[Analyse]  La Nouvelle-Calédonie, une stratégie « Zéro Covid» à l'épreuve du temps par Saïdi Abdelkader

Les grands rassemblements seront de nouveau autorisés à partir du 11 avril© Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

[Analyse]  La Nouvelle-Calédonie, une stratégie « Zéro Covid» à l'épreuve du temps par Saïdi Abdelkader

Après plusieurs semaines de restrictions et de confinement, la Nouvelle-Calédonie s'apprête à partir de ce dimanche 11 avril « une vie normale » avec la reprise des activités économiques et sociales, la réouverture des établissements scolaires dès le 12 avril ainsi que le retour des activités de loisirs et des soirées festives. Depuis le début de l'épidémie en 2020, la Nouvelle-Calédonie a fait preuve d'exemplarité en matière de gestion de crise sanitaire. Saïdi Abdelkader, médecin et auteur de Comprendre la Nouvelle-Calédonie à travers son système de santé (L’Harmattan, 2020), revient, à travers une note publiée ce jour sur le site de la Fondation Jean Jaurès, sur cette stratégie mise en place dans l’île pour faire face à l’épidémie et les stratégies à l’étude pour rouvrir le territoire. Outremers 360 vous publie cette note ci-dessous.

La pandémie de Covid-19 a provoqué une profonde rupture dans l’organisation et le fonctionnement de la plupart de nos sociétés. Si la Nouvelle-Calédonie a évité le pire sur le plan sanitaire pendant plus d’un an grâce à une stratégie « zéro Covid » ou « Covid-free » efficace, elle n’en reste pas moins largement impactée au niveau économique et sociétal. Depuis le 7 mars 2021, la confirmation d’une réintroduction du virus sur le territoire a poussé les autorités à réagir immédiatement en imposant un nouveau confinement strict afin de maintenir ses objectifs.

Concernant le virus, les questions restent nombreuses, les perspectives éclatées et les modélisations encore hypothétiques. Les divergences dans le traitement politique et scientifique de l’épidémie en fonction des pays et des intérêts laissent planer le doute sur les stratégies efficaces à mettre en œuvre. Aujourd’hui, il nous faut à la fois comprendre la pandémie, mesurer les conséquences de nos stratégies (« vivre avec » ou « zéro Covid »), et enfin il nous faut nous interroger sur la pertinence de nos choix futurs pour appréhender ce que nous étions incapables de prévoir. 

Si la stratégie calédonienne souhaite conserver l’adhésion de sa population, il est nécessaire dès à présent de clarifier ce nouveau consensus social afin d’accompagner la résilience collective en fonction des aléas épidémiologiques. Cet objectif ambitieux est-il atteignable, compte tenu du contexte actuel que traverse la Nouvelle-Calédonie ? Entre un système de santé à bout de souffle, une crise économique sans précédent, une stratégie industrielle compromise, un échiquier politique paralysé et une incertitude institutionnelle durable, le territoire est plus que jamais sous haute tension.

Pour lire la note sur la Fondation Jean Jaurès, cliquez ici 

I - Chronologie de la crise sanitaire en Nouvelle-Caledonie

Jusqu’au 6 mars 2021, le territoire comptait seulement 58 cas confirmés, tous importés et aucune hospitalisation liée à la Covid-19. Une stratégie ferme et réaliste, mise en œuvre précocement, a empêché le virus de circuler librement à travers l’archipel. Cette situation inédite résulte en grande partie au soutien de l’État et au pragmatisme de ses institutions et des différentes communautés. 

La vulnérabilité de la population calédonienne (20 % de ses assurés sont inscrits en longue maladie)[1], les tensions sur les chaînes d’approvisionnement liées à l’isolement géographique et la perception culturelle du danger par les communautés océaniennes sont probablement à l’origine d’une prise de conscience rapide de la menace Covid par les autorités et de la mise en place de mesures restrictives précoces. 

