Nouvelle-Calédonie : Le secteur économique, tiraillé entre urgences à court et moyen termes

Nouvelle-Calédonie : Le secteur économique, tiraillé entre urgences à court et moyen termes

La perspective d’un troisième référendum qui poserait la même question que les deux précédents jette le flou sur l’avenir économique du territoire déjà sous haute tension. Syndicats patronaux et société civile se mobilisent pour sortir du débat politique et assurer la résilience de ce secteur. Un article de Delphine Bossy pour notre partenaire Actu.nc.

Crise du nickel, marché immobilier en berne, gestion d’une pandémie, le tout sur fond d’incertitude institutionnelle… l’économie calédonienne termine l’année 2020 à bout de souffle. Et pour le monde économique, le risque d’attentisme lié à la perceptive d’un troisième référendum, posant la même question que les deux précédents, pourrait bien finir de l’asphyxier. « Le secteur économique ne peut attendre l’échéance politique, il faut se sortir du débat politique clivant du oui et du non, et agir dès maintenant si l’on veut tenir», soutient Yann Lucien, président de la confédération des petites et moyennes entreprises (CPME NC). Et pour cause, le pays traverse une crise économique sans précédent qui nécessite de travailler dans l’urgence tout en construisant un plan d’avenir.

Absorber l’urgence

Syndicats patronaux et société civile s’accordent à l’unisson : l’économie de demain s’écrit d’abord en soignant l’urgence. La crise sanitaire, liée à la pandémie de Covid-19, a considérablement bouleversé l’économie. Plus de 90 % des chefs d’entreprise dans le tourisme constatent une baisse de chiffre d’affaires, elle dépasse les 50 % pour la majorité d’entre eux d’après l’IEOM. « Le reste du commerce vivote, constate Yann Lucien. D’un secteur à l’autre, les résultats diffèrent et dans un même secteur, certains s’en sortent, d’autres non. On ne se l’explique pas à ce jour ». Certaines entreprises tournent encore au ralenti. Les marchandises n’arrivent pas, un cargo sur deux quitte le territoire, les ports voisins saturent et les prix des conteneurs ont flambé de 30 à 50 % au départ de Chine ou de Taïwan.

La crise sanitaire amplifie une situation économique déjà sous haute tension. Les déficits de la Cafat et du Ruamm se creusent considérablement. A cela s’ajoute une fiscalité négative de la TGC. « Pour cette taxe, il manque 8 milliards de recette par rapport à ce qui était prévu. En l’état, je ne pense pas que le budget 2021 va pouvoir être voté», s’inquiète Samuel Hnepeune, président du Medef. Sans un nouvel appel à la solidarité nationale, il existe un risque sérieux de cessation de paiement. Les services publics pourraient ne plus pouvoir payer leurs salariés. Juridiquement, l’État pourrait mettre la Nouvelle-Calédonie sous tutelle. Dans le contexte institutionnel actuel se serait très compliqué ».

Absorber l’urgence, c’est l’objectif du plan de relance dévoilé ce lundi 9 novembre 2020 par le gouvernement. A travers 22 mesures, il espère parvenir à relancer l’investissement et sauver les entreprises de la faillite. Il prévoit entre autres le soutien financier des petites entreprises avec l’abandon des charges sociales et fiscales pour les secteurs les plus impactés. Une aubaine car la fin d’année s’annonçait morose. Les reports de charges sociales et fiscales sont arrivés à échéance le 31 octobre. Il fallait donc les payer et assurer le paiement du trimestre suivant, prévu en novembre. Même chose pour les reports de prêts opérés par les banques.

Relancer l’investissement

Pour le Medef, sauver l’économie sur le plus long terme nécessite de relancer l’investissement. La tâche n’est pas facile dans un pays où l’avenir institutionnel apparaît incertain. « Nos clients sont inquiets, on ne peut pas le nier. Et leur crainte s’est amplifiée depuis le deuxième référendum. Pas plus tard qu’hier, un client nous a dit qu’il hésitait à investir en province Nord alors qu’une bonne opportunité se présen-
tait », raconte Benoit Maritan, du cabinet de conseil « Cessions Acquisitions ». Dans l’immobilier aussi, les investissements se sont réduits depuis les premières discussions du plan de sortie de l’accord de Nouméa.

Benoit Maritan, du cabinet de conseil, « Cessions Acquisitions ».

Benoit Maritan, du cabinet de conseil, « Cessions Acquisitions ».

Les investissements timides laissent craindre la fuite des capitaux. Pour la première fois depuis 1983 le solde migratoire est négatif. Ce fléchissement s’explique principalement par une hausse des départs, conjuguée à une baisse des arrivées. Entre 2014 et 2019, 27 600 personnes ont quitté le territoire. « Quel
sera la proportion de départs en 2020 et surtout à combien se chiffre la fuite des capitaux ? Pour l’instant on n’en sait rien, admet Yann Lucien. On sait qu’il y a entre 30 et 50 milliards de francs qui quittent le territoire chaque année. Si ça continue d’augmenter au cours des deux prochaines années, ça va devenir un vrai problème ».

