Alors que la secrétaire d’État chargée de l’Enfance accompagne actuellement les ministres Gérald Darmanin et Jean-François Carenco lors d’un déplacement de trois jours à Mayotte, Maxime Zennou, Directeur Général de Groupe SOS Jeunesse et Délégué territorial aux Outre-mer du Groupe SOS, dresse un portrait de la déscolarisation et de ses conséquences sur l’île, tout en soulignant le travail des associations et des institutions compétentes. Pour lui, « l’enjeu de la scolarisation des enfants dépasse largement les champs de la police et de la justice et s’inscrit dans une complémentaire et indispensable politique de prévention et d’accès aux droits fondamentaux ».
Le déplacement de trois ministres à Mayotte, très centré sur la sécurité et sur la migration, est aussi l’occasion de mettre l’accent sur un phénomène mal appréhendé à Mayotte, celui des enfants non scolarisés ou déscolarisés. Ce public jeune, à l’adolescence, se regroupe en « bandes » plus ou moins organisées pour réitérer des actes de délinquance qui portent gravement atteinte à la tranquillité publique et à l’attractivité du territoire. Si des moyens supplémentaires sont annoncés pour renforcer la justice des mineurs, dont le fameux « centre éducatif fermé », l’enjeu de la scolarisation des enfants dépasse largement les champs de la police et de la justice et s’inscrit dans une complémentaire et indispensable politique de prévention et d’accès aux droits fondamentaux.
5 000, 10 000 voire beaucoup plus. Comme sur bien d’autres sujets à Mayotte les chiffres qui circulent d’un rapport à l’autre ne traduisent qu’une partie de la réalité. Le constat est simple et percute le droit fondamental à l’éducation. Tous les enfants qui vivent à Mayotte ne sont pas scolarisés. Personne n’est à blâmer. Chacun fait de son mieux. Pour autant, la réalité est là dans toute sa brutalité. Et pour imiter le fameux mot d’Albert Camus : « Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde ». Mal le compter produit le même effet et ne permet pas d’ajuster l’action publique et des associations à la juste mesure du phénomène.
C’est dans ce contexte que des associations qui interviennent à Mayotte de longue date Mlezi Maore, La Croix-Rouge, Les Apprentis d’Auteuil et la Fédération nationale, la CNAPE (Convention nationale des associations de protection de l’enfant) ont décidé de confier à l’équipe du professeur en sciences de l’éducation Gilles Sehraphin une étude sur ce sujet intitulée : « Non solarisation et déscolarisation à Mayotte : dénombrer et comprendre ». Les chercheurs sont au travail et recensent toutes les données existantes, chiffres et littérature, et auditionnent tous les acteurs de l’éducation à Mayotte.
Un phénomène mal connu
On sait le nombre des naissances qui font du centre hospitalier de Mayotte la plus grande maternité de France. On mesure moins le nombre des migrants en situation de clandestinité. Au moins la moitié de la population de Mayotte. On sait que beaucoup de familles sont en attente d’inscription de leurs enfants et se heurtent parfois à de nombreux obstacles administratifs. On sait que des enfants et des adolescents ont un peu fréquenté l’école mais n’y vont plus guère après avoir rapidement été mis en échec faute de soutien. On sait enfin que de nombreux jeunes ne peuvent poursuivre leur scolarité hors de Mayotte en raison de leur situation administrative à la fin de leur minorité. Il n’est que de se déplacer dans les quartiers pauvres de Mayotte aux heures scolaires pour observer les très nombreux enfants de tous âges qui n’ont pas pris le chemin de l’école. Les quelques dispositifs palliatifs ouverts par les associations n’y suffisent absolument pas. Pourtant ils fonctionnent. Mais ils ne peuvent absorber tous les enfants des quartiers très demandeurs qui restent à la porte.
Des effets dévastateurs
Les enfants non scolarisés ne peuvent accéder aux apprentissages des savoirs de base ou à une formation qualifiante et voient leurs perspectives de régularisation administrative, d’insertion sociale et professionnelle très limitées. L’école est aussi le lieu où peuvent être dépistées des pathologies et des handicaps qui doivent être pris précocement en charge. Les associations qui interviennent auprès de ces publics ne peuvent que faire le constat d’une socialisation de ces jeunes qui s’opère dans la transgression, dans la délinquance et dans le défi à toutes les figures de l’autorité. Bien que régulièrement renforcés les moyens de l’Aide sociale à l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse n’y suffisent pas pour endiguer cette vague infantile qui prend sa source dans l’histoire, la géographie et la sociologie du territoire. Enfin, c’est un truisme de le rappeler, l’école est le creuset des valeurs de la République.
Des solutions existent
Aucune solution n’est à écarter en attendant que l’Éducation nationale qui fait un travail formidable construise toutes les écoles et recrute tous les enseignants nécessaires au rythme d’une croissance démographique exponentielle. Ainsi les associations de Mayotte ont créé et déployé quelques dispositifs territorialisés d’accueil de jour qui dispensent les premiers enseignements et préparent la transition dès que possible vers le droit commun. Il faut aujourd’hui soutenir et multiplier ces dispositifs transitoires avec un vrai « plan Marshall » de l’éducation. L’ancien secrétariat d’Etat à la Protection de l’enfance, Adrien Taquet, avait même soutenu cette dynamique avec un premier dispositif expérimental qui voit son financement actuellement menacé...
Toutes les politiques publiques d’accès à la formation déployées par toutes les administrations (Education Nationale, mission locale, RSMA, Ecoles de la deuxième chance, projet « Jeunes en errance » …) doivent être amplifiées pour garantir à Mayotte aussi le fameux « Un jeune, une solution ». Enfin, Mlezi Maore travaille avec toutes les institutions au déploiement d’un dispositif dit de « Réunification familiale » qui est susceptible d’assurer un retour sécurisé d’enfants isolés à Mayotte auprès de leurs parents aux Comores. Naturellement avec l’accord de toutes les parties et en parfaite conformité avec le droit international positif.
Plus que jamais le mot de Victor Hugo conserve sa pleine actualité : « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons ». Quittons enfin la sidération qui semblait paralyser certains esprits au lendemain des derniers scrutins électoraux pour entrer dans une ère de considération qui fera de Mayotte un département égal à tous les autres, en droits comme en devoirs.
Maxime Zennou, Directeur Général de Groupe SOS Jeunesse, Délégué territorial aux Outre-mer du Groupe SOS