Les stratégies baptisées « zéro Covid » font la chasse au moindre cas positif. Elles sont en vigueur en Asie et en Océanie, où plusieurs pays comme la Chine, la Thaïlande, la Nouvelle-Zélande ou encore l’Australie se sont fixés l’objectif de zéro cas de Covid-19 sur leur sol. Pour cela, ils appliquent des confinements stricts et immédiats, une politique de testing-tracing et isolement drastique ainsi que le contrôle strict de leurs frontières. 

Dès le 14 janvier 2020, soit une semaine après le séquençage génomique du Sars-CoV-2 en Chine, la Nouvelle-Calédonie a renforcé son contrôle sanitaire aux frontières. Suivaient alors des mesures proportionnées jusqu’au 18 mars 2020, date de l’apparition des deux premiers cas importés sur le territoire via le vol de Sydney. Le 20 mars, tous les vols internationaux étaient suspendus et le 23 mars le confinement strict et général de la population a été arrêté pour une durée de quatre semaines, bien que le pays ne soit qu’en phase 2 épidémique sur des cas exclusivement importés. 

La stratégie territoriale reposa sur une levée du confinement en plusieurs étapes associées à une limitation des déplacements hors territoire ainsi qu’un contrôle strict aux frontières avec une mise en quatorzaine systématique de tous les nouveaux arrivants par un dispositif sanitaire robuste. 

L’adhésion de la population a été forte grâce à une communication pédagogique des autorités et des institutions coutumières ; les verbalisations sont restées marginales. 

La colonne vertébrale du dispositif sanitaire est représentée par le Médipôle et les services de la direction des affaires sanitaires et sociales (DASS NC), véritable rempart face à l’épidémie en phase 2. L’hôpital a augmenté sa capacité à 49 lits de réanimation (soit une moyenne de 20 lits pour 100 000 habitants, le double de la métropole), et les services de médecine ont la capacité d’accueillir jusqu’à 100 patients Covid[2]. La clinique Kuindo Mangin est en appui permanent au dispositif en termes de lits d’aval « propres »[3]. L’isolement en structure sanitaire dédiée des cas positifs, quel que soit le degré de gravité, est une volonté territoriale.

En connaissant « les patients zéros » et tant que la chaîne de transmission était visible, la stratégie basée sur un premier confinement strict et précoce, une levée de confinement progressive, une quatorzaine obligatoire et des tests ciblés a permis d’obtenir d’excellents résultats pendant plus d’une année.

Le 7 mars 2021, au lendemain du passage du cyclone Niran, responsable de dégâts matériels considérables, neuf cas positifs ont été identifiés chez des voyageurs revenus de l’archipel de Wallis-et-Futuna, ainsi que chez des personnes contact, faisant suspecter la menace d’une circulation du virus.  Les pouvoirs publics ont su réagir en appliquant les seules mesures pouvant garantir l’objectif initial : confiner strictement et immédiatement, pour une durée de vingt-cinq jours.

Si les décisions prisent rapidement pour acter le second confinement étaient totalement justifiées et ont fait preuve de leur efficacité, elles ont néanmoins surpris une population calédonienne mal préparée à cette nouvelle situation.

II - Premier Bilan

Économique 

Si la sécurité sanitaire est une aspiration forte de la société calédonienne, la sécurité économique ne peut en être dissociée. C’est dans ce cadre que l’État joue pleinement son rôle de soutien. L’aide des provinces et des différentes collectivités, bien que significative, ne peut prétendre à sauvegarder l’économie calédonienne, déjà sur la sellette avant la crise. 

Au total, la crise sanitaire induirait des pertes estimées entre 150 et 235 millions d’euros, soit un impact total sur l’année 2020 de l’ordre de 5,6 à 6,7 points de PIB[4]. Au-delà de ces estimations pour 2020, les risques pour 2021 sont importants avec des impacts sur les ménages, les entreprises mais également sur les finances publiques.

