En Nouvelle-Calédonie, le rejet de l'accord de Bougival par le FLNKS ravive les divisions d'un mouvement indépendantiste déjà ébranlé par les émeutes de 2024 et ses querelles internes.
Signé en juillet entre Etat, loyalistes et indépendantistes, l'accord prévoit notamment la création d'un "État de Nouvelle-Calédonie" inscrit dans la Constitution, doté notamment d'une compétence sur sa politique extérieure. Mais pour le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), principal mouvement indépendantiste, cette formule ne répond pas à la revendication d'une "souveraineté pleine et entière".
Toutes les autres forces politiques calédoniennes, dont les indépendantistes de l'UNI (Union nationale pour l'indépendance), continuent de le soutenir. En octobre, les premières traductions législatives de l'accord — dont le report des provinciales de fin novembre 2025 à mi-2026 — ont été adoptées par le Parlement.
Ce calendrier renforce sur le Caillou, où se rend ce week-end la nouvelle ministre des Outre-mer, Naïma Moutchou, le sentiment d'un "passage en force", déjà dénoncé avant les émeutes meurtrières de mai 2024, consécutives à une réforme électorale votée à Paris.
Mais c'est surtout au sein du FLNKS que la fracture s'est élargie. Ses deux piliers historiques - l'Union calédonienne (UC) et le Palika - divergent sur la stratégie.
Fractures idéologiques
En septembre 2024, le Front a élu à sa tête Christian Tein, président de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), mis en cause pour son rôle dans les émeutes. Cette élection a marqué un tournant: le FLNKS a intégré de nouveaux partis, dont certains sans mandat électoral, qualifiés par leurs détracteurs de "groupuscules". Pour les partisans de cette ouverture, il s'agissait de renouer avec les racines militantes et populaires du mouvement.
"Le FLNKS est un mouvement de libération nationale (...), pas un cartel de partis", plaide auprès de l'AFP Roch Wamytan, figure de l'UC et ancien président du Front, aujourd'hui écarté des responsabilités internes. Selon lui, le Front a perdu son souffle militant en devenant une simple machine électorale, alors qu'il devait incarner une cause de décolonisation. "Le FLNKS est en panne", résume M. Wamytan.
Mais l'intégration de ces micro-formations a acté la rupture entre UC et Palika, membre de l'UNI avec l'Union progressiste mélanésienne (UPM). Pour ses cadres, cette ouverture incontrôlée et la reconnaissance de la CCAT ont fait basculer le FLNKS vers la radicalité.
La CCAT, "structure parallèle incontrôlée", porte une part de responsabilité dans les violences de 2024, estime par exemple Victor Tutugoro, président de l'UPM.
Mais la base de l'UNI ne partage pas toujours ce constat. Sous couvert d'anonymat, un militant du Palika, parti d'inspiration marxiste, évoque un "embourgeoisement des cadres" depuis les décennies qui ont vu la signature des accords de paix (1988) et de décolonisation (1998)."Il y a eu une démission idéologique et un ramollissement des convictions", estime-t-il, reflétant l'avis de nombreux militants.
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Au fond, le FLNKS est pris "dans la tenaille d'institutions qu'il ne conteste plus" et "condamné à un réformisme assumé", analysait le politologue kanak Anthony Tutugoro en 2024.
Acteur incontournable
Malgré ses fractures, le Front reste un acteur central. "C'est le mouvement indépendantiste historique. Ce n'est pas parce qu'il y a des débats internes qu'il n'a plus sa place", estime Sémir Al Wardi, de l'université de Polynésie française. Selon lui, "on ne peut le laisser dehors, au risque qu'il sabote ou fasse échouer n'importe quel accord".
Pour Jean-Pierre Aïfa, ancien maire non-indépendantiste de Bourail, la fermeté du FLNKS traduit surtout une réaction à la radicalisation de ses adversaires. "Si l'État continue à ignorer le Front, il prend le risque de voir revenir la violence. La militarisation du pays (20 escadrons de gendarmerie sur place, ndlr) n'assurera pas la sécurité des Calédoniens, seule une solution politique le permettra", estime-t-il.
Et sur le terrain, l'unité entre indépendantistes reste un horizon. Lors d'une réunion publique du FLNKS mi-septembre, un militant du Palika interpellait les dirigeants. "Je vous demande de vous ressaisir. On ne peut pas être dispersé", lançait-il, redoutant avec Bougival "une souveraineté caldoche où les Kanak seraient comme les Aborigènes ou les Maoris".
Et le FLNKS peut avoir conservé une forte capacité de mobilisation, alors que de premières manifestations contre l'application de l'accord de Bougival sont organisées et que de nombreux militants sont prêts à se remobiliser.
Avec AFP































