Pouvanaa a Oopa : La réhabilitation du Metua est « une œuvre collective », selon Marie-Hélène Villierme

Pouvanaa a Oopa : La réhabilitation du Metua est « une œuvre collective », selon Marie-Hélène Villierme

Pouvanaa a Oopa ©Capture d’écran

Pour clôturer notre dossier spécial sur le Metua Pouvanaa a Oopa, Outremers360 et son partenaire Dixit Magazine vous proposent une interview de la réalisatrice et photographe Marie-Hélène Villierme, qui en réalisant le premier documentaire biographique sur Pouvanaa a Oopa, a permis à la population de Polynésie de se saisir du combat pour l’innocence du Metua en ravivant sa mémoire. « Le temps politique, comme le temps judiciaire se déroulent toujours sur de longs cycles, avec des points de suspension qui doivent être nécessaires pour que le processus de vérité avance et renverse tous les obstacles, un à un », dit-elle. 

Dixit : 41 ans après la mort de Pouvana’a a O’opa, son innocence est enfin reconnue, pourquoi le processus a-t-il été si long ?

Marie-Hélène Villierme : Dès son retour à Tahiti en novembre 1968, dans sa première interview donnée à La Dépêche de Tahiti, il proclamait haut et fort qu’il était innocent et annonçait son projet de demander la révision de son procès. Sans révéler sa stratégie, il espérait démontrer son innocence en basant sa défense sur 5 points. On peut facilement imaginer, en se replaçant dans le contexte de l’époque – on est en pleine effervescence des débuts des années CEP – que ce combat allait être « tué dans l’œuf » !

Il faut attendre 1988 pour que la famille entreprenne une première tentative de demande de révision, auprès de l’avocat (alors médiatique) François Roux, mais je pense qu’il y avait trop peu d’éléments révélés, c’est-à-dire trop peu d’archives accessibles et que l’omerta autour de cette affaire pesait encore trop lourdement sur ceux qui pouvaient témoigner.

Il suffit de savoir comment ses descendants directs et ceux qui portaient le nom Oopa ont pu être marginalisés, exclus de l’école, de leur église, avec des difficultés pour trouver du travail, pour comprendre à quel point un certain état de pression était maintenu. Le temps politique, comme le temps judiciaire se déroulent toujours sur de longs cycles, avec des points de suspension qui doivent être nécessaires pour que le processus de vérité avance et renverse tous les obstacles, un à un.

En 2008, lorsqu’une résolution est votée à l’Assemblée de la Polynésie française à l’unanimité des représentants, 20 ans se sont écoulés, le contexte est tout autre et surtout on connaît alors une alternance politique où le gouvernement Temaru est à la tête du Pays et de l’Assemblée. Aussi, pourrais-je dire que la véritable bataille, avec des avancées, des déceptions, des espoirs et beaucoup de travail, à différents niveaux, pour obtenir sa réhabilitation, s’est jouée sur ces 10 dernières années.

Parmi les éléments nouveaux du procès figurent les témoignages de gendarmes qui ont reconnu que l’accusation s’était fondée sur des témoignages fabriqués ou extorqués par la menace ou la violence.Comment se fait-il que ces éléments n’aient pas été révélés plus tôt ?

Comme on le disait plus haut, il n’était sans doute pas possible que les langues se délient avant ce long processus pour faire ce genre d’affirmations graves. Graves parce qu’elles exposent un dysfonctionnement sérieux de la justice, sinon volontairement orchestré par un gouvernement français qui avait son dessein national, assisté des détracteurs locaux de la politique de Pouvanaa. Le procès en révision qui s’est joué en 2018 repose sur des « éléments nouveaux », à savoir des éléments qui n’avaient pas pu être portés à la connaissance des jurés de l’époque. J’aimerais revenir sur ce qui me semble important à partager pour transcrire cette mémoire…

En observant comment l’histoire de cette révision a pu être conduite jusqu’à son terme, on s’aperçoit que chaque « sphère » a apporté sa contribution spécifique, dans le champ de ses compétences et qu’au final, c’est cette complémentarité qui a payé.

Il y a eu la sphère politique, personnalisée par Richard Tuheiava qui, en tant que sénateur a défendu le dossier auprès de plusieurs Gardes des Sceaux (5 il me semble), avec des fins de non-recevoir sous la présidence de Nicolas Sarkozy, puis finalement Christiane Taubira, autre personnage clé dans ce dossier.

Sans elle, sans son implication sincère et la méthodologie sans faille qu’elle a suivie, le dossier n’aurait jamais pu passer toutes les étapes de la procédure, notamment l’éligibilité de la requête, pour arriver jusqu’à l’examen du dossier par les magistrats de la Cour de Cassation. Sans rentrer dans les détails, il faut quand même rappeler que c’est le ministère de Christiane Taubira qui a instruit le dossier et déposé la requête en révision en juin 2014 car jusque-là, seuls les descendants de première génération et les gardes des Sceaux avaient le droit d’entamer ce genre de procédure.

