Le Sénat a approuvé mardi la révision constitutionnelle sensible sur l'élargissement du corps électoral du scrutin provincial de Nouvelle-Calédonie, mesure qui exacerbe les tensions entre loyalistes et indépendantistes sur l'archipel, englué dans une profonde crise économique.
La chambre haute, dominée par une alliance de la droite et du centre, a adopté ce projet de loi constitutionnelle en première lecture à 233 voix contre 99, malgré l'opposition des trois groupes de gauche qui ont dénoncé le « passage en force » du gouvernement.
Assez technique, cette révision constitutionnelle est aussi décisive que contestée. Il s'agit de permettre à tous les natifs de Nouvelle-Calédonie, ainsi qu'aux résidents installés depuis au moins dix ans, de voter aux élections provinciales, essentielles sur l'archipel où les trois provinces détiennent une grande partie des compétences. Établi en 1998 par l'accord de Nouméa, le corps électoral de ce scrutin est en effet gelé, ce qui a pour conséquence, 25 ans plus tard, de priver de droit de vote aux provinciales près d'un électeur sur cinq.
C'est le cas de Sébastien Buchmann, installé en Nouvelle-Calédonie depuis 15 ans. Pour ce chef d'entreprise de 56 ans, le dégel « est une évidence », « c'est le minimum pour des gens qui contribuent à ce pays », dit-il à l'AFP. Dans l'autre camp, on craint au contraire que le dégel « ne vise qu'à minoriser encore plus le peuple autochtone Kanak », s'inquiète Agnès Kawamoto, 39 ans. Cette indépendantiste, native de Nouvelle-Calédonie, estime qu'il aurait fallu parler « d'abord du contenu d'un accord (institutionnel) global » avant d'aborder la question spécifique du corps électoral. « Pas l'inverse. »
Nickel et « taxe carburant »
Ce projet de loi constitutionnelle doit désormais être adopté dans les mêmes termes à l'Assemblée nationale avant d'être approuvé par tous les parlementaires réunis en Congrès à Versailles au début de l'été, aux trois cinquièmes des suffrages exprimés. Mais ce volet législatif, examiné à 17 000 kilomètres de Nouméa, reste surtout lié à un contexte local très inflammable.
L'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie reste en effet toujours en suspens : les négociations entre mouvements indépendantistes et non-indépendantistes sont à l'arrêt depuis plusieurs mois, alors que le prochain scrutin provincial est censé se tenir avant le 15 décembre. La situation économique est tout aussi sensible, avec une filière nickel en grande difficulté et un projet controversé de taxe carburant, finalement retiré à la demande du gouvernement calédonien et de son président indépendantiste Louis Mapou après plusieurs jours de blocage des dépôts de carburant.
Plusieurs milliers de partisans de l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie (6 000 selon le Haut-commissariat de la République de l'archipel, 30 000 selon les organisateurs) ont manifesté mardi à Nouméa contre leur « marginalisation », continuant de s'opposer à cette réforme constitutionnelle qui pourrait bouleverser les rapports de force politiques en leur défaveur. Le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin défend à l'inverse « une formule de compromis équilibrée, respectueuse de la démocratie et des engagements internationaux » de la France.
« Éviter l'étincelle »
Mais si le principe d'un dégel semble faire consensus au Parlement, la méthode employée par le gouvernement exaspère les oppositions et notamment la gauche. « En choisissant de passer en force, le gouvernement refuse de retrouver l'esprit d'impartialité qui devrait guider ses choix », a regretté la sénatrice Corinne Narassiguin, plaidant pour qu'une révision constitutionnelle n'intervienne qu'après la signature d'un accord local global sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, « pour éviter l'étincelle qui fera s'embraser tout l'archipel ».
La droite sénatoriale, première force politique de l'hémicycle, a, elle, validé la date des élections au 15 décembre au plus tard, mais elle a fait adopter plusieurs amendements pour « détendre » le processus, contre l'avis du gouvernement. Le processus électoral pourra ainsi être suspendu jusqu'aux dix derniers jours précédant le scrutin, dans le cas où un accord global serait trouvé. Le gouvernement, de son côté, aurait préféré une date limite au 1er juillet, parfois perçue localement comme un ultimatum.
« Il était utile de desserrer l'étau de la discussion pour que cela ne soit pas une date butoir, voire une date de censure ; et que l'accord puisse intervenir entre les parties à tout moment », a plaidé le sénateur Les Républicains François-Noël Buffet.
Avec AFP