières premières, mais aussi de l’émergence de nouvelles ambitions impériales (Etats-Unis, Chine, Russie, Turquie, Iran) auxquelles la construction européenne peine à répondre et dont la principale carte de la France consiste dans le dynamisme de la Francophonie.

Traiter de l’avenir de nos Outre-Mer suppose d’envisager le cadre constitutionnel qui les régit, le contexte politique qui prévaut, mais aussi le climat économique et social actuel et tel qu’il se dessine pour les prochaines années.

Pour résumer la situation simplement, deux articles de la Constitution prévoient des possibilités d’évolution du statut constitutionnel des Outre-Mer.

L’article 73 qui s’applique aux départements et régions d’Outre-Mer (DROM) organise des possibilités d’adaptation de la gouvernance territoriale, essentiellement dans le sens de sa simplification par fusion des collectivités départementale et régionale, mais aussi par simple regroupement des organes délibérants dans une assemblée unique ; la possibilité d’aménagement du cadre normatif est également envisagée dans le champ de compétence territorial, sous réserve de l’accord du Parlement. Donc, il s’agit de mesures d’assouplissement du principe d’égalité, (en pratique d’uniformité) qui s’applique aux collectivités territoriales, mais dans le régime maintenu de l’ « assimilation législative ».

L’article 74 va plus loin en créant le statut de Collectivité d’Outre-Mer (COM), conférant des possibilités d’autonomie accrues, s’agissant notamment de l’adoption de mesures de « discriminations positives » en matière d’emploi, de droit d’établissement et de maîtrise foncière.

Fait politiquement significatif, ce statut qui pouvait être interprété comme une étape intermédiaire vers l’indépendance a été rejeté par le corps électoral dans tous les Outre-Mer « historiques », à savoir les quatre anciennes colonies (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion) rejointes par Mayotte, pour n’être adopté que par deux communes insulaires de l’archipel Guadeloupéen, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, régies par des situations particulières (le partage de Saint-Martin entre tutelles française et hollandaise) et peut-être avec la volonté manifeste de sortir, sinon du cadre national, du moins de la « curatelle » régionale.

Ainsi donc, même si l’article 74 peut constituer une issue optimale aux yeux d’une certaine sensibilité autonomiste partagée, au niveau national, par les tenants d’une plus grande distanciation entre l’ancienne métropole et ses anciennes colonies, il est pour le moins hasardeux (certains pourraient dire utopique) de penser l’avenir en-dehors du cadre de l’article 73, tout simplement parce que tout glissement prévu par l’article 72-4 de la Constitution suppose l’accord des populations locales et que cet accord paraît politiquement hors de portée.

Ce cadre juridique potentiellement évolutif et considérablement assoupli depuis 2003, après des prises de position présidentielles favorables à la différenciation des statuts en 2000 et en 2010 notamment, définit le champ des possibles, dont il est patent qu’il n’est guère exploité du fait de fortes réticences politiques vis-à-vis de toute perspective de changement, doit être envisagé à l’aune des besoins locaux et de l’acceptabilité de certaines évolutions en regard des attentes politiques locales.

Fondamentalement, quelles sont-elles ? Il s’agit essentiellement d’affirmer la capacité d’arbitrage local, face au contrôle de légalité (ressenti comme d’opportunité) exercé par l’Etat déconcentré dans des domaines sensibles : l’emploi territorial et sa rémunération, la maîtrise foncière, l’encadrement des prix de la distribution, l’interventionnisme économique. Les compétences régaliennes conservées par l’Etat central ne constituent en aucune manière un enjeu de revendication, sauf préoccupation particulière motivée, en termes juridiques, par « les circonstances de l’espèce. »

S’agissant donc des enjeux locaux, leur prise en compte dans le cadre de l’article 73 paraît envisageable, au titre de l’adaptation ou de l’expérimentation, pour amorcer une évolution.

Encore faut-il que l’Etat central trouve dans cette évolution un début de réponse à ses propres préoccupations : une plus grande responsabilisation des entités décentralisées, en regard de plus d’autonomie. En matière de contrôle des prix, par exemple, laisser les pouvoirs locaux arbitrer entre les aspirations populaires et les intérêts économiques particuliers offrirait une opportunité d’émancipation et d’apprentissage d’une gouvernance autonome. De même, l’assouplissement des normes européennes, s’agissant de leur transposition, pourrait faciliter le recours à des matériaux locaux (bois, briques de terre, etc.).

Il n’en ressort pas moins que le véritable enjeu demeure en suspens, s’agissant d’une meilleure intégration dans l’environnement régional, singulièrement compliqué par les règles d’application directe des dispositifs nationaux prévus au titre de l’article 73. S’agissant notamment des « Petites Antilles », la proximité du potentiel de consommation colossal du continent nord-américain souligne un déficit inexplicable dans l’exploitation des capacités d’accueil touristique et d’exportation de l’agriculture des deux « perles » que sont la Guadeloupe et la Martinique. Ailleurs, dans l’Océan Indien notamment, c’est peut-être l’attractivité de la Francophonie qui pourrait constituer un levier de rapprochement culturel, de nature à enclencher des partenariats économiques via le Forum Francophone des Affaires (FFA). Il est certain, en toute hypothèse, que la voie de sortie d’un « statu quo » désespérant s’avère toujours aussi étroite. Tout le reste n’est que divertissement.

Considérés à partir de l’hexagone, les Outre-Mer paraissent bien loin et ne recueillent d’attention qu’épisodiquement, au fil des crises successives. Peut-être gagnerions-nous collectivement à réévaluer l’enjeu que représente leur avenir qui témoigne de notre capacité à garantir celui du pays.


 

André Yché

Président du Conseil de surveillance de CDC Habitat