Nouvelle-Calédonie : Inquiétudes autours de l’usine Le Froid qui menace d’exploser, le couvre-feu décrété à partir de ce mardi

©Les Nouvelles Calédoniennes

Nouvelle-Calédonie : Inquiétudes autours de l’usine Le Froid qui menace d’exploser, le couvre-feu décrété à partir de ce mardi

Magasins détruits, maisons incendiées, tirs avec des armes de gros calibres : une violence « assez inouïe », selon les autorités, s'est déchaînée dans la nuit de lundi à mardi en Nouvelle-Calédonie, avant le vote des députés sur une révision constitutionnelle décriée par les indépendantistes. Une usine menace d’exploser alors que trente jeunes y sont enfermés. Le Haut-commissaire a décrété le couvre-feu.

Principale préoccupation de la matinée pour Louis Le Franc, haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie : la présence « d'une trentaine d'individus », la plupart très jeunes, au sein de l'usine de la société Le Froid, victime d'un incendie dans la nuit de lundi à mardi, et toujours en proie aux flammes ce mardi rapportent Les Nouvelles Calédoniennes. 

Lors de la conférence de presse, organisée ce mardi en fin de matinée, le haut-commissaire a demandé aux occupants de l'usine de quitter instamment les lieux pour leur propre sécurité car « deux cuves d'hydrogène sous pression menacent d'exploser ». L'éventuelle déflagration pourrait atteindre une zone d'environ « 300 mètres » autour de l'usine. « Nous n'arrivons pas à les déloger ni à communiquer avec eux », déplorait Louis Le Franc. « Ils ne se rendent pas compte du danger qu'ils courent. »

La nuit dernière, incendies, pillages et affrontements avec les forces de l’ordre ont éclaté à Nouméa et son agglomération, en marge des débats autour du projet de réforme constitutionnelle visant à ouvrir le corps électoral provincial calédonien. Une réforme sensible qui exacerbe les oppositions entre non indépendantistes et indépendantistes, ces derniers étant fermement contre l’ouverture de ce corps électoral aux résidents de plus de dix ans sur l’archipel. Ils critiquent un dégel qui risque de « minoriser encore plus le peuple autochtone kanak » alors que l’archipel est engagé depuis 1988 dans un processus de décolonisation.

Les premières altercations avec les forces de l'ordre ont commencé dans la journée de lundi, en marge d'une mobilisation indépendantiste contre la réforme constitutionnelle examinée à Paris à l'Assemblée nationale, qui vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales en Nouvelle-Calédonie. La semaine dernière, la CCAT, cellule indépendantiste qui coordonne les actions de terrain, a organisé l’opération « Dix jours pour Kanaky », et de nombreuses manifestations ont eu lieu sur l’ensemble de l’archipel.

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Mais la tension est montée d’un cran ce week-end et lundi pour atteindre un pic d’intensité dans la nuit de lundi à mardi. Le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie Louis Le Franc a rapporté « des tirs tendus avec des armes de gros calibre, des carabines de grande chasse, sur les gendarmes » lors des violences sur la commune du Mont-Dore, au sud-est de Nouméa.

Dans les quartiers nord de la capitale, le représentant de l'État a déploré « des destructions de commerces, de pharmacies et de domiciles ». Plusieurs incendies, certains toujours en cours ce mardi, ont ravagés des concessionnaires automobiles et commerces. Les pompiers de Nouméa ont dit avoir reçu près de 1 500 appels dans la nuit de lundi à mardi et être intervenus sur environ 200 feux. Selon un regroupement patronal, une trentaine de commerces, d'usines et d'autres entreprises ont été incendiés.

