Cinq jour après l'ouverture de la 1ère édition de l'Oceania Geospatial Symposium, Vaimu'a Muliava, membre du gouvernement calédonien, parmi les artisans de ce rendez-vous inédit, dresse un premier bilan à l'occasion d'une interview accordée à Outremers360. Pour Vaimu'a Muliava, aucun doute sur la réussite de cet événement qui devrait conclure dimanche sur la définition de six projets opérationnels partagés par les États et territoires du Pacifique. « L’OGS deviendra assurément un événement régional bi-annuel ! » assure-t-il également.
Outremers360 : Vaimu'a Muliava, vous êtes membre du gouvernement chargé des relations avec les Collectivités du Pacifique et parmi les artisans de ce premier Oceania Geospatial Symposium, il semble que cet événement régional vous tient à cœur, pourquoi ?
Vaimu'a Muliava : Cet évènement régional me tient à cœur pour plusieurs raisons :
Tout d’abord, j’ai été touché comme beaucoup de Calédoniens après le drame dans la commune de Houaïlou survenu le 22 novembre 2016 après des glissements de terrain suite à des pluies diluviennes. Des familles ont tout perdu. Certains administrés y ont laissé leur vie. D’autres communes y compris de l’agglomération du Grand Nouméa connaissent régulièrement des inondations récurrentes qui impactent les habitants.
C’est à partir de là que je me suis intéressé à la Géomatique et que j’ai, depuis que je suis rentré en responsabilité politique en 2019, soutenu toutes les initiatives liées à ce sujet d’importance. J’ai donc depuis 2019 soutenu le club de la géomatique calédonien (un réseau de donneurs d’ordres animé par le chef du service de la géomatique de la DINUM NC, Damien Buisson) et leur évènement le GI’SDAY qui existe depuis 2016. J’ai également dans le même état d’esprit soutenu l’OSS-NC (Observation Spatiale au Service de la Nouvelle-Calédonie) depuis sa création en 2019 organisé par l’ART GeoDEV NC, un groupement public/privé composé de l’IRD Nouvelle-Calédonie, de l’Université de la Nouvelle-Calédonie et d’INSIGHT SAS.
La dernière édition (2021) avait pour objectif de replacer la communauté géomatique NC dans son environnement régional pour favoriser les synergies avec les organisations régionales et les autres communautés géomatiques des Etats du Pacifique insulaire, chose qui me paraît indispensable pour pouvoir « exister » et « être entendu » car le volet régional, le réseautage, sont des éléments clés en réponse à notre insularité.
L’Oceania Geospatial Symposium (OGS) s’inscrit donc naturellement dans la continuité de ces séminaires, en se focalisant notamment sur les besoins opérationnels des décideurs des îles du Pacifique via la mise en place de projets concrets à l’échelle régionale.
De manière factuelle, l’ensemble des Territoires du Pacifique font face à des défis majeurs issus des changements globaux, climatiques ou sociétaux, tels que la montée des eaux, le déplacement des populations, l’érosion des traits de côtes et autres. La géomatique et la donnée géospatiale apparaissent dès lors, comme un support indispensable d’aide à la décision en réponse à ces défis qui nous permettra de définir des politiques publiques efficaces.
L'organisation de l'événement a voulu très vite associer la Polynésie et Wallis et Futuna : est-ce une façon d'affirmer la présence des trois territoires français du Pacifique au reste de la région ?
L’association de la Polynésie française et des îles Wallis et Futuna à cette opération est, pour ma part, une évidence et il est important de noter que cette démarche est « inédite ». Notre capacité à se soutenir conjointement permet de parler d’une seule voix, mais surtout de mettre en exergue notre aptitude à se rapprocher pour une mutualisation et une rationalisation des moyens.
Il s’agit bien d’un enjeu de cet événement, défini autour de valeurs partagées que sont la communauté, le partage, la collaboration et le développement durable.
Pour précision, 4 enjeux nourrissent l’Oceania Geospatial Symposium, soit en plus de celui cité précédemment, le renforcement de l’intégration régionale pour les 3 territoires, la pleine collaboration avec les Etats souverains voisins et la définition de projets collaboratifs régionaux en lien avec la gestion durable des territoires et des ressources.
