TRIBUNE. Nouvelle-Calédonie, terre de voyage, par Patrick Roger

©Les Nouvelles Calédoniennes

TRIBUNE. Nouvelle-Calédonie, terre de voyage, par Patrick Roger

Dans une tribune accordée à Outremers360, le journaliste Patrick Roger, auteur de Nouvelle-Calédonie la tragédie, aux éditions du Cerf, pose son analyse de la responsabilité de la situation dans laquelle l’archipel est plongé depuis mai dernier. Le journaliste-auteur, plume experte du dossier calédonien, est plus réservé quant à la perspective d’un accord politique global « bien illusoire » avant de nouvelles élections provinciales fin novembre 2025, et se prononce davantage pour un scrutin avancé permettant de « retrouver des interlocuteurs légitimés par les urnes et à même de s’engager sur la durée d’une mandature pour élaborer un nouveau projet pour la Nouvelle-Calédonie ».

La Nouvelle-Calédonie est, à juste titre, l’objet de toutes les attentions depuis les émeutes déclenchées le 13 mai 2024 par la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), émanation de l’Union calédonienne (UC), principale composante du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), qui ont ravagé le territoire, mis l’économie calédonienne à genoux et plongé des dizaines de milliers d’habitants, toutes ethnies confondues, dans une situation dramatique. Si je fais ce rappel en préambule, c’est parce que, à l’écoute des débats au Parlement lors de l’examen de la proposition de loi organique reportant les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie au plus tard au 30 novembre 2025, un observateur non averti aurait pu penser que l’initiateur de ces destructions n’était autre que… le président de la République, Emmanuel Macron.

« Voilà le glorieux bilan du précédent gouvernement, assène la députée écologiste Sabrina Sebaihi. Il porte une lourde responsabilité dans les violences survenues au cours des derniers mois. » « Le groupe LIOT [Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires] tient à souligner la responsabilité de l’ancien gouvernement dans la situation actuelle », renchérit le député régionaliste breton Paul Molac. Le porte-parole du Rassemblement national (RN), Stéphane Rambaud, met en cause « un entêtement à vouloir tout décider en haut lieu sans écouter ceux qui, chaque jour, œuvrent à la cohésion de l’archipel ». Enfin, Bastien Lachaud, intervenant au nom de La France insoumise (LFI), l’affirme clairement : « Emmanuel Macron est le seul et unique responsable de la crise politique, économique et sociale qui nous ramène quarante ans en arrière. »

Alors, s’il faut mettre les points sur les « i » et rectifier le récit qui semble s’être installé, rappelons cette simple réalité qu’ont vécue les Calédoniens, tous les Calédoniens, depuis le 13 mai : un déferlement de violences, d’incendies, de pillages, de destructions, de barrages paralysant le territoire mais aussi, pire que tout parce que les plaies mettront du temps à cicatriser, de haine et, oui, de racisme, de part et d’autre, qui ont fait terriblement régresser la perspective d’un destin commun. Et, ce point de départ, sans ignorer les erreurs, voire les fautes politiques commises sous la présidence d’Emmanuel Macron, c’est l’ordre de passage à l’action lancé par les dirigeants de la CCAT, sous l’impulsion de Christian Tein, le commissaire général de l’UC, actuellement incarcéré au centre pénitentiaire de Mulhouse, au matin du 13 mai, selon un scénario soigneusement planifié et organisé.

Depuis six mois, donc, s’empressent au chevet d’une Nouvelle-Calédonie exsangue, si elle n’est plus à feu et à sang, les plus hautes autorités de l’Etat et, même, des Etats voisins du Pacifique. A commencer par le président de la République, Emmanuel Macron, qui dès le 23 mai effectua un déplacement express – 16 heures sur place – dans un territoire alors en plein chaos, accompagné de trois ministres et de trois hauts fonctionnaires chargés d’une mission de dialogue qui a fait long feu. Après une trop longue mise en suspens de l’activité gouvernementale due à la dissolution de l’Assemblée nationale, suivie des élections législatives anticipées puis de la laborieuse constitution d’un gouvernement qui a pris ses fonctions plus de quatre mois après le déclenchement des violences, la Nouvelle-Calédonie est redevenue une destination incontournable.