Les mesures de chômage partiel en faveur des salariés (42 millions d’euros budgétés dans le budget supplémentaire 2020) constituent un amortisseur aux suppressions d’emplois. En parallèle, les reports de cotisations sociales, le fonds de solidarité (plus de 16 millions d’euros pour plus de 13 000 bénéficiaires), les prêts garantis par l’État (165 millions d’euros de prêts préaccordés fin septembre) ou encore les reports d’échéances aménagés par les établissements de crédit visent à soutenir la trésorerie des entreprises[5]. Enfin, la mise en place de nouveaux instruments de politique monétaire très volontaristes facilite le refinancement des banques et favorise leur soutien à l’économie, alors que la souscription par le gouvernement d’un prêt de l’Agence française de développement (AFD) garanti par l’État (235 millions d’euros) permet d’apporter une source de financement aux mesures de soutien, à la gestion des aspects sanitaires de la crise tout en évitant un ajustement des dépenses publiques dont les incidences sur les entreprises et les ménages seraient immédiats[6].

Politique 

La crise sanitaire a renforcé le poids des autorités coutumières. L’angoisse générée par l’épidémie de Covid-19 dans les populations océaniennes s’explique par la résurgence de peurs ancestrales issues de la confrontation difficile des mélanésiens avec d’autres pandémies[7]. La mémoire collective est, en effet, restée marquée par le souvenir de l’introduction par les colons, de virus à l’origine d’épidémies dévastatrices. Cela a justifié des décisions très fermes des chefferies interdisant par exemple l’accostage de navires de croisière sur des îles ou leurs positions sur la durée du confinement ou encore de la quarantaine[8]. À l’opposé, la dépendance envers l’État et aux importations pour des « biens » aussi vitaux que l’alimentation, les médicaments ou les tests diagnostiques questionnent. En situation d’urgence, les notions de continuité alimentaire, sanitaire, éducative, en somme de continuité territoriale, prennent ici tout leur sens. 

Sanitaire 

Avec seulement une centaine de cas confirmés, malgré deux confinements, le bilan sanitaire de la Nouvelle-Calédonie avec sa stratégie « zéro Covid » est exemplaire. Les données épidémiologiques sur un an relèvent une incidence cumulée de 34 pour 100 000 habitants, un taux de létalité de 0 %, 27 000 tests PCR réalisés avec un taux de positivité de 0,37 % et seulement quatre clusters identifiés.

Ce bilan a été rendu possible par la mise en place de moyens et d’outils spécifiques ainsi que par une implication sur le terrain des professionnels libéraux et des provinces en collaboration avec le Médipôle, les services du gouvernement et de l’État. La campagne vaccinale s’est accélérée depuis le dernier confinement et les données relatives au vaccin sont centralisées dans un dispositif sécurisé par la DASS. La Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT) et les Directions provinciales de l’action sanitaire et sociale (DPASS) ne partagent pas ces données, et restent en appui pour proposer une invitation à la vaccination à leurs assurés ou ayant-droits. Le vaccin déployé est le Pfizer-Bioentech, approvisionné et budgétisé intégralement par l’État. Depuis l’initiation de la campagne le 20 janvier 2021, près de 25 000 personnes (personnes à risques et professionnels en première ligne) ont reçu la première injection, soit 15 % de la population. Si le rythme et la logistique de ce dispositif se maintiennent, la campagne devrait rapidement s’ouvrir à l’ensemble de la population. S’ilest difficile à ce jour de prédire le pourcentage d’immunité vaccinale qu’atteindra le territoire, en fonction des réticences de certains groupes ou individus compte tenu du manque de recul et de données scientifiques, tout laisse à penser que l’adhésion sera forte[9].

III - Nouveau contexte

Le second confinement intervient dans un contexte politique et économique instable. Début février 2021, l’ancien gouvernement a été dissout à la suite de la démission des membres indépendantistes et le nouveau gouvernement collégial à majorité indépendantiste ne parvient toujours pas, à ce jour, à désigner un nouvel exécutif. Cette situation rendue possible par l’accord de Nouméa est d’autant plus préoccupante que le territoire doit voter son budget, sous peine d’être placé sous tutelle par l’État. La crise sanitaire qui se rajoute à la crise économique et institutionnelle est donc pilotée par un gouvernement sortant intérimaire. 

Les difficultés économiques sont exacerbées par une crise du secteur industriel, en particulier celui du nickel, et aggravées par un contexte d’incertitude sur l’avenir institutionnel du territoire. 