Nous sommes 3 territoires français du Pacifique entourés de pays anglophones. Plutôt que d’essayer de lancer des initiatives éparses et dispersées, il nous faut le faire conjointement, tout en essayant d’inclure nos voisins anglophones car les changements globaux sont l’affaire de tous et quoi de mieux que de travailler ensemble pour relever ensemble ces défis.
Les maîtres mots sont : inclusif et fédérateur !
Les retours d’expériences des uns doivent nourrir les autres dans la recherche de solutions communes. Il est important de dire car on a tendance à l’oublier, la CPS est partie prenante de l’évènement. C’était important pour moi car la CPS représente notre canal vers les Etats et territoires du Pacifique.
Est-ce qu'il y a aussi pour vous une volonté de dire à la France, à l'État, que vous souhaitez prendre activement part à la stratégie indopacifique ?
Cette initiative a d’abord pour vocation de fédérer les 3 collectivités françaises du Pacifique autour d’un sujet stratégique de la donnée géospatiale pour qu’elle puisse nous permettre de définir des politiques publiques et par conséquent des plans d’actions à fort impact au bénéfice de nos populations au regard des conséquences des aléas climatiques que nous subissons dans nos pays.
Mais comment travailler sur une telle thématique sans associer l’expertise et les retours d’expérience de nos « cousins » océaniens ? Cela n’aurait pas de sens car nous vivons dans le même Océan, nous partageons les mêmes problématiques et plus de 3 500 ans d’histoire.
Nous ne connaissons pas ce que renferme l’idée de la stratégie Indo-Pacifique. Je suis de nature proactive, je crois fortement que sur ce sujet, nous, les 3 collectivités, nous devons nous concentrer sur la définition de nos intérêts locaux propres à chacun, et régionaux. Nous sommes le continent Bleu, un continent très convoité pour un tas de raisons que je n’évoquerai pas ici. Une lutte d’influences de la part des grands pays dans la région, et au regard de cela nous ne devons pas subir mais faire en sorte que nos intérêts locaux et régionaux soient pris en compte par les uns et les autres dans leur stratégie et nous concernant dans la stratégie de l’Hexagone. Et si notre travail peut nourrir la réflexion de l’Etat, tant mieux, car il s’agit avant tout de l’avenir de nos populations ici en Océanie. C’est vrai pour nous, les collectivités du Pacifique mais ça l’est encore plus pour les Etats et territoires océaniens.
Il est donc aisé de dire que la « souveraineté » de la donnée, et celle du géospatiale entre autres, est un enjeu clé aujourd’hui voire crucial. Car nous préférons être capitaine d’un destin que nous aurons défini pour nous plutôt que passagers d’un destin qui aura été défini par d’autres pour nous.
Le géospatial, la géomatique, peuvent apporter des éléments de connaissances, de réponses aux politiques publiques, notamment celles liées à l'environnement, à l'aménagement, à l'habitat ou au développement durable. Pourriez-vous donner quelques exemples de solutions concrètes que peuvent apporter ces données aux politiques publiques ?
Dans le cadre de l’aménagement du territoire, l’information géospatiale permet de créer des cartes d’occupation des sols à haute résolution permettant dès lors, d’optimiser, par exemple, les Plan d’Urbanisme Directeur (PUD) d’une commune donnée.
Concernant l’agriculture, il est possible de doser les engrais utilisés sur les parcelles exploitées en fonction de la caractérisation chimique des sols et des prévisions météorologiques. De la même manière, il est possible de gérer de manière rigoureuse les récoltes de céréales en se focalisant sur leur degré de maturité à l’aide d’images satellites.
Pour l’environnement, le suivi des zones ré-végétalisées, notamment sur des sites miniers, se basent sur les données géospatiales. Celles-ci permettent de définir les rendements des espèces plantées et de suivre l’évolution des surfaces traitées afin de s’assurer de l’atteinte de l’objectif fixé par les arrêtés d’exploitation en vigueur.
A noter que les données géospatiales sont au cœur des Objectifs de Développement Durable (ODD) et que sa technologie est un levier incontournable de suivi opérationnel.
