C’était imprévu. Le Président de la République, Emmanuel Macron, est descendu de sa voiture à Moorea pour aller discuter avec des membres de l’association 193, qui manifestaient sur le bord de la route. Il a assuré « avoir entendu » les revendications polynésiennes, et promis « d’assumer jusqu’au bout » : « Je m’exprimerai ce soir », a-t-il annoncé, parlant du discours officiel qu’il doit prononcer en fin d’après-midi ce mardi. Reportage de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
L’association 193 ne pensait certainement pas voir le Président de la République de si près. Ils espéraient que celui-ci vienne discuter avec eux mais sans y croire et c’est pourtant ce qui s’est produit en marge des visites à Moorea. Le chef de l’État est descendu de sa voiture pour se diriger droit sur les manifestants, massés sur le bord de la route, et une discussion s’est engagée entre l'association antinucléaire, qui plaide pour une reconnaissance et une pleine prise en charge des conséquences des essais, et le chef de l'État.
C’est Léna Normand, vice-présidente de l’association 193, qui a, la première, pris la parole, demandant le pardon de l’État au peuple polynésien, avec la réparation individuelle et collective, dénonçant des indemnisations trop longues et peu nombreuses. Emmanuel Macron a commencé par rappeler que lors de la table ronde à Paris, des discussions ont eu lieu, des « livres se sont ouverts ». Avant de reconnaitre : « il y a eu pendant très longtemps du silence et un refus de partager l’information, d’assumer les choses, de dire, d’être transparent. (…) J’assumerai jusqu’au bout. Je m’exprimerai ce soir. J’ai entendu ce que vous demandiez et j’y ferai référence ». Le Président de la République doit effectivement s’exprimer officiellement à 17h, depuis la présidence.
Pas de prise en charge « totale » des dépenses de la CPS
La discussion a continué et le Président de la République a reconnu « des indemnisations trop lentes, des dossiers qui prennent trop de temps » mais a clairement refusé la demande de prise en charge de la totalité des dépenses de la Caisse de Prévoyance Sociale (CPS) : « Est-ce que c’est juste de dire que parce qu’il y a eu les essais, la totalité de dépenses de la CPS doivent être prises en charge ? Ce serait fou ! En quelque sorte, toute politique de santé serait liée aux essais, alors qu’il y a d’autres maladies, d’autres sujets de santé publique. Si je disais ça, je serais irresponsable ».
La CPS, équivalent de la Sécurité sociale en Polynésie, demande plus précisément le remboursement des frais engagés par celle-ci pour la prise en charge des patients atteints de maladies radio-induites depuis 1985. La structure a évalué ces dépenses à 80 milliards de Fcfp (670,4 millions d’euros).
Emmanuel Macron a promis « une politique beaucoup plus simple » pour accompagner et mieux prendre en charge les nouveaux cancers. Il a promis un accompagnement avec des médecins et des chercheurs pour répondre aux besoins des malades aujourd’hui. Concernant les indemnisations, le Président s’est engagé à ce que « les choses changent en matière de procédures d’indemnisation ».
« Nous attendons des actes »
Le chef de l'État s’est ensuite clairement exprimé sur la demande de pardon : « On vous doit la vérité et de la considération et c’est ce que je veux apporter aux Polynésiennes et aux Polynésiens et je le ferai tout à l’heure. » Interpelé sur la déclassification des archives, il a expliqué : « On ne va plus opposer le secret défense à tous les sujets parce qu’on vous doit aussi cette vérité et cette transparence. Les seules choses qu’on va continuer à protéger, ce sont les éléments qui sont liés à la prolifération et qui sont très techniques et qui fragiliseraient notre souveraineté collective, par contre le reste doit pouvoir être partagé ».
Léna Normand et frère Maxime semblaient satisfait de la discussion tout en attendant du concret : « Tu as tout dit, c’est très bien mais nous attendons les actes », a clairement dit frère Maxime au Président. Celui-ci a reconnu : « Je ne peux pas vous demander d’avoir confiance en moi après qu’on vous ait menti si longtemps en ne partageant pas les informations. Je pense que la confiance ça se construit, en disant tout, en partageant la totalité et en étant beaucoup plus transparent et c’est vrai qu’on n’a pas fait le boulot jusqu’à présent. Je ne me suis pas arrêté simplement pour vous faire plaisir mais parce que j’ai de la considération et du respect pour le combat que vous portez. »
La rencontre s’est terminée avec beaucoup de « mauruuru » et même quelques applaudissements. Pour rappel, le collectif “Fait nucléaire en Polynésie” -dont fait partie l'association 193, avec l'association Moruroa e Tatou, Eden Park, mais aussi le parti indépendantiste Tavini Huiraatira et l'Église protestante Ma'ohi-, avait prévu plusieurs manifestations pendant la visite du président de la République, mais celles-ci ont été interdites.
Lucie Rabréaud pour Radio 1 Tahiti