Aujourd’hui, la Nouvelle-Calédonie est largement souveraine. Seules les fonctions régaliennes et quelques compétences techniques relèvent encore de l’État, à l’instar d’un État fédéré.

Mais ce petit pas qui reste à faire vers l’indépendance totale est devenu le point irréductible de l’opposition entre indépendantistes et non-indépendantistes.

Ce fait dominant, en Nouvelle-Calédonie, n’a pas évolué depuis trente ans. Tout a bougé sauf cette question : celle de la pleine souveraineté. La « bipolarisation » de la vie politique calédonienne s’est ainsi constituée progressivement autour de ce fait irréductible, pour devenir la base et les perspectives de tous les enjeux sociaux, politiques, économiques et culturels de ce territoire.

Quel que soit le choix des Calédoniens lors d’un éventuel troisième et dernier référendum, la fin de la période d’application de l’accord de Nouméa se traduira inévitablement par une nouvelle page en termes institutionnels, dès 2022. Au-delà, la question se pose quant à savoir dans quelles conditions un petit archipel de 18 575 km2 avec moins de 300 000 habitants, situé en plein cœur de l’océan Pacifique, est en mesure d’être indépendant dans un contexte de crise sanitaire mondiale et systémique.

IV - Préparer la sortie de crise

À la fin du mois de mars 2021, la Nouvelle-Calédonie termine son second confinement en ayant atteint ses objectifs avec la stratégie « zéro Covid », alors que la métropole s’apprête à subir une troisième vague inédite. 

Alors que la distanciation sociale couplée à la vaccination semblait suffire pour nous prémunir définitivement de l’épidémie, l’émergence de nouveaux variants bouleverse les prévisions. 

Cette nouvelle donne remet en cause l’efficacité de nos moyens de détection et la qualité des immunités acquises. Il nous faut dès lors appréhender un monde où, quels que soient nos dispositifs opérationnels, la menace restera constante. Maintenir la Nouvelle-Calédonie sous cloche en attendant la fin de la pandémie ne semble ni tenable, ni justifié. 

Ainsi, un nouvel objectif à atteindre se présente aux Calédoniens : assurer une sécurité sanitaire et économique durable dans une Nouvelle-Calédonie « ouverte et résiliente ».

De nouveaux outils seraient susceptibles d’appuyer cette nouvelle stratégie : un « système d’alerte Covid » afin de préparer la population aux risques futurs et un « certificat sanitaire » permettant une réouverture maîtrisée des frontières. 

Un dispositif d’alerte « Covid »

Ce dispositif serait déclenché lors des inévitables réintroductions futures du virus. L’objectif est de préparer une population résiliente et de permettre une réponse rapide sous formes d’actions afin de limiter l’impact de la menace. Pour cela, une articulation entre la veille sanitaire, le système d’alerte et la gestion de l’alerte est indispensable. Le cadre conceptuel pourrait s’inspirer de celui en vigueur pour les cyclones, bien intégré par la population calédonienne. 

Quatre niveaux d’alerte seraient identifiés avec des actions et mesures à effets immédiats :

  • pré-alerte : menace potentielle dans les jours à venir. Se tenir informé et démarrer la distanciation sociale, geste barrière et port du masque. Limiter et identifier les contacts. En cas de symptômes, appeler la ligne dédiée ;
  • alerte 1 : menace dans les 24 heures. Se tenir informé. Fermeture de tous les établissements scolaires et crèches. Continuité de l’activité économique. Distanciation sociale accrue ;
  • alerte 2 : menace réelle de circulation active du virus. Confinement strict et immédiat ;
  • phase de sauvegarde : levée progressive du confinement. Suivre les instructions.

Au-delà de son objectif premier (casser la circulation virale sur une population préparée), ce dispositif doit être articulé avec celui de la promotion de la santé publique.