« On a malheureusement pu constater des exfiltrations d'habitants de leur domicile pour qu'ensuite leur domicile soit brûlé », a ajouté Louis Le Franc lors d'une conférence de presse mardi. « Nous avons été confrontés depuis plus de 24 heures à un vrai déchaînement de haine, un déferlement de jeunes souvent alcoolisés, manifestement manipulés et d'une violence assez inouïe », a déploré le général Nicolas Matthéos, commandant de la gendarmerie de Nouvelle-Calédonie. Selon Gérald Darmanin, 54 gendarmes ont été blessés et 82 personnes interpellées. Outre les forces de l’ordre, des affrontements ont aussi été observés entre habitants dans certains quartiers de Nouméa.

Couvre-feu

Un couvre-feu a été décrété de mardi 18h à mercredi 6h, renouvelable si nécessaire. En outre, tout rassemblement est interdit dans le grand Nouméa, de même que le port d'armes et la vente d'alcool dans l'ensemble de la Nouvelle-Calédonie, indique le haut-commissariat, qui invite les 270 000 habitants du territoire à rester chez eux. Dans la crainte d'un enlisement, le Raid, quatre escadrons de gendarmes mobiles (soit un effectif d'environ 280 fonctionnaires) et deux sections de la CRS 8, unité spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines, ont été mobilisés. Quinze renforts du GIGN devaient être également envoyés à Nouméa.

Les habitants de certains quartiers de Nouméa se sont eux-mêmes organisés, ce mardi soir, en dépit du couvre-feu décrété par le représentant de l'État ©Les Nouvelles Calédoniennes

Le gouvernement calédonien a annoncé la fermeture des lycées et collèges jusqu'à nouvel ordre. L'aéroport international est fermé et la compagnie Aircalin a suspendu ses vols pour la journée de mardi. Le président indépendantiste du gouvernement collégial calédonien, Louis Mapou, a appelé dans un communiqué « au calme et à la raison ». De nombreux élus de l’archipel, indépendantistes et non indépendantistes, de l’Hexagone et d’autres territoires ultramarins ont aussi appelé au calme. Depuis Tahiti, le président indépendantiste de la Polynésie a notamment proposé sa médiation pour aider à la reprise du dialogue, a rapporté Radio 1 Tahiti.

« Les Calédoniens commencent à s'énerver » a réagi la maire de Nouméa, Sonia Lagarde. « On arrive doucement sur le terrain d'une guerre civile », s'est-elle inquiétée, appelant « au calme ». « Cette affaire de dégel est une affaire purement politique », a-t-elle aussi estimé. Le haut-commissaire a également demandé aux responsables indépendantistes de demander aux jeunes d'arrêter les exactions commises. « Sinon il y aura des morts ».

Le Sénat coutumier, instance représentative mélanésienne, a appelé « la jeunesse du pays » et les « responsables politiques » à « œuvrer à la préservation de la paix sociale et à la recherche de solutions consensuelles », ainsi qu’à « la responsabilité de chacun, pour préserver l’unité et la cohésion de notre société. Il est impératif que la jeunesse fasse preuve de retenue et de civisme, et privilégie le dialogue et la concertation, pour exprimer ses revendications et aspirations légitimes ». 

Actuellement, le couvre-feu est entré en vigueur en Nouvelle-Calédonie, mais d'après les Nouvelles Calédoniennes, de nombreux incendies étaient encore en cours dans l'agglomération de la capitale, et notamment dans le quartier Normandie. Des habitants se seraient organisés en fin de journée pour assurer la sécurité de leurs habitations pour la nuit. Dans un autre quartier de Nouméa, plusieurs dizaines de résidents ont mis en place un barrage filtrant à l'aide de barrières, de pneus et de véhicules stationnés, ne laissant passer que les habitants du quartier. 

Parmi eux, une minorité s'est armée de pieds de biche, batte de baseball ou clubs de golf. Certains sont également cagoulés. Une grande partie d'entre eux ne comptent pas respecter le couvre-feu instauré par le haut-commissariat et qui a pris effet ce mardi à 18 heures locales.

 Avec Les Nouvelles Calédoniennes et AFP