En moins d’un mois, le territoire a vu se succéder le nouveau ministre des outre-mer, François-Noël Buffet, une délégation du Forum des îles du Pacifique composée des premiers ministres des îles Tonga, Cook et Fidji ainsi que du ministre des affaires étrangères des îles Salomon, puis une mission « historique » des deux présidents de chambres parlementaires de la République, Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet. Dans le même temps, une délégation « transpartisane et interinstitutionnelle » du Congrès, du Sénat coutumier et du CESE, à laquelle ne s’étaient toutefois pas associés le gouvernement de Nouvelle-Calédonie ainsi que les groupes Loyalistes et UNI-Palika, s’est déplacée en métropole pour promouvoir le plan quinquennal de reconstruction de la Nouvelle-Calédonie adopté par le Congrès. Pendant que la présidente de la province Sud, Sonia Backès, se démenait de son côté pour faire le tour des mêmes interlocuteurs. Bataille de « post » et de photos à la clef sur les réseaux sociaux.

 A son tour, une délégation du gouvernement conduite par son président, Louis Mapou, effectue à peu près le même déplacement, auprès des mêmes responsables politiques et économiques, pour plaider la cause du plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction (PS2R) mis en œuvre par le gouvernement. « Complémentaires », assurent-ils les uns et les autres, sans pouvoir s’empêcher chacun de tirer la couverture à eux et à boulets rouges sur les initiatives dont ils ne sont pas à l’origine. Incorrigibles…

Voici qu’une délégation interministérielle, dite « technique », devrait bientôt atterrir sur le territoire. Puis, peut-être, la venue du premier ministre, Michel Barnier, début 2025. La délégation « transpartisane et interinstitutionnelle », dit-on, envisagerait de refaire une nouvelle tournée en métropole dans les prochains jours. Emmanuel Macron, de son côté, songe à réunir à Paris l’ensemble des composantes politiques, économiques et institutionnelles de la Nouvelle-Calédonie pour réfléchir à l’avenir institutionnel et économique du territoire.

On en oublie ? Elysée, Matignon, Oudinot, Bercy, Palais-Bourbon, Palais du Luxembourg… Tant de bonnes fées se bousculant au chevet de la Nouvelle-Calédonie, quitte à se marcher sur les pieds, voire à se neutraliser, que l’on peine à distinguer ce qui relève du vœu pieu, de la déclaration d’intention ou de l’aveu d’impuissance. Tandis que, de l’autre côté, perdurent les éternelles rivalités insulaires mettant aux prises les camps indépendantiste et loyaliste. Mais aussi, au sein de chacun d’entre eux, les ambitions de conquêtes électorales avec, en ligne de mire, la « mère des batailles », les élections provinciales qui déterminent à la fois la répartition des sièges dans les assemblées des trois provinces, au Congrès et au gouvernement. C’est là, pour les uns et pour les autres, l’enjeu primordial, de quoi susciter une constante « guerre des places » et attiser les divergences plutôt que les consensus.

Et c’est là que le bât blesse car, dans un contexte politique qui s’est radicalisé depuis la tenue des trois référendums sur l’accession du territoire à la pleine souveraineté, jusqu’à l’explosion du 13 mai, les voix modérées peinent à se faire entendre quand les plus radicales, elles, bénéficient d’un écho ascendant. Qui donc parmi les dirigeants actuels osera dans ces conditions s’exposer sur la voie d’un accord global au risque d’être désavoués par leur base militante et de perdre encore un peu du crédit qu’il leur reste, déjà largement entamé, auprès de leurs électeurs ? Comment imaginer que, cet accord qu’ils n’ont pas su, ou voulu, faire aboutir depuis trois ans, ils y parviendront en six mois ? Cela paraît, à cette heure, bien illusoire. Peut-être vaudrait-il mieux, dès lors, prendre les dispositions nécessaires pour que les élections provinciales puissent se tenir dès le printemps 2025, sans attendre la fin de l’année. Cela permettrait de retrouver des interlocuteurs légitimés par les urnes et à même de s’engager sur la durée d’une mandature pour élaborer un nouveau projet pour la Nouvelle-Calédonie. Trop de temps a déjà été perdu.

Patrick Roger

Journaliste, auteur de Nouvelle-Calédonie la tragédie, éditions du Cerf.