DÉCRYPTAGE. Référendum en Nouvelle-Calédonie : Des enjeux locaux, régionaux et nationaux

DÉCRYPTAGE. Référendum en Nouvelle-Calédonie : Des enjeux locaux, régionaux et nationaux

Ce dimanche 12 décembre aura lieu le troisième et dernier référendum d’autodétermination de l’accord de Nouméa. Pour l’occasion, Outremers360 vous propose cette semaine un décryptage des principaux enjeux de cette consultation, étape du processus de décolonisation de la Nouvelle-Calédonie.

La Nouvelle-Calédonie actuelle n’est plus la Nouvelle-Calédonie des événements des années 80 et de l’accord de Matignon, ni celle de l’accord de Nouméa. Localement, régionalement et sur le terrain national, comparer la Nouvelle-Calédonie d’aujourd’hui à celle d’hier est une dissertation hors sujet, malgré le chemin parcouru depuis plus de 30 ans, comme fil conducteur incassable d’un archipel qui incontestablement évolué. 

Sa population, d’abord. Bien que vieillissante, comme dans tous les territoires ultramarins, et que les jeunes partent de plus en plus sans revenir, elle demeure plus jeune car en effet, un Calédonien sur deux a moins de 30 ans, trois sur dix ont moins de 20 ans. L’âge moyen s’établit à 34,7 ans, contre un peu plus de 40 ans dans l’Hexagone. De ce fait, si un Calédonien sur deux a moins de 30 ans, un Calédonien sur deux n’a pas connu les événements des années 80. Ajouté à cela le rééquilibrage politique, économique et démographique provincial, « le dossier calédonien ne peut être ramené aux années 80 ». 

Pour autant, certains aspects de la société calédonienne demeurent et résistent au temps, malgré ce rééquilibrage. C'est la cas, par exemple, des fractures qui sont nettes sur l’archipel. Au point d’en faire un des territoires les plus inégalitaires de France. Malgré des évolutions depuis les années 2000 (création d'allocations familiales de solidarité, allocation logement, minimum vieillesse, allocation handicapé), les minimas sociaux restent inférieurs à ceux de la France hexagonale.

Selon l'enquête du budget des familles 2019-2020 de l'ISEE (Institut de la statistique et des études économiques), les 20% de la population les plus aisés de Nouvelle-Calédonie perçoivent un revenu 8,4 fois supérieur aux 20% les plus modestes. Dans l’Hexagone, ce ratio est de 4,4. Environ 50 000 personnes sur 270 000 habitants vivent sous le seuil de pauvreté (86 100 CFP par mois - 717 euros), tandis que le territoire serait l'un des endroits au monde où on compte le plus de Porsche Cayenne par habitant. Sans compter la vie chère qui concerne autant l’alimentaire que les biens d’équipement ou encore, l’immobilier.   

Une fracture sociale qui est aussi une facture ethnique, puisque la population pauvre est à 71% kanak. Sur le taux de chômage, l’ISEE observe une augmentation de 2,6 points en 2020 (13,3%). On compte 16  100 chômeurs en 2020, soit 3  100 de plus qu’en 2019 : huit sur dix sont des hommes  ; sept sur dix sont Kanak  ; les trois quarts ont de 15 à 24 ans. Et le nickel, longtemps considéré comme principal levier économique de l’archipel, n’assure plus à lui seul ce rôle, notamment depuis 2014 et la chute des cours du minerai à la London Metal Exchange. 

À ces bouleversements démographiques et ces fractures économiques et sociales s’ajoutent une évolution du paysage politique : émergence d’un parti communautaire Wallisien et Futunien assez influent pour basculer le Congrès ou le gouvernement d’un camp à l’autre, un Congrès et un gouvernement au main des indépendantistes et surtout, un écart entre le oui et le non à l’indépendance qui s’est nettement réduit au second référendum, en faveur des indépendantistes. Les résultats des deux premiers référendum ont surpris plus d'un, alors qu'on s'attendait dès 2018 à des écarts plus importants entre le oui et le non. 

Mais si les indépendantistes étaient sur une lancée favorable, la crise sanitaire, et la solidarité nationale qui en découle, a certainement rebattu les cartes politiques et économiques. Paris ne s’en cache pas : la « faillite budgétaire (de la Nouvelle-Calédonie) s’offre à nous », confie-t-on dans l’entourage du ministre des Outre-mer. En 2021, faute de gouvernement de plein exercice, le budget a été confié au représentant de l’État. Une première dans l’histoire de la Collectivité, qui pourrait se répéter en 2022.  

Sur le plan régional, il va sans dire que le Pacifique des années 80 n’est plus celui des années 2020. Dans les années 80 et jusqu’aux années 90, ce sont surtout les essais nucléaires français en Polynésie qui ont retenu l’attention des États insulaires de la région, et leurs voisins. Aujourd’hui, c’est le jeu d’influence entre la Chine et les États-Unis et ses alliés, qui sont au coeur des préoccupations. Émeutes aux Salomon sur fond d’influence diplomatique Chine contre Taïwan, ouverture d’un sanctuaire marin des Kiribati aux pêcheries chinoises, scission au sein du Forum des îles du Pacifique ou encore, pacte États-Unis, Australie et Royaume-Uni (Aukus) : la région pacifique est devenue un épicentre géopolitique où les tensions enflent sous le regard souvent impuissant des insulaires.

Dans ce jeu d'échecs océanique, la France veut jouer sa partition, et sans la Nouvelle-Calédonie, elle serait « moins belle ». Avec son million de km2 de ZEE, l’archipel est un point géographique clé de la stratégie indopacifique d’Emmanuel Macron, au cœur même de la partie la plus active des tensions entre la Chine et l’Occident : l’Australie à l’Ouest, la Nouvelle-Zélande au Sud-est, les Fidji à l’Est, le Vanuatu au Nord. Le référendum d’autodétermination et tout le processus de décolonisation qui le précède est forcément scruté par les pays de la région, de la Chine à l’Australie en passant par les îles du Pacifique.

Il va donc de soi que le résultat du dernier référendum et surtout, ce qu’il en sera de la Nouvelle-Calédonie post accord de Nouméa, conditionnera à terme l'influence géopolitique française dans la zone, cheval de bataille du président français Emmanuel Macron. Rappelons que ce dernier a « musclé son jeu » l’été dernier, lors de l’opération militaire d’envergure « Heiphara » en Polynésie française et quelques semaines plus tard, en visitant cette collectivité d’Outre-mer cousine de la Nouvelle-Calédonie. Il s’agissait, pour le chef de l’État, d’affirmer l’axe indopacifique et la présence française dans la région.