Protection sociale Outre-mer : Le gouvernement calédonien se penche sur le gouffre du RUAMM

Protection sociale Outre-mer : Le gouvernement calédonien se penche sur le gouffre du RUAMM

En février dernier, le gouvernement présentait une série de mesures pour sauver le Ruamm, avant la crise sanitaire ©Gouv.nc

Avec la création de l’agence pour le financement des déficits cumulés du Régime Unifié d’Assurance Maladie-Maternité (RUAMM), le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie active le premier levier d’un plan de redressement aussi ambitieux que périlleux. Un sujet de notre partenaire Actu.nc

33 milliards de francs (près de 277 millions d’euros). Voilà, la dette actuelle du RUAMM. Un trou abyssal, fruit de ces neuf dernières années rythmées par les insuffisances de trésoreries et le manque de prises de décisions politiques. Pour le directeur de la CAFAT (Caisse de protection sociale de Nouvelle-Calédonie), Xavier Martin, « l’ampleur des solutions à mettre en œuvre est colossale », il serait presque utopique de penser qu’une solution existe, laisse penser le ton de sa voix.

Pourtant les premières pierres d’un plan de redressement viennent d’être posées. Le gouvernement a actionné son premier levier : le dépôt au congrès du projet de délibération sur la création d’une agence pour le financement des déficits cumulés du RUAMM (AFDC). Comme son nom l’indique, elle ambitionne de combler le déficit du principal régime endetté.

« Thierry Santa s’est attribué le portefeuille du financement de la protection sociale, il faut lui reconnaître qu’il s’est attaqué au cœur du problème », souligne Xavier Martin. « S’il arrive à résorber les dettes du RUAMM, cela permettra de réinjecter un niveau de trésorerie dans le système, dont bon nombre d’acteurs économiques bénéficieront ».

La CAFAT pourrait notamment rembourser aux hôpitaux les 21 milliards de francs qu’elle leur doit, ils pourraient en retour régler les cotisations jusqu’ici impayées. Par effet ricochet, ce serait une bouffée d’oxygène pour l’ensemble des régimes : ils pourront régler leurs fournisseurs, pour partie calédoniens, et créer de la dynamique sur l’économie calédonienne.

Manœuvre juridique

Si le recours à la création d’une agence peut surprendre, ce n’est en réalité que le fruit d’un jeu juridique. Pour résorber le déficit du RUAMM, le gouvernement prévoit de formuler une demande de prêt garanti par l’État. En théorie, comme il s’agit d’un prêt pour financer des frais de fonctionnement, il n’est pas possible pour la Nouvelle-Calédonie de présenter une telle demande à l’État. Les fonds publics peuvent uniquement financer de l’investissement.

Ainsi, pour contrecarrer cette interdiction, il faut modifier la loi des finances au niveau national, créer une structure et la doter de statuts particuliers qui autoriseront sa mission première : l’emprunt. « C’est déjà en discussion avec l’État français », souligne le porte-parole Christopher Gyges. « Nous pensons pouvoir formuler notre demande dès la fin du premier trimestre 2021 ».

Si la manœuvre a un air de déjà-vu, c’est normal. Cette idée arrêtée par le gouvernement à la fin de l’année 2019 devait être mise en œuvre au début de l’année 2020. Elle a été reportée en raison de la crise sanitaire, mais le gouvernement s’en est inspiré pour formuler la demande d’emprunt à l’AFD destinée à résorber le surcoût lié à la COVID-19. L’idée de créer une agence pour accéder à l’emprunt repose sur un modèle déjà existant dans l’Hexagone.

Nathalie Doussy et Xavier Martin ©Actu.nc

Nathalie Doussy et Xavier Martin ©Actu.nc

« La sécurité sociale française a aussi eu à emprunter sur les marchés internationaux pour résorber sa dette », explique Xavier Martin. « Pour être habilitée à le faire, elle a dû créer une caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, dotée d’une contribution fiscale spécifique, la CRDS. Si la France métropolitaine a réussi à le faire théoriquement nous le pouvons aussi ».

A la recherche de nouvelles recettes 

Concrètement, une fois créée, l’agence espère obtenir de la CAFAT, du gouvernement et des hôpitaux, l’accord d’abandon de certaines dettes pour n’avoir à demander qu’un prêt de 25 milliards de francs. Elle prévoit de le rembourser à partir d’une dotation de la recette fiscale de la contribution calédonienne de solidarité (CCS). « Il est envisagé d’augmenter la CCS de de 0,6 % », explique Christopher Gyges. « Cela permettra de doter l’agence de 1,750 milliards de francs par an, ce qui lui permettrait de rembourser l’emprunt sous 15 à 16 ans ».

Avec la création de l’agence et cette dotation allouée, le gouvernement devrait présenter les garanties suffisantes pour obtenir l’accord d’emprunt. Reste que le délai de six mois, imposé par le gouvernement, demande d’aligner un certain nombre de feux verts. « Pour arriver à 25 milliards, il faudrait que les hôpitaux acceptent de réduire la dette du RUAMM de 6 milliards, ce ne sera pas facile d’obtenir leur accord », poursuit Nathalie Doussy, directrice adjointe de la CAFAT.

Si résorber l’emprunt est une étape majeure dans le plan de redressement du régime de protection sociale, l’effort sera vain sans réforme structurelle du régime. « Le RUAMM est en déficit annuel de 12 milliards, il devrait récupérer le financement de l’aide médicale, soit 12 milliards de dépenses supplémentaires, ajoutez à cela les deux emprunts de 24 et 25 milliards : cela fait frémir », lance Xavier Martin.

Il faut réformer, et comme souvent en économie, les deux leviers pour rééquilibrer le système sont la réduction des dépenses ou l’augmentation des recettes. « Réduire les dépenses voudrait dire baisser le niveau de vie d’une partie des Calédoniens, et ici personne ne peut l’entendre, relève le directeur de la CAFAT. Donc il faut augmenter les recettes ».

Sauf que dans le contexte actuel, augmenter les taxes ne serait pas propice à la relance économique, répond le gouvernement. « Nous travaillons principalement sur la maîtrise des dépenses, le ticket modérateur a été mis en place et nous travaillons sur la création de l’Autorité indépendante de régulation (AIR) », défend le porte-parole du Gouvernement. Cette autorité sera la pierre angulaire de la maîtrise des dépenses, avec en autres comme missions, la mise en œuvre la politique de santé et la fixation des prix des produits.

Actu.nc