Innovation Outre-mer : Avec Look Up Space, « la Polynésie va devenir une sentinelle avancée de l’espace »

À droite, un radar de la start-up installé à La Margeride, un massif montagneux situé dans le Massif central aux limites des départements du Cantal, de la Haute-Loire et de la Lozère ©Radio 1 Tahiti / Charpal Productions

Innovation Outre-mer : Avec Look Up Space, « la Polynésie va devenir une sentinelle avancée de l’espace »

Look Up Space est sur le point de lancer la construction, sur le site de Tahiti Nui Telecom, de deux radars d’une quarantaine de mètres aux formes de « rampe de skate ». Une étape importante pour la start-up française qui, à l’heure de l’explosion du trafic satellitaire mondial, s’est fixée pour mission de surveiller les millions d’objets et débris en orbite et aider à « sécuriser l’accès à l’espace ». Michel Friedling, son cofondateur, et Commandant de l’Espace, parle d’un investissement direct en Polynésie de plus 700 millions de francs, et d’études « sérieuses » pour créer à Tahiti un deuxième centre opérationnel. Ce qui engendrerait des formations et des emplois locaux dans le domaine spatial. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.

La pose de première pierre était prévue ce mardi sur les hauteurs de la Papeno’o, à Tahiti. Des mouvements de dernière minute dans les emplois du temps officiels ont repoussé la cérémonie à plus tard, mais Michel Friedling, lui, est bien en Polynésie depuis vendredi, et l’assure sur le plateau de l’Invité de la rédaction de Radio 1 ce lundi : l’implantation de Look up Space en Polynésie est bien sur les rails.

Cet ancien général de l’Armée de l’Air -ou plutôt général de « deuxième section », puisque l’armée aime garder ses plus hauts gradés à portée de main-, qui avait été le premier Commandant de l’Espace français, a laissé l’uniforme au placard en 2022 pour lancer depuis Toulouse cette start-up de haute technologie avec l’ancien chef du service de surveillance spatiale du CNES Juan Carlos Dolado. La mission qu’elle s’est fixée : surveiller, cartographier, et donc sécuriser l’espace et ses nombreux objets.

« 50 à 100 000 satellites en 2030 »… Et beaucoup de débris

Car la start-up, qui vient de réussir une deuxième levée de fonds privée à 50 millions d’euros, est née d’un constat : à l’heure où le « trafic spatial » explose, et que les satellites sont omniprésents dans nos vie -télécommunication, météo, médias, mesure du climat ou du trait de côte, gestion des trafics aériens, terrestres ou maritimes, surveillance des grands espaces comme la ZEE… -, le monde « manque de capacités pour apprécier ce qui se passe dans l’espace ». Les données existent, mais elles sont parcellaires, et -pour l’essentiel- américaines. Pas un hasard si Look Up Space a été aidé par l’État et par l’UE : la société est bien privée, mais elle propose à l’Europe un service important en termes de souveraineté. 

« Quand j’ai pris mes fonctions de Commandant de l’Espace en 2019, il y avait 1 800 satellites actifs en orbite autour de la Terre, et aujourd’hui on est à plus de 12 000, donc vous imaginez la croissance du trafic. Et ça ne va pas s’arrêter, parce qu’avec le déploiement des grandes constellations comme Starlink, mais aussi derrière celle de Jeff Bezos, donc Amazone Kuiper, et puis la constellation Iris2 de l’Union Européenne, les constellations chinoises… On pense qu’on aura entre 50 000 et 100 000 satellites dans l’espace en 2030 », explique le CEO de Look Up Space sur le plateau de l’Invité de la rédaction, rappelant que la vaste majorité de ces satellites sont positionnés en « orbite basse », entre 450 et 1 200 kilomètres d’altitude. « Et donc un embouteillage avec des risques de collision entre satellites de plus en plus nombreux, et puis il y a les débris spatiaux ».

Des débris de toutes tailles, issues d’activités humaines, principalement des satellites en fin de vie ou déjà désagrégés ou des étages de fusées abandonnés lors d’un tir. « Aujourd’hui on pense qu’il y a 40 000 débris de satellites qui sont d’une taille supérieure à 10 cm, et il y en a environ un million de plus d’un centimètre », reprend le général passé dans le civil. 