Un « certificat sanitaire NC »

Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie vient de prolonger son dispositif de quatorzaine à l’arrivée sur le territoire jusqu’au 31 octobre prochain. Alors que les différentes stratégies « post vaccination » sont peu à peu dévoilées dans le monde, l’idée d’un passeport d’immunité se posent aux États pour réouvrir progressivement leurs frontières. De nombreux projets émergent, et avec eux autant d’enjeux juridiques, éthiques, techniques et politiques. Un certificat d’immunité contribuerait à atténuer de manière significative les contraintes qui altèrent la vie sociale et économique de nombreux Calédoniens. Mais la création d’un tel document est de nature à diviser les différents groupes sociaux du territoire et soulève d’innombrables questions. Est-il envisageable de continuer à restreindre les libertés des personnes (quatorzaine systématique), au sein du territoire de la République, s’il peut être établi qu’elles ne sont plus un danger pour les autres et pour elles-mêmes ? Est-il économiquement soutenable de maintenir l’archipel sous cloche et d’empêcher la reprise de certaines activités ? Est-il socialement juste de continuer à isoler les familles de leurs proches, dont certaines sont en situation de précarité ? Est-il éthique que pour toutes ces raisons que la vaccination devienne implicitement obligatoire ? Est-il concevable d’admettre une rupture d’égalité, non pas entre Calédoniens mais entre les citoyens du monde ? 

Plus qu’ailleurs, toutes ces questions sont légitimes en Nouvelle-Calédonie où la notion de continuité territoriale doit être mise en perspective avec les incertitudes scientifiques et dans un monde où les inégalités d’accès à la vaccination sont criantes. Ce sujet devrait donc être mis à l’agenda politique et être soumis à une consultation citoyenne. Une attention toute particulière devrait être portée sur les enjeux juridiques et éthiques que soulève un tel certificat.

Enjeux juridiques

Un « certificat sanitaire NC » serait l’équivalent d’un passeport d’immunité permettant de voyager. Or, si le passeport a un sens juridique précis corrélé à l’identité et la nationalité, ce nouveau dispositif devra répondre aux exigences et objections du droit national et européen.

Le caractère impératif de ce document pour circuler hors ou à destination de la Nouvelle-Calédonie ne doit pas conduire à rendre la vaccination obligatoire, mais permettre aux individus vaccinés ou immunisés d’éviter une quatorzaine systématique. Malgré tout, un tel certificat constituerait sans aucun doute une mesure attentatoire à plusieurs droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d’aller et venir, et le respect de la vie privée. 

Dans la mesure où les tests et la vaccination sont gratuits, garantis et accessibles à tous dans de bonnes conditions sur l’ensemble du territoire, la discrimination entre les citoyens calédoniens disparaîtrait de fait.

Si la Nouvelle-Calédonie est compétente en matière de santé et de contrôle sanitaire aux frontières, l’État a étendu aux territoires ses lois et décrets sur l’urgence sanitaire, mais surtout il reste compétent pour la garantie des libertés publiques. Ce projet serait donc soumis à une loi de pays. Cette proposition de loi, qui porterait atteinte aux libertés, pourrait être nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi pour faire face au contrôle a priori du Conseil constitutionnel. Le champ d’application et les finalités de ce projet de loi devraient être restrictivement définis : utilisation et sécurité des données, périmètre et contenu du certificat, destinations concernées, durée d’application. Enfin, si ces difficultés juridiques peuvent être résolues compte tenu des spécificités du territoire, le législateur devrait être en mesure de l’articuler avec la métropole, les pays de l’Union européenne et les pays partenaires océaniens où la garantie d’accès à la vaccination pour tous prendra plusieurs mois et créerait donc une rupture d’égalité entre les individus.

Enjeux éthiques

Le contexte d’urgence sanitaire nous oblige à donner un cadre éthique qui sous-tende la politique en matière de vaccination et de liberté de circulation, en évitant l’écueil d’une « éthique d’exception ». Un préalable au débat est de déterminer si un tel certificat rend la vaccination implicitement obligatoire.

L’obligation vaccinale se situe à l’intersection de la protection sanitaire individuelle et de la santé publique. Un des fondements éthiques de la vaccination obligatoire repose sur « l’obligation de réciprocité ». En d’autres termes, les droits reconnus aux usagers s’accompagnent de responsabilités de nature à garantir la pérennité du système de santé et des principes sur lesquels il repose. 