Aussi, pour faire évoluer la loi juste avant le dépôt de sa requête, a-t-elle fait voter l’assouplissement des critères d’éligibilité, pour inclure notamment la notion de « faits nouveaux », ainsi que la possibilité de déposer une demande en révision par les ayants-droit du 3e degré (amendement déposé par le sénateur Tuheiava).

La sphère des experts, représentée par Jean-Marc Regnault et Catherine Vannier, a été essentielle aussi pour apporter le sceau de la rigueur et de la recherche. Ainsi, l’historien a permis, grâce aux recherches qu’il mène depuis plus de vingt ans, de mettre à jour le contexte politique local et national qui a conduit à l’arrestation du Metua, mais au-delà de l’affaire, il a apporté l’éclairage historique de toute la vie politique de Pouvanaa et de ses contemporains, ainsi que les grands changements institutionnels. Catherine Vannier, en ayant épluché minutieusement le dossier de l’instruction (avec les auditions, de chacun et le procès de 1959 à travers les minutes du procès) a pu relever pour sa part toutes les failles du dossier et démon- trer la manipulation.

Puis la sphère que j’appellerais « artistique » dans laquelle j’ai œuvré, à partir de 2008, et qui a permis d’exposer, de partager cette histoire « enterrée ». En commençant à travailler sur le sujet, j’ai compris qu’il fallait restaurer le lien entre Pouvanaa et les générations actuelles. L’histoire, le personnage, son héritage, n’existaient que dans les mémoires des anciens qui se taisaient, pour les raisons que l’on comprend.

Même si Jean-Marc Regnault avait déjà écrit plusieurs livres sur le sujet, même si Bruno Saura avait sorti le premier ouvrage sur le Metua en 1985, on connaissait finalement que très peu ou très mal sa vie et son destin politique. Et surtout, il me semblait important pour cette réparation que les enjeux autour de la révision ne soient pas encore une cause de divisions politiques, et par conséquent de la population.

En veillant à raconter l’histoire le plus objectivement possible, je crois que la plus grande contribution du film a été de réveiller la mémoire et de permettre à chacun de se faire sa propre idée sur la question. À l’arrivée, le bien-fondé de sa réhabilitation ne fait plus aucun doute et c’est aujourd’hui une fierté partagée par tout le monde.

Puis, la sphère judiciaire, représentée notamment par deux inspecteurs polynésiens, Teva Buisson et Wilton Hiro, qui ont eu la lourde charge de refaire l’enquête, à partir de 2016, pour étayer le dossier des magistrats de la Cour de Cassation. À partir de témoignages, du dossier d’instruction et du procès de 1959, ils ont eux aussi relevé toutes les étrangetés qui ont permis de jeter le doute sur l’impartialité du traitement de toute cette affaire. Que cette dernière étape soit remise entre les mains de Polynésiens fonctionnaires d’État est pour moi significatif que l’histoire a pu être « remise à l’endroit » grâce à la contribution de toutes ces personnes et leurs sphères d’action.

Et enfin, la recherche de la vérité, n’aurait pas pu réussir sans la ténacité et la fidélité à la pensée et la volonté du « Vieux », incarnées d’abord par Lola Oopa, puis repris par Sandro Stephenson, son fils. Il me semble que le cap constant que Sandro a gardé, en reprenant toujours les mots de son arrière-grand-père, a guidé avec succès cette pirogue vers la destination finale. C’est ce tissage de contributions que je voulais partager, car rien ne tombe du ciel par hasard, c’est une œuvre collective, avec le temps qui travaille du côté de ceux qui savent être persévérants.

Cette réhabilitation du Metua aura-t-elle des répercussions profondes pour le peuple polynésien ?

D’abord, je voudrais apporter un éclairage pour ceux qui ont peut-être ressenti de la confusion au lendemain de la décision. Maître Emmanuel Piwnica, l’avocat qui représentait la mémoire de Pouvanaa nous a expliqué que le Metua a été « innocenté » et que « sa mémoire a été déchargée de toute peine », selon les termes juridiques utilisés, car la personne concernée n’est plus vivante. On le dirait « innocent » si l’annonce avait été faite de son vivant.

Mais toujours est-il qu’il n’y a aucun doute sur le sens cette décision, Pouvanaa a bien été réhabilité pour tous les chefs d’accusation qui l’avaient accablé en 1959. Maintenant, cette réparation est je crois un premier aboutissement. En refermant ce chapitre, il nous invite à nous reconstruire. Je n’imagine pas encore les effets, peut-être qu’on ne les verra jamais, parce que c’est au fond de nous, mais c’est essentiel d’avoir des figures fortes sur lesquelles on peut construire notre mémoire et notre dignité.

Le documentaire Pouvanaa te Metua : L’élu du peuple :