« Alors vous allez me dire un centimètre c’est tout petit, mais en réalité un centimètre c’est une petite masse métallique, et en orbite on a 28 000 km/heure, donc l’énergie d’un petit morceau de métal d’un centimètre à 28 000 km/heure ça suffit, si ça percute un satellite, à l’endommager gravement, voire même à le rendre inopérant, et à créer d’autres satellites par des phénomènes de réaction en chaîneDonc ces objets-là, aujourd’hui on est incapable de les voir de manière précise, et avec ce qu’on appelle un taux de rafraîchissement, c’est-à-dire de les voir le plus souvent possible pour déterminer précisément où ils sont, les voir tous, et puis calculer les risques de collision, et donc les éviter », détaille Michel Friedling.

Deux « rampes de skate » d’une quarantaine de mètres

Cette mission, Look Up Space veut la réussir à l’aide de radars. Pas « la façon la plus facile », note Michel Friedling : les capteurs optiques sont plus simples et moins chers à mettre en œuvre, mais aussi beaucoup moins précis et limités par la météo. Le radar, lui, envoie une onde électromagnétique à travers les nuages, capte son écho, ce qui permet ensuite aux scientifiques de déduire la surface, la distance ou la vitesse de rotation des objets passant à sa verticale. « Notre idée, c’est de déployer un réseau mondial de ces capteurs, reprend le cofondateur de la start-up, de façon à avoir une détection, non pas en permanence, mais en tout cas, à chaque orbite », à savoir, pour ce qui est des orbites basses, toutes les 90 minutes.

Le premier « démonstrateur », financé à 60% par le plan France 2030, sera bientôt mis en opération en Lozère. Et la Polynésie est la prochaine implantation sur la liste, avec deux grands capteurs aux formes de pistes de skateboard d’une quarantaine de mètres de long chacun, qui doivent être construits côte à côte, pour gagner en précision et en efficacité sur les mesures. Le site, lui est identifié depuis longtemps : c’est celui de Tahiti Nui Telecom, filiale de l’OPT qui accueille déjà, sur les hauteurs de Papeno’o, des antennes de télécommunications de l’office, un data center, un site de l’Agence spatiale européenne dédié au système de positionnement par satellite Galileo ou depuis plus récemment des antennes de OneWeb.

Les discussions sur cette implantation durent depuis maintenant un an, et Michel Friedling espère bien repartir de Polynésie en fin de semaine avec un contrat signé avec TNT, de façon à pouvoir lancer au plus vite un chantier qui doit durer un an et demi à deux ans. Coût total de l’opération pour Look Up Space : 35 millions d’euros, dont 6 millions -soit 716 millions de francs- seront « investis directement » en Polynésie.  

Un « centre opérationnel » polynésien à l’étude

Et la société, qui rassure sur le caractère inoffensif de sa technologie, est là pour rester, insiste l’ancien Commandant de l’Espace : « Quand on installe un objet comme celui-là, ce n’est pas pour le replier six mois après. Donc, on est là pour 20 ou 30 ans ou davantage. Il y aura de l’investissement récurrent, c’est-à-dire en coût de fonctionnement, l’entretien, la maintenance du site, ça représente des emplois ». 

« À terme, on réfléchit très sérieusement à développer ici un centre d’opération, en plus de celui de la métropole, avec un décalage horaire qui est parfait pour assurer une continuité de nos opérations de surveillance de l’espace. Car à terme, on veut aussi faire des opérations dans l’espace, c’est-à-dire qu’on veut opérer des satellites pour le compte de clients privés. Et donc, on pense que ça serait une excellente idée d’avoir un centre d’opération ici. Ça veut dire derrière, évidemment, de la formation, des compétences… J’ai presque envie de dire que ça fait rentrer la Polynésie dans l’ère spatiale. La Polynésie va devenir quelque part une sentinelle avancée de l’espace », a-t-il assuré.

Et si la Polynésie est le premier territoire d’outre-mer concerné, il n’est pas le seul : Look Up Space prévoit des implantations cinq autre implantations à Saint-Pierre et Miquelon, en Guyane, à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie. Toutes sur le territoire français. « Plus simple » au niveau réglementaire, « plus sûr », mais surtout plus cohérent avec « l’ADN de la souveraineté » de cette start-up, qui prend aussi garde à ne pas faire entrer de fonds non européens dans son capital. En attendant la concrétisation de ces grands projets, Michel Friedling soigne son discours : « Notre mission, c’est de rendre l’espace sûr et durable pour notre génération et pour les générations futures. Et la Polynésie va y participer directement ».

Charlie René pour Radio 1 Tahiti