Je le dis souvent mais je pense qu’il est important d’insister. Nos ancêtres ont survécu dans ce grand Océan qui représente 1/3 de la surface de la planète où la vie est un challenge permanent. Nous sommes l’épopée humaine la plus véloce et la plus étendue de l’histoire de l’humanité. Plus de 3 500 ans après, nous les Océaniens sommes toujours en vie. Pourquoi ? Parce que nos anciens observaient déjà les étoiles et se servaient des constellations pour se diriger et découvrir des terres. Ils étaient pétris de sciences de l’observation des astres, des courants, des vents et avaient une culture du risque aussi développée que leur culture de l’audace. Le géospatial et la géomatique s’inscrivent selon moi dans cette continuité. Car il s’agit bien de prendre les bonnes décisions, au bon moment, au bon endroit et pour les bonnes personnes.
Le symposium a débuté ce lundi. À 5 jours de son ouverture, quel regard portez-vous sur cet événement inédit ? Est-ce une réussite ?
On ne peut porter qu’un regard bienveillant à ce type d’évènement inédit du fait tout d’abord de l’implication des territoires insulaires du Pacifique au vu des délégations présentes et du public virtuel, mais aussi de la qualité des experts qui ont accepté de mettre à disposition, de partager, leurs compétences et leurs savoirs. Vous savez, venir en Nouvelle-Calédonie est un véritable pèlerinage pour tous, y compris ceux de la région. Entre les 26 heures de vol depuis Paris via Genève, les itinéraires aberrants de Fidji à Tontouta depuis l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, ou de Tonga à Tontouta en passant par l’Australie puis le Vanuatu…. Je vous le dis, la présence de ses experts sur notre Territoire est vraiment un honneur.
Voir toutes ces personnes réunies et inscrites dans une démarche commune est de bon augure pour nos générations futures. Il nous faut se serrer les coudes, avancer et relever ensemble ces défis face aux changements globaux qui nous touchent de plein fouet.
Il n’y a pas de fatalité, je reste persuadé qu’ensemble, les institutions, les privés, les organisations, les chercheurs, les étudiants et autres, sauront être à la hauteur de ces challenges. L’identification, le partage collégial et la mise en place collective de projets régionaux répondant aux besoins spécifiques des pays et îles de la région ajouteront de la cohésion aux relations existantes ou à venir entre nous.
A mon humble avis, nous nous inscrivons dans un évènement « réussi » tel que rappelé par de nombreux participants mais la personne que je suis me fait dire que l’on peut toujours mieux faire. Et que nous devons toujours davantage franchir la ligne de dé-silotage pour s’affranchir de toutes frontières mentales, politiques, professionnelles, géographiques…. qui nous enchaînent dans des certitudes qui nous asphyxient et paralysent l’esprit.
Le symposium doit conclure sur la mise en place de six projets sur trois thèmes différents, à mettre en place avec les autres territoires et pays de la région présents. Avez-vous bon espoir d'arriver à définir ces projets ?
Je vous retourne la question, et pourquoi pas ?
Je suis quelqu’un qui a la foi comme nos ancêtres. Vous imaginez bien que s’ils n’avaient pas foi en eux, ils n’auraient jamais osé affronter l’inconnu, l’horizon et ainsi peupler toute cette étendue de mer. Nous partageons cette valeur avec Jean Massenet, l’architecte de l’ART GéoDev NC.
Par ailleurs, je suis témoin de l’abnégation des uns et des autres à échanger, se challenger, partager pour aboutir à ce que cette opération soit une réussite, je serai également témoin de la concrétisation de ce symposium qui se conclura sur la mise en place de 6 projets sur 3 thèmes différents, lesquels feront l’objet d’un suivi de l’avancement des projets et d’un bilan, sachant que le temps alloué est de 18 à 24 mois pour chacun des projets.
Les conclusions se dessinent précisément. En tout état de cause, 2 paramètres sont à respecter scrupuleusement pour que le travail produise ses effets :
- Le travail que nous menons pour la NC doit se faire avec les provinces mais aussi les communes et les communautés pour avoir un réel impact pour le bien de nos populations.
- Les solutions se trouvent effectivement dans la technologie mais doivent à mon avis s’inspirer de notre océanité car je considère que les 200 voire les 400 dernières années même si elles ont produites des avancées technologiques sans précédent, elles marquent également le début du déclin progressif de l’humanité.
Nous devons revisiter les solutions qui ont émergé durant les 3 500 dernières années et donc s’inspirer des savoirs et connaissances autochtones océaniens.
L’OGS deviendra assurément un événement régional bi-annuel !