Le colloque sur la citoyenneté Mā’ohi organisé par le député Tematai Le Gayic a réuni plus d’une centaine de personnes samedi à Tahiti. Il a tenté de clarifier certains concepts, mais les participants, y compris les invités kanak, n’ont pas caché la difficulté de la mise en place d’une citoyenneté locale : elle prendra du temps, et elle devra passer par un consensus avec la composante autonomiste de la population. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
Tematai Le Gayic, qui travaille sur une proposition de loi visant à inscrire dans la Constitution une « citoyenneté Mā’ohi », s’est lancé fin août dans une tournée de sa circonscription pour prendre la température, expliquer et faire signer une pétition dans ce sens. Le colloque qu’il organisait samedi sur ce thème voulait représenter, avec ses invités universitaires ou juristes, le versant conceptuel de la démarche. Qu’est-ce qu’un Mā’ohi, comment renforcer la protection du patrimoine foncier et de l’emploi local, l’expérience calédonienne et la construction d’une citoyenneté Mā’ohi étaient les thèmes des 4 tables rondes.
Seule élue autonomiste présente, Tepuaraurii Teriitahi (du Tapura Huiraatira, ndlr) a notamment assisté au débat sur le sens du mot « Mā’ohi » : elle constate les divergences de vues sur la définition et dénonce un certain « fondamentalisme ». « En revanche », dit-elle, « si on peut trouver des outils juridiques pour avoir une forme de discrimination positive – à compétences égales, parce que ça aussi il faut le dire, faut arrêter de faire croire que parce qu’on est Mā’ohi on a droit à tous les emplois – pourquoi pas ? ».
Pierre Frébault s’est lui aussi exprimé sur l’emploi local. Ce qui l’intéresse, c’est de donner aux lois du Pays un caractère pleinement législatif (en droit français elles sont considérées comme des actes administratifs, ndr), pour « une vraie reconnaissance de la compétence du Pays sur la définition de l’emploi local ». Et il veut inclure les professions réglementées et libérales dans cette future protection de l’emploi local.
Mais pas question d’« autarcie » alors que les compétences requises évoluent en permanence. « Il faut laisser de l’ouverture, moi je ne milite pas pour 100% d’emploi local, je refuse qu’on s’enferme », dit Pierre Frébault, pour qui le débat porte plutôt comme dans l’Hexagone sur la question de l’immigration « choisie ». Face à l’idéal d’égalité de la devise républicaine, conclut Pierre Frébault, « on est minoritaire dans l’ensemble français, trop petits pour cette notion d’égalité qui va forcément nous écraser. »
« La citoyenneté, c’est encore du bricolage, il faut passer à la nationalité »
Vannina Crolas, ministre de l’Emploi, le dit différemment, et rappelle l’objectif, l’indépendance de la Polynésie : « Est-ce que l’État français acceptera de revenir sur ses principes fondamentaux juste pour 300 000 habitants ? La citoyenneté, c’est encore du bricolage, il faut passer à la nationalité. On s’épuise à faire valoir les droits de notre peuple sous un plafond de verre, au sein d’un cadre juridique qui n’est pas le nôtre. »
D’autant, rappelle l’avocat Philippe Neuffer, que seuls 44,32% du corps électoral ont voté pour les indépendantistes aux dernières territoriales. C’est dans ces mathématiques que se fonde son opposition à un référendum d’autodétermination, et sa préférence pour une modification de la Constitution. Et pour cela, il faudra trouver un accord avec les autonomistes. Sur la mise en place d’une citoyenneté Mā’ohi, il prévient que « ça prendra très longtemps », et qu’il faut que l’ONU soit présente dans la discussion, « sinon on tournera en rond, même avec le soutien de nos frères ultramarins, ça ne passera pas la censure du Conseil constitutionnel. Il y a un truc sur lequel ils ne vont pas rigoler, c’est l’égalité devant le suffrage. »
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Emmanuel Tjibaou était, avec le juriste Emmanuel Kouriane, l’invité de marque du colloque, pour parler de la citoyenneté calédonienne mise en place il y a 30 ans, qui a limité, mais seulement de façon transitoire, le corps électoral. Le sujet est de nouveau sur la table des discussions actuelles – difficiles – entre le gouvernement indépendantiste de Nouvelle-Calédonie et l’État sur l’élaboration d’un nouveau statut. « Mais on a prouvé que c’était possible de créer cette brèche », dit-il, plus optimiste que Philippe Neuffer.
Ceux qui espéraient des solutions simples et rapides sont certainement sortis déçus de ce colloque ; ceux qui sont inquiets ne seront pas rassurés. Tematai Le Gayic y puisera-t-il des éléments utiles à la construction de la proposition de loi constitutionnelle qu’il veut déposer à l’Assemblée nationale, en début d’année prochaine ? Même si c’est le cas, rien ne garantit pour l’instant qu’elle soit inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Mais le simple fait de l’avoir organisé, et la pétition lancée par le député, seront des arguments à porter à la prochaine réunion de la 4e Commission de l’ONU, en octobre, pour démontrer que la « décolonisation des consciences », au moins, est en marche.
Caroline Perdrix pour Radio 1 Tahiti