En Polynésie, premier lâcher de moustiques stériles pour lutter contre les arboviroses

©Radio 1 Tahiti / Nanihi Laroche

En Polynésie, premier lâcher de moustiques stériles pour lutter contre les arboviroses

Des milliers de moustiques rendus stériles par rayons X ont été lâchés dans le cadre du programme PAC-SIT, ce mardi à Paea. Chaque vendredi pendant un an, des milliers d’autres seront libérés par les équipes de l’institut Louis Malardé dans les quartiers de la commune. Soutenu par l’OMS (Organisation mondiale de la santé), le projet, déjà testé à Tetiaroa, ambitionne de réduire drastiquement et durablement la population de moustiques Aedes aegypti, à l’origine de la propagation de la dengue, du zika et du chikungunya. Un reportage de notre partenaire Radio 1 Tahiti. 

Le premier « lâcher inaugural de moustiques mâles stériles » a eu lieu ce mardi matin à la mairie de Paea, accompagné par la directrice de l’Institut Louis Malardé (ILM), Maire Sabre, du maire de Paea Anthony Géros, du ministre de la Santé Cédric Mercadal, du ministre des Grands Travaux Jordy Chan, ainsi que des équipes de l’ILM.

« Des milliers de moustiques libérés tous les vendredis matin »

Il s’agit du début d’une longue série de lâchers hebdomadaires, dans différents quartiers de la commune, « de moustiques qui ne piquent pas et qui ne se reproduisent pas », indique Anthony Géros (seules les femelles piquent, ndr). « Il y avait 20 tubes, avec une centaine de moustiques par tube », explique Maire Sabre, la directrice de l’ILM. « Ce sont des milliers de moustiques qui doivent être libérés tous les vendredis matin. Sur une année, ça fera des millions de moustiques. On passe les moustiques dans un irradiateur et ça permet de les rendre stériles, tout simplement. Donc quand ils vont s’accoupler avec la femelle, il n’y aura pas de bébés. »

Pour assurer que le nombre d’individus est suffisant, une production industrielle de moustiques a été mise en place dans le centre de recherche du laboratoire d’entomologie de l’ILM à Paea. Les mâles passent aux rayons X pendant trois minutes, et ressortent stériles, une méthode appelée technique de l’insecte stérile (SIT en anglais).

« Plus de contamination de chikungunya, de zika, de dengue »

Tetiaroa depuis 2017, Paea depuis cette semaine, et bientôt Aitutaki, aux Îles Cook : les moustiques stériles s’invitent peu à peu dans le Pacifique. Ce programme, baptisé PAC-SIT, est financé à hauteur de 80 millions de francs par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en partenariat avec le Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américain et la Direction de la santé des Îles Cook.

Le projet, entamé il y a près de deux ans, vise « à œuvrer pour le bien-être de la population, mais aussi à avancer en termes de santé publique », souligne le ministre en charge du domaine, Cédric Mercadal. L’objectif : réduire le risque d’exposition aux maladies transmises par le moustique Aedes aegypti.

« En fait, il n’y a qu’un type de moustiques porteur de toutes ces maladies, et ils ciblent exclusivement celui-là », explique le ministre de la Santé. « On ne va pas détruire l’environnement, on va juste empêcher les moustiques de se reproduire. Ce qui fait que, dans le temps, il n’y aura plus de contamination de chikungunya, de zika, de dengue. C’est complètement écologique, c’est de la sécurité environnementale, et c’est de la sécurité humaine. Et puis, si ça marche bien, on pourra l’étendre à d’autres zones. On l’a déjà étendu à Tetiaroa, où ça a très bien marché. Et puis à la fin, ça sera un produit qui pourra être vendu à tous les hôtels et tout le Pays. »

« Le rêve des vacances dans les îles sans moustiques » est à portée de main, se réjouit le ministre.

« Une innovation scientifique et sanitaire »

Éradiquer les arboviroses par les moustiques est une méthode qui a fait ses preuves à plusieurs reprises. Notamment en Nouvelle-Calédonie, où 24 millions de moustiques porteurs de la bactérie Wolbachia ont été relâchés entre 2018 et 2025. Une bactérie qui inhibe la transmission de la dengue, du zika et du chikungunya, de 55 % à 98 %. 

Pas tout à fait le même principe donc, car les moustiques n’étaient pas stériles, mais tout de même une manière qui a permis de sauver des vies et d’éviter des dépenses de santé évaluées à 8 milliards de francs, tout en préservant l’environnement car il n’y a plus de pulvérisations de pesticides particulièrement nocifs.

La bactérie Wolbachia est aussi utilisée comme technique de stérilisation des mâles. C’est cette approche qu’expérimente Tetiaroa, où plus de 3 à 4 millions de moustiques ont été relâchés depuis huit ans sur le motu de l’hôtel Brando. Et les résultats sont là : la population de moustiques y a fortement diminué, sans altérer l’écosystème local.

Cependant, avec Wolbachia, des vérifications régulières sont nécessaires pour s’assurer que la bactérie est toujours présente chez les moustiques. Alors qu’avec les rayons X, la méthode est plus rapide, plus facile, ne nécessite pas de suivi, et fonctionne avec différentes espèces de moustiques. « Une innovation scientifique et sanitaire, qui met la Polynésie au premier plan », indique le tavana Anthony Géros, qui rappelle que l’antenne de l’ILM sur sa commune est la seule de France à détenir les appareils de stérilisation.

Une mobilisation collective au cœur du dispositif

Pour garantir l’efficacité du programme, la démarche s’organise en trois phases. La première est la mobilisation citoyenne. Les équipes de l’ILM sillonnent les quartiers pour installer des pièges « pendant plus de six mois chez les particuliers, chez une cinquantaine de familles », précise Maire Sabre. Cette mobilisation passe aussi par la vigilance des habitants : limiter les gîtes larvaires, notamment en vidant « les assiettes sous les pots de fleurs ».

La deuxième étape est évidemment le lâcher hebdomadaire des moustiques stériles, sur 12 mois, et la troisième repose sur la participation de la population aux questionnaires et aux prélèvements sanguins, effectués sur le bout du doigt, afin de mesurer l’impact de la méthode sur la transmission des maladies, un fois avant, une fois pendant et une fois après les lâchés de moustiques. Un projet sur 18 mois en tout.

Nanihi Laroche pour Radio 1 Tahiti