Les inquiétudes n’engagent toutefois pas d’actions franches. « Personne n’est venu nous voir en disant après le deuxième référendum, je veux quitter la Nouvelle-Calédonie, je vends ma société », rassureBenoit Maritan. Idem dans l’immobilier, « nos compromis de vente se déroulent sur 5 à 6 mois, c’est des échéances relativement longues et personne ne s’est rétracté donc pour l’instant on ne mesure pas d’effet du second référendum », souligne Cédric Bérode, président de la Confédération de l’immobilier en Nouvelle-Calédonie. Surtout que pour l’heure, les banques continuent de jouer le jeu et de proposer des prêts garantis par l’État.

Transformer le modèle économique

Les six prochains mois sonnent comme une phase d’espoir. C’est l’échéance donnée au pays pour écrire une solution. Le secteur économique s’en investit et compte proposer aux politiques des solutions économiques de long terme diversifiées. Pour Joël Kasarhérou, à la tête du mouvement politique Construire autrement, la parole du ministre a été entendue. « Il dit que nous avons six mois pour dépasser ce cadre du oui ou du non et de se poser la question du comment veut-on vivre ensemble ? C’est sur ça que l’on doit travailler, trouver comment recréer de la richesse à travers la fiscalité et comment créer des emplois ? », explique-t-il.
« L’enjeu c’est d’écrire dès maintenant l’avenir économique de notre pays pour les 15 prochaines années. Quel que soit le résultat du référendum, nous, chefs d’entreprises, nous continuerons d’ouvrir notre entreprise, rappelle le président de la CPME NC. Notre plus gros souci c’est de savoir si notre personnel va venir travailler, et à la fin du mois quel est le montant du chèque qu’on va leur faire ? ». Car pour l’instant, que le oui ou le non l’emporte, nul ne sait ce qui se passerait. « Il est où le texte qui dit ce qu’on va faire ? poursuit-il. Cela fait trente ans qu’on l’attend, et personne n’a rien produit ».

Du côté des citoyens, les idées pour transformer le modèle économique sont multiples. La structure Nouvelle Calédonie économique a d’ailleurs été créée pour la canaliser. Elle ambitionne d’assurer la prospérité de l’économie calédonienne dans les deux ans à venir, en faisant entendre sa voix auprès detoutes les institutions. L’objectif : réfléchir à comment transformer le modèle économique calédonien actuel pour un système plus autonome. Les secteurs clés, l’énergie, la nourriture et les ressources minérales sont au cœur des discussions. Aujourd’hui, pour atteindre l’autonomie alimentaire, énergétique et redonner un élan à l’économie globale, le secteur se tourne vers des solutions
plus durables. « La création de barrages hydroélectriques sur le territoire en est une, affirme Yann Lucien. Cela permettrait de ne plus compter sur le pétrole pour l’électricité, et d’assurer un apport
en eau pour l’agriculture ».

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Joël Kasarhérou, à la tête du mouvement politique Construire autrement, entend recueillir les idées des citoyens pour transformer le modèle économique

Autre levier important : aider les jeunes en échec scolaire à trouver leur place dans le milieu professionnel. Cela passerait par le développement d’encadrement des jeunes pour la découverte des métiers. Pour le président de la CPME NC, il « faut les faire rencontrer les professionnels jusqu’à ce qu’ils trouvent la filière dans laquelle ils se sentent bien ».

Les solutions émergent aussi de la société civile. Le mouvement Construire autrement en fait son fer de lance. « La parole citoyenne a trop été contrainte par le contexte statutaire du oui et du non, souligne Joël Kasarhérou. Or les sujets comme l’éducation ou l’économie doivent être traités en dehors du contexte politique ». Le mouvement politique a laissé circuler cette parole lors de l’événement
« partage de parole » organisé à Tjibaou samedi 31 octobre. Six ateliers sur de vastes sujets d’avenir, la gestion des ressources, la définition de la démocratie ou encore de la dignité par exemple ont
ainsi réuni une centaine de personnes. Tous les ateliers ont affiché complet. Du côté des ressources, le nickel est apparu comme une filière fragile, peu durable, qui ne devrait pas forcément être un axe sur lequel il faut beaucoup investir pour l’avenir. La société civile perçoit toutefois ce secteur comme un levier important de développement et de diversification de l’ensemble des secteurs économiques du pays. Les conclusions des ateliers tenus le matin ont été resitués l’après-midi en présence des patrons du MEDEF, de la CPME NC et de la FINC. Un document de synthèse sera prochainement partagé publiquement et transmis à l’ensemble des partis politiques.

Aujourd’hui, le gouvernement s’est engagé dans la réflexion d’un plan d’économie sur le long terme. Celui-ci-ci s’appuiera sur les filières d’avenir, l’économie bleue notamment, les réformes de comptes sociaux, l’innovation et le dialogue social. « Peut-être fallait-il passer par ce deuxième référendum pour que des deux côtés, certains commencent à réaliser que « Terre de parole, terre de partage » n’est pas qu’un slogan et qu’il faut que tout le monde se mette autour de la même table pour commencer à tracer les contours d’un avenir commun », suggère Yann Lucien.