Avec l’obligation vaccinale, le législateur choisit de prioriser la juste répartition des risques vaccinaux pour le bénéfice de tous. Cependant la décision de rendre obligatoire une vaccination n’est justifiée sur le plan éthique que si les connaissances sur les vaccins et leur capacité à limiter la contagion du virus sont étendues, ce qui ne sera pas le cas avant plusieurs mois pour les vaccins contre la Covid-19. De plus, le Sars-CoV-2 est essentiellement pathogène sur des populations à risques (âge et comorbidités) même si ces allégations sont de moins en moins pertinentes avec l’émergence des nouveaux variants. 

Si l’obligation vaccinale n’est donc toujours pas d’actualité, force est de reconnaître que les dernières données scientifiques sur les vaccins à ARN m[10], qui sortent au fil de l’eau, démontrent progressivement l’excellente sécurité et efficacité de ces vaccins à court et moyen terme, mais également la nette diminution de la contagiosité et donc du risque de transmission. 

En ce qui concerne un certificat d’immunité, pour pouvoir éviter une quatorzaine systématique à l’arrivée en Nouvelle-Calédonie, les enjeux éthiques sont plus nuancés que ceux de l’obligation vaccinale. 

Il faudra impérativement respecter les principes qui fondent l’éthique médicale vis-à-vis de la vaccination et les droits fondamentaux de toute personne : égalité, équité, respect des principes d’autonomie et de consentement, rapport entre bénéfice collectif et risque individuel, justice pour déterminer les conditions d’accès.

Si un « certificat sanitaire » ne représente pas une incitation implicite à la vaccination obligatoire, que son obtention reste non discriminatoire, que sa finalité garantit la protection de la santé de la population calédonienne, que les données sont protégées et qu’il améliore la libre circulation des individus, il devrait pouvoir être mis à l’agenda au même titre qu’un maintien systématique et indifférencié d’une quatorzaine. Sa mise en application encadrée entre la métropole et le territoire pourrait être une préfiguration ou en tout cas une expérimentation grandeur nature de ce que pourrait être demain « un passeport immunitaire » à l’échelle nationale.

V - Conclusion

Si la Nouvelle-Calédonie a réussi jusqu’à présent à être à la hauteur de la crise sanitaire, elle le doit à deux faits robustes : la compétence locale dans la plupart des domaines et le soutien et la garantie de l’État. Cependant, cette crise systémique a mis en lumière les vulnérabilités du modèle économique et social du territoire et doit maintenant être l’occasion de réorienter les priorités. Si la Covid-19 est une crise sanitaire, cette dernière est devenue très rapidement une crise économique et sociale sans précédent. 

L’arrêt mondial qui confina chez eux plusieurs milliards d’individus est un fait inédit. En fonction des géographies et des cultures il existe deux grands axes stratégiques pour lutter contre l’épidémie : « le vivre avec » et « le zéro Covid ». 

Si la Nouvelle-Calédonie a le luxe de pouvoir appliquer jusqu’à ce jour cette deuxième stratégie, grâce au soutien sans faille de l’État, il faudra qu’elle s’adapte à son nouveau contexte. Dans l’histoire des sociétés, les grandes crises sont le plus souvent des accélérateurs de tendances. C’est pourquoi penser les conséquences de la Covid consiste à identifier la manière dont cette crise peut amplifier des dynamiques déjà à l’œuvre sur le territoire. 

Nous pouvons en citer au moins trois :

  • au niveau politique : l’élaboration d’un nouveau projet institutionnel post-accord de Nouméa qui devra être innovante et consensuelle ;
  • au niveau sanitaire et social : la réforme du système de santé et la construction du nouveau modèle de protection sociale doivent répondre aux enjeux contemporains liés à la transition démographique, épidémiologique et technologique ;
  • enfin au niveau économique : les difficultés de la filière du nickel doivent pousser le territoire à trouver de nouveaux relais de croissance prenant en compte la transition énergétique.

Ce sont ces trois dynamiques, dont le but est de répondre aux transitions en cours, qui définiront les contours de la Nouvelle-Calédonie de demain.